FINUL sous tension : Paris et Washington en duel à Beyrouth

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Le Liban devient une fois de plus le théâtre d’un affrontement diplomatique de grande ampleur. À quelques jours d’un vote crucial au Conseil de sécurité des Nations unies, la visite annoncée de deux émissaires de premier plan à Beyrouth — Jean-Yves Le Drian, représentant spécial de la France, et Thomas Barrack, envoyé américain pour le Moyen-Orient — illustre la profondeur des désaccords entre les capitales occidentales sur le sort à réserver à la FINUL. Alors que Paris plaide pour une stabilisation maîtrisée de la mission onusienne dans le Sud, Washington pousse à un redéploiement rapide, voire à une réduction significative du dispositif. Dans cet entre-deux, le Liban tente de préserver une position autonome, au prix d’un délicat exercice d’équilibrisme.

Deux messagers, deux visions stratégiques

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La venue simultanée de Le Drian et Barrack n’est pas un hasard de calendrier. Elle répond à l’urgence d’une situation où le consensus international menace de s’effondrer. Dans les couloirs du pouvoir à Beyrouth, cette double visite est interprétée comme un ultime effort de coordination avant le Conseil de sécurité. L’objectif officiel est d’évaluer les marges de manœuvre du gouvernement libanais face à une recomposition potentielle du mandat de la FINUL. Mais, derrière cette apparente concertation, se cachent deux approches fondamentalement différentes.

Jean-Yves Le Drian, fort de son expérience sur le dossier libanais, arrive avec une feuille de route visant à préserver l’ancrage onusien dans le Sud. Pour Paris, l’enjeu n’est pas seulement sécuritaire : il est aussi symbolique et politique. La FINUL représente une présence internationale rassurante pour l’Europe, et une garantie de stabilité à la frontière sud. Le Drian propose de renforcer les synergies entre les contingents onusiens et l’armée libanaise, sans bouleverser l’architecture actuelle du déploiement.

À l’opposé, Thomas Barrack incarne une inflexion plus radicale de la politique américaine. L’émissaire de Donald Trump ne cache pas sa volonté de repenser en profondeur le rôle de la FINUL. Washington estime que la mission onusienne n’a plus la capacité d’empêcher le réarmement du Hezbollah et que son maintien expose inutilement les soldats à des risques sans impact réel sur le terrain. Le mot d’ordre américain est clair : désengagement progressif, sécurisation des troupes et concentration des efforts sur des bases moins exposées.

Un Liban sous pression croisée

Pris entre ces deux logiques, le Liban tente de maintenir un discours d’indépendance, tout en négociant au mieux ses intérêts dans un contexte de grande fragilité. Le pays, en proie à une crise économique et institutionnelle sans précédent, ne dispose ni de l’unité politique ni des leviers diplomatiques pour imposer sa ligne. La présidence tente d’aligner les institutions sur une posture de souveraineté défensive, mais les divergences au sein du gouvernement affaiblissent sa marge de manœuvre.

Les milieux diplomatiques à Beyrouth confirment que le président Joseph Aoun suit personnellement le dossier, soucieux de ne pas voir la mission onusienne transformée sans son aval. Il considère que tout redéploiement décidé unilatéralement affaiblirait la souveraineté nationale et exposerait le Sud à une montée des tensions. En parallèle, certains ministères adoptent une attitude plus pragmatique, estimant qu’il vaut mieux négocier un ajustement que subir un désengagement brutal.

Un Conseil de sécurité à haut risque

Le Conseil de sécurité des Nations unies, qui doit se prononcer sur le renouvellement du mandat de la FINUL, est désormais au cœur de toutes les attentions. Les tractations diplomatiques s’intensifient entre les membres permanents. Paris, qui assume la coordination du texte de résolution, cherche à bâtir une majorité autour d’un compromis : maintien de la mission, mais avec une clause de renforcement des capacités de l’armée libanaise et une supervision plus étroite des opérations.

Washington, en revanche, pousse à l’intégration de clauses plus strictes, visant à réduire la liberté de mouvement des contingents, à restreindre les zones de déploiement, et à instaurer un calendrier implicite de retrait. Cette position est soutenue discrètement par certains alliés régionaux, notamment Israël, qui reproche à la FINUL de ne pas entraver les mouvements du Hezbollah dans la zone tampon.

Face à ces tensions, la Russie et la Chine défendent une ligne de continuité, refusant tout changement substantiel du mandat sans accord explicite des autorités libanaises. Elles s’opposent à toute formulation qui pourrait être perçue comme un blanc-seing à une action militaire israélienne future.

La France en médiatrice prudente

Dans ce bras de fer, la diplomatie française tente d’endosser le rôle d’intermédiaire. Jean-Yves Le Drian multiplie les contacts avec les responsables libanais, mais aussi avec les autres partenaires européens, pour rallier un front de soutien à une solution de compromis. Paris craint qu’un effondrement du consensus onusien n’entraîne un vide sécuritaire au Liban-Sud, avec des répercussions immédiates sur l’équilibre régional.

Les autorités françaises insistent sur le fait que la FINUL n’est pas une fin en soi, mais un levier diplomatique indispensable pour contenir les tensions entre le Liban et Israël. La mission onusienne a certes ses limites, mais elle constitue, selon Paris, un garde-fou précieux dans un environnement où toute escalade militaire pourrait être irréversible.

Une Amérique tournée vers le désengagement

De son côté, l’administration Trump fait valoir des impératifs budgétaires et stratégiques. Le retrait progressif des troupes américaines de certains théâtres d’opérations, combiné à une volonté de redéfinir les priorités en matière de sécurité régionale, pousse Washington à réduire son exposition dans des zones jugées secondaires. Le Liban en fait partie.

Thomas Barrack, en privé, aurait indiqué que les États-Unis n’envisagent plus de financer des missions multilatérales qui ne servent pas directement leurs intérêts. Il plaide pour une redéfinition du mandat de la FINUL, avec une réorientation des moyens vers d’autres zones de crise, notamment en mer Rouge ou dans le Golfe.

Un jeu d’équilibre diplomatique pour le Liban

Le gouvernement libanais se trouve dès lors confronté à une équation complexe : défendre un dispositif sécuritaire qui garantit une forme de stabilité au Sud, sans froisser ses partenaires internationaux. Le ministre des Affaires étrangères aurait proposé, en coordination avec le président, un document de travail exposant les lignes rouges du Liban : maintien du mandat, refus de toute restriction unilatérale des mouvements des casques bleus, et renforcement du rôle de coordination avec l’armée.

Mais ces garanties suffiront-elles à convaincre les États-Unis ? La question reste ouverte. D’autant que les émissaires occidentaux ne cachent plus leur impatience. Ils exigent des gestes forts de la part de Beyrouth, notamment sur la maîtrise des groupes armés non étatiques, condition implicite à tout soutien futur.

Une diplomatie de crise, entre chantage et coopération

Dans les cercles diplomatiques libanais, certains voient dans la venue de Barrack un message clair : le Liban doit choisir entre coopération renforcée et marginalisation progressive. Le Drian, plus mesuré, tente d’éviter cette alternative binaire, mais ne peut éluder la pression américaine. La France se retrouve ainsi à jouer un rôle d’amortisseur, sans disposer de tous les leviers.

Le Liban, quant à lui, navigue à vue. Conscient de sa faiblesse structurelle, il cherche à gagner du temps, à négocier des clauses souples, à conserver une présence internationale sans céder sur l’essentiel : la maîtrise de ses décisions souveraines.