Depuis la fin de l’année 2024, plusieurs conflits armés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont connu une escalade soudaine, redessinant profondément les équilibres géopolitiques régionaux. À travers les cas de Gaza, du Yémen et du Soudan, une nouvelle cartographie de la violence semble s’imposer, structurée non plus seulement par des rivalités interétatiques, mais par des réseaux militaires asymétriques, des puissances intermédiaires et des logiques hybrides. Cette évolution marque une transformation stratégique majeure dans la nature des conflits post-arabes et dans l’ordre régional en gestation.
Le conflit à Gaza est sans doute le foyer le plus emblématique de cette redéfinition. L’offensive israélienne massive déclenchée fin 2024, et justifiée comme une « guerre de renaissance » par le Premier ministre Benyamin Netanyahou, a entraîné un niveau de destruction et de mobilisation militaire sans précédent depuis 2014. La campagne s’étend au sud jusqu’à Rafah et Khan Younès, où les pertes humaines s’accumulent. Le Hamas, malgré des pertes importantes, maintient sa capacité de riposte à travers des salves de roquettes et l’usage tactique de tunnels. Le conflit s’internationalise à travers les réactions en chaîne : intervention rhétorique du Vatican, mouvements de soutien dans le monde arabe, tensions à la frontière libanaise.
Dans cette configuration, Israël cherche à remodeler la structure même du pouvoir palestinien. Il s’agit non seulement de neutraliser le Hamas, mais de redéfinir le rapport entre Gaza, la Cisjordanie, et les dynamiques de gouvernance sous l’Autorité palestinienne. Les négociations diplomatiques, conduites en parallèle par l’Égypte et le Qatar, peinent à imposer un cadre. Les puissances européennes, bien qu’inquiètes, se contentent d’appels à la retenue. La polarisation entre camps pro-israélien et pro-palestinien devient un axe structurant du débat politique mondial.
Au Yémen, les frappes américaines intensifiées début 2025 sur les positions houthies dans la région de Saada et autour de Sanaa ont ravivé une guerre qui s’était partiellement figée depuis les accords de Stockholm. Les États-Unis justifient leur action par les attaques répétées des Houthis sur les navires marchands dans la mer Rouge, notamment ceux liés aux intérêts américains ou israéliens. La coalition arabe, bien que moins active militairement, soutient tacitement ces opérations. Les Houthis, en retour, renforcent leur arsenal de drones et leurs attaques ciblées sur les infrastructures portuaires en Arabie saoudite et aux Émirats.
Le Yémen devient ainsi un théâtre de confrontation indirecte entre les États-Unis, Israël, et l’Iran, ce dernier apportant un soutien stratégique aux Houthis. La guerre y est également une guerre économique : contrôle des couloirs maritimes, sécurisation des zones pétrolières, marchandisation du chaos. Le rôle des acteurs non étatiques y est central. Les milices locales, tribales ou islamistes, naviguent entre alliances fluctuantes, financements internationaux et logiques de survie territoriale. L’armée nationale yéménite, quant à elle, est fragmentée, sans chaîne de commandement unifiée.
Le troisième foyer majeur est le Soudan, en proie à un affrontement prolongé entre l’armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemidti. Le conflit a pris une nouvelle tournure avec la tentative des FSR de créer une structure gouvernementale dissidente à Port-Soudan, avec l’appui tacite de puissances régionales cherchant à établir un rapport direct avec cette faction. L’armée loyaliste, repliée à El Fasher et autour de Khartoum, subit une érosion de ses soutiens, tandis que les services de renseignement étrangers s’activent pour cartographier une situation devenue illisible.
Le Soudan illustre parfaitement la guerre hybride : guerre d’usure, lutte informationnelle, instrumentalisation des ONG et des civils. La partition de facto du pays devient une hypothèse sérieusement discutée dans les cercles diplomatiques africains. L’Union africaine, marginalisée, peine à mettre en œuvre une médiation crédible. L’ONU, déjà absente à Gaza et inefficace au Yémen, voit ici encore son rôle diminué. Les civils sont les premières victimes : famines, épidémies, déplacement de masse. Le pays est à la veille d’un effondrement humanitaire généralisé.
En filigrane de ces foyers se dessine une reconfiguration globale. Les États-nations traditionnels perdent leur centralité au profit d’acteurs transnationaux : milices, entreprises militaires privées, réseaux religieux armés, plateformes de désinformation. Les alliances sont devenues fluides, instables. L’Arabie saoudite et les Émirats, longtemps piliers d’un ordre conservateur, adoptent désormais des stratégies de positionnement technologique et économique, réduisant leur implication directe. Le Qatar et la Turquie, en revanche, capitalisent sur leur capacité de médiation et de présence idéologique.
L’Iran continue de jouer un rôle structurant, par l’activation de ses relais : Hezbollah au Liban, milices irakiennes, Houthis. Israël, de son côté, s’affirme comme une puissance régionale agissante, au prix d’une image internationale de plus en plus contestée. Les États-Unis, avec Trump en figure de proue, privilégient la logique du coup de force à celle du multilatéralisme. La Russie, empêtrée en Ukraine, reste en retrait, tandis que la Chine observe, testant sa capacité d’influence commerciale dans un monde instable.
Les foyers de guerre post-2024 ne sont pas indépendants. Ils communiquent, se renforcent ou se contiennent mutuellement. Une frappe à Gaza provoque une attaque au Yémen. Une déclaration à Tel Aviv déclenche un raid à Nabatiyeh. Une opération à El Fasher reconfigure les routes migratoires vers le Maghreb. Cette interconnexion impose un changement d’analyse : ce ne sont plus des guerres locales, ce sont les nœuds d’un système en recomposition.