Tourisme : coup d’arrêt brutal au démarrage saisonnier

31

Chute des réservations dans les zones côtières

Dans les premières semaines de mai 2025, plusieurs hôteliers de la côte nord du Liban ont signalé une baisse significative de la demande touristique. Dans la région de Batroun, le propriétaire d’un hôtel de quarante chambres a déclaré dans Al Akhbar (6 juin 2025) que son taux de réservation n’avait pas dépassé 20 %, contre 60 % à la même période l’an passé. La même tendance a été observée à Jbeil et à Amchit. Les établissements hôteliers indépendants, souvent tenus par des familles locales, indiquent que les annulations de dernière minute se sont multipliées depuis fin avril.

Publicité

Le ralentissement touche aussi les complexes touristiques installés à proximité des plages. À Chekka, un gérant d’un resort a affirmé dans Al Liwa’ (6 juin 2025) que la majorité des clients fidèles de la diaspora n’ont pas encore confirmé leur retour pour l’été. Selon lui, la baisse est attribuée à l’instabilité sécuritaire à la frontière sud, à la cherté des billets d’avion et au climat d’incertitude politique. Cette situation a conduit plusieurs opérateurs à reporter l’ouverture de leurs infrastructures.

Les chiffres collectés par les syndicats professionnels dans la région confirment ce recul. Dans un entretien cité par Al Joumhouriyat (6 juin 2025), un responsable du syndicat des hôteliers du Mont-Liban évoque une baisse de 45 % du taux d’occupation moyen pour mai, en comparaison avec les données de 2024. Il précise que cette diminution concerne aussi bien les établissements de standing que les auberges économiques. Il estime que la reprise attendue après les vacances de fin d’année n’a pas eu lieu.

Tourisme rural et culturel en repli

Les zones de montagne et les villages qui comptaient sur le tourisme intérieur font également face à une saison difficile. Dans les caza de Bcharré et du Chouf, les responsables de maisons d’hôtes notent une fréquentation bien inférieure aux prévisions. Al Bina’ (6 juin 2025) cite un exploitant du secteur qui explique que la plupart des réservations concernent des séjours courts, d’un à deux jours, et non les longs week-ends habituels du début de l’été.

La crise économique prolongée semble freiner le tourisme domestique. Plusieurs familles libanaises, qui avaient pris l’habitude de louer des chalets ou des gîtes pour quelques jours, y renoncent cette année. Les coûts de transport et de restauration, combinés à la hausse des prix dans les commerces, rendent ces escapades plus difficiles à financer. Des restaurateurs dans les zones de Deir el-Qamar et Ehden rapportent une diminution marquée de la clientèle locale.

Dans les circuits de tourisme culturel, le constat est identique. Des visites guidées prévues pour des groupes de la diaspora ou des expatriés ont été annulées. Un guide professionnel interrogé par Al Sharq (6 juin 2025) affirme que la moitié de ses contrats pour le mois de juin ont été suspendus. Selon lui, la clientèle potentielle hésite à finaliser ses séjours en raison du contexte général d’incertitude, notamment les tensions frontalières et la stagnation économique.

Transport touristique et agences en difficulté

Les agences de voyage libanaises enregistrent elles aussi un recul notable de leur activité. D’après un responsable cité dans Ad Diyar (6 juin 2025), les réservations de séjours groupés depuis les pays du Golfe ont chuté de plus de 50 % en comparaison avec mai 2024. Les clients résidant au Koweït, au Qatar et en Arabie saoudite sont moins nombreux à planifier des vacances au Liban. Le responsable évoque des inquiétudes liées à la stabilité sécuritaire, ainsi que des contraintes logistiques liées aux vols.

Du côté des transporteurs touristiques, la situation est jugée alarmante. Les sociétés de location de véhicules avec chauffeur enregistrent des taux d’activité très faibles. Dans Nida’ Al Watan (6 juin 2025), un exploitant d’autocars spécialisés pour les groupes déclare que seul un tiers de sa flotte est actuellement en service. Les autres véhicules sont à l’arrêt, faute de contrats confirmés. Il signale également que plusieurs guides touristiques professionnels se retrouvent sans mission, malgré des formations récentes soutenues par des ONG.

Les acteurs du secteur craignent une spirale de désengagement progressif. Le ralentissement touche aussi les locations de courte durée dans la capitale. Les propriétaires de logements meublés sur des plateformes numériques indiquent que les requêtes pour juillet restent rares. L’absence de visibilité sur la demande entrave la planification des investissements nécessaires à la maintenance et à l’accueil.

Facteurs multiples et absence de stratégie d’urgence

Les causes de ce ralentissement sont diverses. En premier lieu, la situation régionale, notamment les tensions accrues à la frontière sud du pays, inquiète une partie des voyageurs. Plusieurs articles de presse notent que des tours opérateurs européens ont suspendu leurs programmes vers le Liban depuis avril 2025. Ce retrait a des conséquences directes sur les flux entrants. À cela s’ajoute un contexte local difficile : la dégradation continue des services publics, les pénuries d’électricité dans certaines régions, et les problèmes de collecte des déchets dans certaines zones côtières comme Saïda ou Tripoli.

Le climat politique intérieur, marqué par l’absence de réformes tangibles et les tensions entre institutions, alimente aussi un sentiment général d’instabilité. Les acteurs du tourisme déplorent l’absence de plan national d’urgence. Selon un article d’Al 3arabi Al Jadid (6 juin 2025), plusieurs fédérations professionnelles avaient demandé en avril des mesures d’accompagnement pour relancer la saison : exonérations temporaires de taxes, aides à la promotion touristique, soutien aux PME du secteur. Aucune de ces demandes n’a encore été satisfaite.

Un autre facteur évoqué par les experts est le coût croissant du transport aérien. Les tarifs des vols en direction de Beyrouth ont augmenté de 30 % en moyenne sur les deux derniers mois, selon des données rapportées dans Al Quds (6 juin 2025). Cette hausse, combinée à la baisse du pouvoir d’achat dans les pays d’origine de la diaspora, dissuade de nombreux voyageurs. De plus, les compagnies low-cost limitent leurs dessertes vers le Liban en raison de l’incertitude géopolitique.

Répercussions économiques immédiates

Les effets de ce ralentissement sont déjà visibles dans l’économie locale. Les petits commerçants, notamment dans les souks traditionnels de Tyr, Saïda et Zahlé, font état d’une baisse de leurs ventes. Dans Nida’ Al Watan (6 juin 2025), un vendeur de souvenirs affirme que ses revenus pour le mois de mai ont été divisés par trois. Les cafés et restaurants situés dans les centres historiques connaissent une fréquentation réduite. Certains ont réduit leurs horaires d’ouverture.

Les recettes fiscales provenant du secteur touristique risquent également de chuter. Dans un rapport relayé par Al Joumhouriyat (6 juin 2025), un économiste indépendant estime que la contribution directe du tourisme au PIB pourrait passer en dessous de 2 % pour le deuxième trimestre, contre 3,5 % au même trimestre en 2023. Cette contraction affaiblit davantage une économie nationale déjà marquée par l’atonie des exportations et les blocages de la restructuration bancaire.

Les syndicats du secteur affirment que des licenciements ont déjà commencé dans certaines chaînes hôtelières et agences de voyage. La précarité de l’emploi dans le tourisme rend ces pertes particulièrement sensibles. Plusieurs professionnels travaillent de manière saisonnière ou sans contrat formel, ce qui limite leur accès aux mécanismes de protection sociale. Certains opérateurs envisagent de suspendre temporairement leur activité en attendant un redressement du marché.

Perspectives à court terme incertaines

À ce stade, aucun plan de redressement n’a été communiqué par le ministère du Tourisme. Les fédérations professionnelles multiplient les appels à un dialogue avec les autorités, mais les réunions organisées en mai n’ont pas débouché sur des annonces concrètes. Dans Al Akhbar (6 juin 2025), un responsable syndical affirme que les autorités semblent « ignorer l’urgence de la situation ». Il regrette l’absence de coordination entre les ministères concernés, notamment le Tourisme, l’Économie et les Transports.

La diaspora libanaise, traditionnellement moteur de la haute saison, ne donne pas non plus de signes clairs de mobilisation. Les agences spécialisées dans les voyages communautaires ne constatent pas de hausse des réservations. Cette stagnation pourrait compromettre l’ensemble du trimestre estival. Le retard pris dans les réservations est difficilement rattrapable selon les professionnels.

Le manque d’initiatives de promotion touristique, au niveau national ou international, est également critiqué. Aucun plan de communication ciblé n’a été mis en œuvre pour rassurer les voyageurs étrangers ou pour valoriser les destinations locales alternatives. Le seul site de l’Office du Tourisme n’a pas été mis à jour depuis plusieurs mois, selon un article d’Al Quds (6 juin 2025).

Mobilisation partielle des acteurs locaux

Certains maires ou conseils municipaux tentent de sauver la saison. À Tannourine, à Bhamdoun ou dans le Metn, des festivals locaux sont maintenus pour attirer les visiteurs. Toutefois, ces initiatives restent dispersées et ne bénéficient d’aucun soutien structurel. Les offices de tourisme locaux manquent de budget pour assurer une visibilité suffisante. Les restaurateurs qui avaient misé sur la saison estivale ralentissent leurs recrutements ou renoncent à embaucher du personnel temporaire.

Le secteur touristique, malgré son potentiel, se trouve dans une impasse. Les obstacles conjoncturels s’ajoutent à des faiblesses structurelles anciennes. Le manque d’investissement public, la faiblesse de la régulation, la dépendance au contexte régional et l’absence de vision stratégique fragilisent la capacité de réponse rapide du secteur.