Le 22 avril 2025, Al Sharq Al Awsat rapporte les propos du président du Parlement libanais, Nabih Berri, à la suite de l’arrestation par l’armée libanaise d’une cellule armée accusée d’avoir tiré des roquettes vers Israël depuis la région de Nabatiyeh. Dans une déclaration sobre mais ferme, Berri affirme que « les attaques israéliennes constituent une tentative manifeste de saboter l’engagement du Liban envers le cessez-le-feu ». Cette prise de position, loin d’être isolée, confirme une fois encore le rôle central qu’il joue dans la gestion des équilibres politiques et sécuritaires du pays.
À 86 ans, Nabih Berri demeure l’un des piliers de la scène politique libanaise. Président du Parlement depuis 1992, chef du mouvement Amal, allié du Hezbollah, il a survécu à toutes les configurations institutionnelles, des gouvernements d’union nationale aux périodes de vide exécutif. Il se présente comme garant de la stabilité institutionnelle, interlocuteur incontournable dans les moments de crise, mais aussi comme un acteur aux positions parfois ambivalentes, tiraillé entre le rôle d’homme d’État et celui de chef de faction.
Sa déclaration du 22 avril, reprise dans le contexte d’une montée des tensions avec Israël, reflète sa position constante : dénoncer toute agression contre le Liban tout en tentant de contenir les débordements militaires. Dans le même article, Al Sharq Al Awsat souligne que Berri évite soigneusement d’impliquer directement le Hezbollah, son allié historique, dans les affaires de sécurité frontalière, tout en appelant à la préservation de la souveraineté nationale. Ce positionnement permet à Berri de se présenter comme un modérateur, sans pour autant se distancier de la ligne de résistance défendue par son camp.
Sur le plan régional, Berri entretient des relations suivies avec les responsables syriens et iraniens. Son rôle de médiateur non officiel dans plusieurs crises régionales en a fait un interlocuteur de confiance pour Damas comme pour Téhéran. Il est également respecté par les autorités qataries, qui voient en lui un vecteur d’équilibre au Liban. Selon des sources diplomatiques citées par Al Sharq Al Awsat, il aurait récemment transmis un message confidentiel du président syrien Bachar al-Assad au chef du Hezbollah, Naim Kassem, sur la coordination à la frontière sud.
Cette fonction d’intermédiaire diplomatique contraste avec l’image de chef de clan que lui renvoient ses opposants internes. Une partie de la jeunesse chiite, notamment dans le Sud et à la Békaa, lui reproche un autoritarisme usé, une centralisation excessive et une incapacité à se renouveler. Lors des élections législatives de 2022, la liste Amal avait enregistré une baisse sensible de son score dans plusieurs circonscriptions, signe d’une érosion progressive de sa base.
Berri reste néanmoins le maître incontesté du jeu parlementaire. En tant que président de la Chambre, il détient un pouvoir de blocage sur les lois, la formation des gouvernements, et l’ordre du jour législatif. Son expérience et sa maîtrise des arcanes institutionnels font de lui un acteur clé dans les processus de négociation. Il a été l’un des principaux artisans de l’accord de Doha en 2008, du compromis présidentiel de 2016, et des concertations sur la répartition des portefeuilles ministériels jusqu’en 2023.
Mais c’est sur la question sécuritaire que son positionnement est le plus scruté. Sa condamnation des frappes israéliennes intervient toujours dans une logique de souveraineté. En avril 2025, alors que les drones israéliens multiplient les survols du Liban-Sud, Berri affirme dans une autre déclaration rapportée par le journal que « le Liban ne sera pas un terrain d’essai pour les armes de Tel Aviv ». Il appelle l’ONU à assumer ses responsabilités dans le cadre de la résolution 1701.
En coulisses, Berri est également actif dans le dialogue intercommunautaire. Son bureau au Parlement est un lieu de passage pour les leaders sunnites, druzes, maronites. Il entretient une relation fluctuante mais constante avec le patriarche maronite Bechara al-Rai. Le Vatican, selon Al Quds (22/04/2025), le considère comme un acteur fiable dans la défense du pluralisme religieux. Lors des obsèques du pape François, il devrait représenter officiellement le Parlement libanais au Vatican.
Les tensions internes au sein du camp chiite sont toutefois palpables. Depuis la nomination de Naim Kassem à la tête du Hezbollah, une certaine redistribution des équilibres est en cours. Berri conserve un poids institutionnel mais perd du terrain dans la rue et les structures informelles. Le Hezbollah cherche à affirmer son autonomie stratégique, tout en ménageant l’axe traditionnel Hezbollah-Amal. Des divergences ont été rapportées sur la gestion des fonds iraniens, la mobilisation dans les camps palestiniens et la communication autour des tirs de mars.
La figure de Nabih Berri reste aussi marquée par les accusations de clientélisme. Al Sharq Al Awsat rappelle que son nom est cité dans plusieurs rapports de la Cour des comptes libanaise sur des marchés publics attribués sans appel d’offres, notamment dans les secteurs de l’électricité et des infrastructures. Ses proches rétorquent que ces accusations sont politiquement motivées et relèvent des jeux d’équilibre habituels.
Malgré ces critiques, Berri continue d’être perçu comme une figure de stabilité. Dans un Liban fragmenté, il incarne une mémoire institutionnelle, une continuité que même ses opposants reconnaissent. Le président de la République, Joseph Aoun, entretient avec lui des relations empreintes de respect mutuel, selon plusieurs observateurs. Nawaf Salam, Premier ministre, a récemment salué « l’esprit de dialogue du président de la Chambre, indispensable dans les temps de tempête ».
Alors que le Liban entre dans une nouvelle phase d’incertitude, entre guerre régionale larvée et crise économique persistante, la question se pose de l’avenir de Berri. Compte-t-il se représenter à la présidence du Parlement après 2026 ? Prépare-t-il une succession interne au sein d’Amal ? Ou cherche-t-il à se retirer en préservant son rôle d’arbitre ? Les réponses restent floues. Mais une chose est sûre : tant que le Sud sera au cœur des tensions, Berri restera sur la ligne de front politique.