Sous les roues d’un camion – Jean-Marie Kassab

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Il semble que l’horreur ait élu dernièrement domicile sur nos écrans. Reste à voir si elle compte le rester pour de bon et pour longtemps. Les questions fusent de toutes part, les réponses abondent elles aussi sans qu’aucune de ces reparties ou de ces analyses ne soit la bonne. Entre temps, ça continue encore et encore comme dirait Cabrel.

Comment en est-on arrivé là ? Que faire pour contrer cette violence ? Comment se protéger fut-il à titre individuel ou collectif et au niveau de l’Etat. Les méninges sont creusées, mais semblent toutes vides et à raison. Les Bagdadiens, grands champions de ce sweepstake de la violence semblent résignés. Ils ramassent leur morts, pansent leurs blessés, foulent le drapeau américain quand ils en trouvent un, puis poursuivent leur vie en nourrissant leurs enfants de haine mais surtout dans l’appréhension du prochain attentat qui guette . Les Libanais, n’en parlons pas. Ils sont devenus grands maitres du déni. Eux aussi ramassent/ enterrent/pansent etc. mais se pressent de prendre la route pour se tasser comme des sardines dans le trafic fou du pays , juste pour aller faire trempette dans une mer qu’ils ont eux-mêmes polluée, ou pour expirer leurs soucis dans un nuage doucereux de tabac de narghilé . Les syriens eux, sont trop occupés à se massacrer entre eux pour réclamer cet élan de solidarité du « Je suis telle capitale » devenu banal avec le temps. Tellement prospère comme slogan ce « je suis … », qu’il suffit dorénavant à ses créateurs de cliquer sur leur souris un petit instant pour remplacer Paris par Nice et le tour est joué.
 
Le problème est que nous sommes tous coupables, à des nuances près, directement ou indirectement. Déterminer si le commanditaire est aussi coupable que l’exécutant, un dilemme perpétuel qu’affrontent les juges, devient encore plus pertinent quand il s’agit de terrorisme. Au risque de bafouer leur mémoire, même les victimes sont coupables : ne firent-elles pas partie de cette population mondiale accusée de culpabilité ? Ne sont innocents que ces pauvres enfants à l’âme pure qui périrent une poupée serrée contre leur poitrine.
S’affairer à dépoussiérer les manuels d’histoire pour trouver les causes de ce chaos aurait pu être la meilleure manière de traiter le problème en amont, sauf qu’il semble être trop tard : la maladie du terrorisme semble bien installée et ronge notre planète . En connaitre la cause servira uniquement aux futurs patients, mais entretemps le malade présent agonise. Mais en parlant de maladie, peut-être faudrait-il cette fois s’inspirer de la médecine. Après tout la médecine est supposée guérir, or nous sommes tous souffrants. Le parallèle avec la maladie n’est pas fortuit.
 
Virus et microbes mutent et évoluent pour devenir encore plus dangereux. Le terrorisme lui aussi fait sa mutation et s’adapte : Nous sommes passés des voitures piégées, aux avions de ligne, en passant par les gilets bourrés d’explosifs , les fusillades au AK 47 au mains du terroriste haineux qui arrose des passants ou des clients de café , pour en arriver dernièrement au camion faucheur . Et Dieu sait ce que nous réserve l’avenir, je préfère ne pas y penser.
 
Virus et microbes triomphent quand l’immunité s’amoindrit. Or c’est précisément le cas de nos sociétés malades. Les budgets de défense, de sécurité, furent les premières victimes des coupes effectuées lors des crashs financiers. Sauf que les mutations ne sont pas seulement adaptatives, elles sont qualitatives aussi, parce que les terroristes eux sont bourrés de haine, contrairement aux microbes qui ne cherchent qu’à survivre dans le corps qu’ils habitent. Les terroristes « traditionnels » appuient sur le poussoir pour s’évaporer instantanément sans pouvoir jouir des effets des morts provoquées, la récompense chez les islamistes étant dans l’autre monde. Or ces terroristes mutants ont choisi de jouir du paysage des mourants qu’ils arrosent de balles avant de se faire exploser, et cela est un fait très significatif et dangereux en lui-même.
 
A examiner leurs parcours, furent-ils des étudiants aux Etats-Unis qui massacrent leurs camarades de classe ou leurs profs, ou ceux du Bataclan pour citer un exemple tout récent, ces terroristes sont des gens qui ont dysfonctionné et seraient en quête de revanche. La plupart d’entre eux, pour parler de la France ou de la Belgique, sont émigrants, ou fils d’émigrants, ayant été rejetés par la société. Les raisons de ce rejet sont multiples. Un « gap » culturel sans doute : il est beaucoup plus compliqué de vivre en France ou en Allemagne que de se la couler douce à Tunis . La société européenne ou occidentale en général bien que plus rentable financièrement à comparer aux salaires payés dans un bled Algérien, est par contre beaucoup plus exigeante. Un zest de racisme aussi : Il serait naïf que de dire que les européens, la plupart ayant eu un passé colonial, soient dépourvus de racisme. Puis entre en jeu l’instrument religieux qui utilise ces bougres que sont les terroristes, dans un but strictement politique.
 
Un expert estima dernièrement que le vrai danger réside chez les gens de Al Nosra qui manifestement ont des ambitions de contre-croisades mondiales, et non pas chez Daesh qui semble être plus brutal comme mouvement mais par contre ayant des ambitions strictement régionales. Et finalement, le déclencheur étant bien sûr l’invasion de l’Iraq et la gestion désastreuse de ce dossier par les américains . Initiative primitive en gros et dans le détail. Le bouquet final étant la crise syrienne , gérée collectivement et désastreusement par l’ensemble de la communauté internationale qui en paie actuellement le prix.
 
Pour en revenir au parcours classique des terroristes , la plupart semblent avoir puisé leur haine en Europe pour les raisons citées plus haut, puis pris le chemin de la Syrie devenue une couveuse de terrorisme ( le terme technique en anglais étant « Terrorism incubator ») pour s’y entrainer et revenir en Europe pour étancher leur soif de vengeance. Mais trêve d’histoire puisqu’elle s’est avérée inutile et retour à la médecine : Les pathologies, bien qu’ayant un tronc commun de symptôme, varient d’un corps à l’autre. Dans le cas du terrorisme, le corps humain devient pays, et les réactions des pays face aux pathologies et vice versa varient grandement.
 
La France , pays très laïc, est la terre d’accueil de millions de musulmans , de loin plus que les autres pays d’Europe. Loin de vouloir accuser cette communauté des maux actuels, ou de sombrer dans un amalgame suicidaire, il se fait que nombreux sont les terroristes issus de cette religion, justement, et on ne le répètera jamais assez : l’islamisme est un instrument politique au mains de politiciens malveillants ( au fait, y en a-t-il de bienveillants parmi eux ?) . Ceci rend la France la cible principale, tout comme la Belgique.
Quant aux Anglais, et non pas miraculeusement, s’en tirent jusque-là, mais on ne sait jusqu’à quand. Leurs services de renseignement ont toujours été très performants. Les causes réelles ou sous-jacentes du Brexit pourraient être sécuritaires. De plus leur situation insulaire les a traditionnellement protégés. Mais qui saurait prédire ?
 
Les Allemands eux, ont une grande masse de turcs émigrés. Cela les met en danger potentiellement. L’Italie est sans doute protégée par la Mafia qui contrôle les voies de la contrebande (il faut bien acheminer des explosifs de quelque part ! ) . De surcroît la Mafia déteste le terrorisme justement parce que c’est mauvais pour le « bizness ». Et pour parachever le portrait de l’Italie, la Cosa Nostra joue souvent aux gendarmes locaux, sans besoin aucun de jugement ou de « Fichier S » : une petite fusillade par ci, une exécution par là fait régner l’ordre, même si cet ordre est mafieux, ma foi.
 
La Russie a eu ses problèmes avec la Tchétchénie, mais les règle au fur et mesure à coups de contre-brutalité qui lui offre des périodes de trêve en attendant le nouvel attentat. Les Etats-Unis, cible gourmande des terroristes est immense et protégée par les infranchissables baquets d’eau que sont l’Atlantique et le Pacifique. Leur vulnérabilité est relative mais restera perpétuelle tant que leur politique sera naïve.
 
Le SIDA, ce fléau contemporain, impossible à guérir avec un seul médicament, ne fut jugulé que par la trithérapie en parallèle avec la prévention. Dans le cas du terrorisme il faudrait avoir recours à la poly-thérapie. Bombarder Daesh de la façon dont cela s’est effectué dernièrement s’est avéré insuffisant, sachant bien que ce ne serait pas le remède unique. Ignorer le fait que Daesh , Al Nusra et al , sont essentiellement des Syriens et des Irakiens impose qu’il faudra intervenir plus intelligemment dans ces deux pays. Laisser les coudées libres à l’Iran simplement parce que Monsieur Obama voudrait marquer l’Histoire avec son « nuclear deal » ou rêver des milliards de dollars que pourraient verser les mollahs en guise de commandes, attisera immanquablement les haines sunnites chiites . Laisser faire Saoudiens et consorts tout ce dont ils rêvent pour déloger Assad quittes à créer des monstres incontrôlables est littéralement irresponsable. Observer Israël en train de fomenter des guerres régionales entre musulmans des deux rites, suivant le principe de « diviser pour régner » sans intervenir ne peut que dégénérer et se répercuter sur l’occident. Garder les frontières poreuses comme elles le sont actuellement est équivalent au suicide collectif, même s’il faudrait geler le traité de libre circulation signé à Schengen le temps que l’ouragan se tasse. Protéger un strict espace national est de loin plus aisé que de barricader toute l’Europe. S’attacher aux principes valables des temps de paix signerait la mort de notre civilisation.
 
A la guerre comme à la guerre, à condition de revenir à l’ordre une fois la paix rétablie et les troupes revenues aux casernes. Or nous sommes en guerre, qu’on le veuille ou pas. Il s’agit surtout de ne pas sombrer dans l’inquisition et ses horreurs. Surtout ne pas s’inspirer de l’adage attribué souvent à tort ou à raison à l’abbé Arnaud Amaury: « Caedite eos. Novit enim Dominus qui sunt eius » ( Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens) malgré les envies qui montent du côté de l’extrémisme de droite.
 
Mais c’est là où réside le piège dans lequel il ne faudrait pas tomber, cette réaction en chaine que désirent les commanditaires : Faire mal dans le but de déclencher la fureur de la population ainsi que les préposés à la sécurité envers la communauté musulmane. Du coup provoquer l’amalgame qui en somme malmènera forcément en mettant innocents et coupables dans le même panier. Sauf que les innocents, et ils seront nombreux à réagir négativement face à cette injustice dont ils sont victimes créeront involontairement le milieu propice aux extrémistes pour engendrer d’autres extrémistes, et ainsi de suite dans un cycle infernal difficilement contrôlable. Faute de pouvoir gagner cette guerre, les islamistes provoqueront le chaos.
 
En conclusion, la fermeté s’impose, mais sans excès populistes. Une fermeté de temps de guerre, juste le temps de ramener l’ordre, quittes à mettre en taule quelques innocents. Cette fois la raison d’Etat est devenue cause de survie : On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, que serait-ce quand tout le poulailler est menacé. Un coup de bâton ferme sur les doigts des Etats qui financent tout ça. Des lois plus sévères, le temps que la menace baisse. Fermeté, fermeté et encore fermeté.
 
Messieurs les leaders de ce monde, je vous en supplie de faire ce qu’il faut pour que notre civilisation ne soit pas écrasée sous les roues d’un camion.
 
Jean-Marie Kassab.
 
Arrêtez le monde, j’ai envie de descendre ! NANCY HOUSTON

Jean Marie Kassab

Jean-Marie Kassab

 
Né en 1960 au Liban, diplômé en science  de l’Université Américaine de Beyrouth, et après une longue carrière dans différents domaines, il décide de se consacrer à son premier amour ,  la littérature,  sous ses diverses  formes. Ses écrits allient à l’unisson science et  philosophie, politique  et  histoire. Curieux de tout, son expérience de vie donne à ses récits de la profondeur, du recul et beaucoup de chaleur.
 
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