Parler de diaspora libanaise, c’est d’abord tenir compte du début de l’immigration libanaise au 19ème siècle et son installation dans les pays d’accueil.

Cette première immigration est le résultat des bouleversements qui ont secoué le Liban et le Moyen- Orient dans les années 1840 et 1860. La déstabilisation des sociétés rurales libanaises et leur appauvrissement, poussa la population à une émigration massive fuyant ainsi les crises politiques, sociales et économiques qui touchaient le pays. Vers les années 1930, on comptait près d’un million de Libanais, majoritairement des chrétiens en « diaspora ».

La moitié de ces migrants se sont installés en Amérique Latine, au Brésil et surtout en Argentine ; un quart se sont retrouvés aux Etats-Unis ; et, une partie se retrouva en Australie et en Afrique noire.

Aujourd’hui certaines sources nous permettent d’avancer le chiffre de 10 millions de Libanais. Nous tenterons tout d’abord de définir le terme « Diaspora » et ensuite démontrer d’une part, la complexité de la « communauté » libanaise et d’autre part le fonctionnement de cette dernière en tant qu’entité hétérogène et les différentes interactions qui la caractérisent. La notion de Diaspora réfère à un modèle, celui de la diaspora juive, véritable paradigme « constitué » en raison du critère de l’ancienneté.

Néanmoins, A. Médam précise que si ce concept ne réfère plus à un cas de figure unique, il y a dans la judaïcité en exil quelque noyau de sens qu’il conviendrait de saisir avant de retourner à la variabilité des « dispersions dans le monde ». Cette notion doit être située dans son contexte historique et il est nécessaire tout d’abord de limiter le champ de son utilisation abusive et diffuse lorsqu’il s’agit de flux migratoires.

De même, comme le précisait W. Safran (1988), les « communautés diasporiques » sont de plus en plus utilisées comme métaphores pour désigner pêle-mêle les catégories d’expatriés, d’exilés, de réfugiés, d’étrangers, d’immigrés et même de groupes ethno-raciaux minoritaires. Beaucoup enfin s’accordent pour reconnaître la difficulté d’une définition « qui réussisse à tracer une ligne nette entre minorité et diaspora » (Chaliand & Rageau, 1991). Gabriel Scheffer (1993) quant à lui, retient trois traits : revendication d’identité ethnique, forte densité des liens communautaires transnationaux ; contacts avec un territoire d’origine.

La notion de diaspora, même si elle devait être appliquée aux Libanais dans le monde, ne pourrait en aucun cas entrer dans ce cas de figures. Tout d’abord parce les Libanais ne sont pas une « ethnie », l’identité libanaise étant complexe et fondée sur un pluralisme culturel et religieux, ne peut avoir de liens communautaires forts et solides néanmoins le seul rapport au territoire joue un rôle déterminant dans les aspirations des Libanais et ce, à l’échelle individuelle et particulariste.

La diversité de l’identité libanaise cristallise le fait communautaire et ne l’autorise en aucun cas à trouver un dénominateur ou projet commun pour affirmer et pérenniser sa cohésion.

Au lieu de se forger une identité « diasporique » communautaire pour renforcer les liens avec le pays natal et de se constituer une entité unifiée et homogène, les sous-groupes de la communauté contribuent à la fracture religieuse multipliant ainsi les réseaux parallèles, déstructurés, désorganisés, et manquant de leader charismatique au niveau transnational.

La stabilité d’une Diaspora est sans aucun doute fondée sur des mécanismes et des réseaux transnationaux qui permettent aux individus d’un même territoire historique d’unir leurs forces à des fins rationnelles et de s’entraider.

Ce qui n’est pas le cas du Libanais en diaspora. Le double rapport au territoire et à la culture qui peut constituer la base d’une communauté de destin, n’est pas ressentie par les sous-groupes libanais comme le facteur de pérennisation de leur identité.

Rien ne permet d’affirmer qu’ils régissent cette unité, ni que cette dernière engendre les mêmes attachements ou les mêmes sacralisations du territoire. Les référents spatiaux de leur identité collective ne sont guère identiques et ainsi, ne peuvent faire leur complémentarité et leur commune irréductibilité.

La dynamique transnationale de la communauté libanaise constituée de presque 12 millions d’individus, répartis dans le monde, est composée d’une infinité d’individualités et d’idéologies et, dont le développement n’est pas perçu comme une finalité. Par ailleurs, plus les Libanais de la diaspora seront privés de leur solidarité collective et de leur autodétermination à se forger et à créer des liens transnationaux, plus le désir de solidarité sera amoindri et le projet commun deviendra difficile et aléatoire.

Cette reproduction des légitimités socio-politiques, des conflits inter et intra communautaires, les clientélismes qui sont mis en exergue dans les pays d’accueil, cristallisent les particularismes et les individualités mettant la légitimité et l’unité de la communauté en danger. les Libanais se perçoivent comme une collectivité constamment à la recherche d’un enracinement permanent et à la recherche d’une reconnaissance individuelle qui va au-delà de la logique propre d’une diaspora.

Absente chez la communauté libanaise, cette logique est plutôt communément appelée « logique individualiste ». Elle se résume à compenser par des attitudes individualistes et parfaitement égocentriques un manque de référence patriotique et nationale. Les membres de la diaspora libanaise bien qu’ils prétendent appartenir avant tout à une communauté d’origine, de langue commune, et de valeurs socioculturelles identiques, démontrent des identités multiples stigmatisées par leur attachement et leur identification à des micro-groupes liés entre eux par des critères d’appartenance locale et politico-religieuse, etc…

La communauté montre le désir de maintenir ces affiliations et, au travers de cette identification tentent de légitimer leurs leurs actions et leurs moyens de participation et d’insertion dans le réseau communautaire. L’attachement à leur identité locale individuelle et non nationale collective peut devenir une obstruction à toute tentative de solidarité et d’union entre les membres des sous-groupes. D’autant plus que la stabilité et vitalité de la diaspora au niveau sub-national et international, dépendent plus particulièrement des différents moyens de gestion des conflits intercommunautaires.

Qu’elles soient très fragmentées ou structurellement centralisées, ces entités communautaires doivent accomplir leur rôle pour maintenir une cohésion au sein de la communauté. Les variables qui transcendent l’espace « individuel » doivent être multiples et correspondre aux attentes de la majorité du groupe communautaire. Il faut souligner par ailleurs que la problématique des diasporas qui se réfère souvent à une la société d’« origine », qui se fige à travers le thème de l’exil, et qui se constitue comme le support d’une forme de solidarité déterritorialisée pour un projet commun, dont les ressources symboliques susceptibles de modeler un sentiment d’appartenance, de nouer des identifications plus ou moins liées à l’idée d’une « origine » commune, n’existe pas chez le Libanais.

C’est pourquoi la communauté libanaise ne peut avoir recours à une identité collective diasporique, ni en terme de projet identitaire qui est à la base des tous les réseaux transnationaux de la diaspora, ni en terme de solidarité organique. L’espace d’une diaspora est en soi un espace transnational diffus et réticulé, fait d’une multitude de noyaux dispersés, centres de communautés, et d’une multipolarité sans hiérarchie stricte. Il est évident que le lien communautaire est essentiel pour la pérennité de la diaspora.

En établissant des liens entre les membres du groupe, la communauté libanaise pourrait modifier l’organisation de la communauté en mettant en exergue des réseaux transnationaux structurés et organisés qui l’autorisent à se gérer dans sa globalité. Elle ferait en sorte d’appréhender et de cadrer les situations conflictuelles de manière à ce qu’elle puisse, le cas échéant, intervenir dans les décisions.

C’est en Diaspora là que se créent les groupes de pression (lobbys) et lui permettent de jouer de son influence à tous les niveaux inter et intra-nationale. La communauté agit en tant que partie fragmentée dans les pays d’accueil et en tant qu’agrégat au sein de la communauté. Par ailleurs, si cette fragmentation ou cet agrégat sont perçus comme une évidence des phénomènes trans-étatiques et transnationaux, on peut facilement affirmer qu’un degré d’autonomie accompagne les parties divisées ou réunies.

En France, les réseaux transnationaux essayent d’activer la dynamique communautaire libanaise mais sans succès. Etant donné l’hétérogénéité ethnico-religieuse de la diaspora libanaise, cette dernière n’arrive pas encore à tisser un lien communautaire authentique, qui transcende les dissensions religieuses et qui autorise une solidarité communautaire basée sur des critères nationalistes et impliquant une dévotion sans limites au pays. Ce lien transnational, existant chez les communautés arméniennes et juives, et qui renforce l’adhésion totale aux valeurs identitaires auprès de ses membres, est absent ou inexistant, et ce, précisément parce que l’identification religieuse est plus importante et l’appartenance locale clientéliste détruit tout processus d’unité et de cohésion

Ces communautarismes qui ont évolué dans une société basée sur le féodalisme et le clientélisme, finissent par enrayer l’appartenance au groupe et implémente un système identique à celui du pays natal. La mémoire historique, les liens communautaires libanais sont absents et ne peuvent en aucun cas renforcer la solidarité de groupe.

Bien au contraire, l’appartenance à des groupuscules socio-politiques et religieux dans le pays d’accueil, rend plus difficile l’accès à la cohésion communautaire et à la solidarité collective. Nous ne sommes pas une Diaspora, juste un agrégat de communautés individuelles.

Nadine Garabédian PHD Présidente Machrou’Watan/Nation Initiative

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1 COMMENTAIRE

  1. J’ai toujours été mal à l’aise avec l’idées d’une “diaspora” libanaise (en fait libano-syrienne, voire libano-syro-palestinienne si on remonte au 19ème siècle) pour plusieurs raisons. D’une part, et jusqu’à 1920, l’entité politique et la nationalité “libanaise” n’existaient pas encore et le terme diaspora “libanaise” est anachronique pour les émigrés de cette période, et d’autre part, un émigré perd très rapidement sa spécificité d’origine dès qu’il/elle s’installe dans son nouveau pays. Dire alors qu’il y aurait 12 millions de “Libanais” à l’étranger est aussi bizarre que de dire qu’il y aurait plusieurs centaines de millions “d’Anglais” en Amérique du Nord, ou plusieurs millions de “Français” au Canada, ou plusieurs centaines de millions de “Sénégalais”, “Guinéens” ou “Ivoiriens” aux USA. Mais pour revenir aux “Libanais”, oui, ils/elles sont d’origine du Levant et puis du Liban, sont devenus “Libanais” par les aléas de l’Histoire (beaucoup de Libanais sont originaires de Damas, du Hawran, d’Alep, ou d’ailleurs), et ils sont tous différents. Ils/elles n’ont pas d’attaches particulières au Liban une fois émigrés, le Liban ne faisant strictement rien pour les retenir, ou pour leur insuffler un moindre sentiment de communauté de destin. Mais est-ce particulier aux Libanais ? Tous les flux migratoires contemporains renvoient aux mêmes causes, aux mêmes déceptions, aux mêmes contraintes, aux mêmes discriminations. Il me semble donc illusoire de parier sur une diaspora (ou une communauté) libanaise émigrée, active pour le Liban comme projet politique et social. Il faudrait surtout se lamenter sur le fait que les forces vives du pays ne sont plus là…

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