Le leader druze libanais Walid Joumblatt, accompagné d’une délégation, a rencontré ce dimanche à Damas Ahmad al-Sharaa, ancien chef rebelle syrien désormais engagé dans la transition politique de son pays. Cette réunion, marquée par des discussions sur les relations bilatérales et les enjeux régionaux, ouvre la voie à un dialogue prometteur entre les deux pays.
Une salutation aux victoires syriennes
Lors de cette rencontre, Walid Joumblatt a exprimé son respect pour les avancées politiques et militaires réalisées par les Syriens dans leur lutte contre la tyrannie. « Nous saluons le peuple syrien pour ses grandes victoires et vous pour la bataille que vous avez menée afin de vous libérer de l’oppression », a déclaré Joumblatt à son homologue syrien. Ces propos témoignent d’une volonté d’encourager la stabilité en Syrie tout en réaffirmant les souffrances partagées par les deux nations face aux défis géopolitiques, notamment l’expansionnisme israélien.
Restauration des relations bilatérales et justice pour les victimes
Joumblatt a souligné la nécessité d’un retour à la normale dans les relations entre le Liban et la Syrie. Il a également plaidé pour que justice soit rendue aux victimes des conflits et des violations passées. « Je vais soumettre un mémorandum sur les relations libano-syriennes », a-t-il annoncé, en insistant sur l’importance d’une reddition des comptes et de procès équitables pour les auteurs de crimes contre les peuples libanais et syrien.
Cette initiative semble indiquer une tentative de bâtir des bases solides pour un partenariat futur, tout en traitant les questions épineuses héritées de décennies de conflits et de tensions entre les deux voisins.
Les assurances d’Ahmad al-Sharaa sur la souveraineté libanaise
En réponse, Ahmad al-Sharaa, qui se fait désormais appeler par son véritable nom après avoir été connu sous le pseudonyme d’Abou Mohammad al-Jolani, a affirmé l’engagement du nouveau leadership syrien envers une politique de non-ingérence au Liban. « La nouvelle Syrie n’exercera aucune interférence négative au Liban et respectera sa souveraineté », a-t-il déclaré.
Il a ajouté que la Syrie respecterait l’unité territoriale et la stabilité sécuritaire du Liban, tout en soutenant son indépendance. Cette déclaration marque un changement de ton par rapport à l’histoire récente, où les relations entre les deux pays ont souvent été marquées par des tensions et des interventions.
Walid Joumblatt et ses relations avec Damas : un historique complexe entre alliances et revirements
Les relations entre Walid Joumblatt, leader druze libanais, et les régimes syriens successifs sous Hafez el-Assad et Bachar el-Assad reflètent une dynamique politique complexe, marquée par des visites régulières à Damas, un soutien stratégique à l’occupation syrienne du Liban, et des changements d’alliances dictés par les contextes régionaux. Ce parcours illustre la capacité de Joumblatt à naviguer dans les méandres de la politique libanaise et régionale.
Les années Hafez el-Assad : l’alliance pragmatique
Durant les années de la guerre civile libanaise (1975-1990), Walid Joumblatt a entretenu une relation étroite avec le président syrien Hafez el-Assad. Ces liens étaient principalement dictés par les intérêts stratégiques du leader druze, qui cherchait à sécuriser le soutien syrien dans la lutte pour le contrôle des montagnes du Chouf et la survie politique de la communauté druze.
Les premières visites de Joumblatt à Damas ont eu lieu dans ce contexte de guerre, où l’intervention syrienne au Liban était perçue comme un facteur stabilisateur pour ses alliés locaux. Joumblatt a soutenu l’entrée des troupes syriennes au Liban en 1976 sous le mandat de la Force arabe de dissuasion, permettant à la Syrie d’imposer sa présence militaire et politique dans le pays.
Malgré des tensions occasionnelles, notamment sur la gestion des accords de Taëf en 1989, qui ont mis fin à la guerre civile, Joumblatt a maintenu son alignement avec le régime de Hafez el-Assad. Il voyait en la Syrie un acteur incontournable capable de maintenir l’équilibre des forces au Liban. Cette posture pragmatique était renforcée par l’opposition commune de Joumblatt et de Damas à l’influence israélienne dans le Sud-Liban.
Les années Bachar el-Assad : le virage ambigu
Avec l’accession de Bachar el-Assad au pouvoir en 2000, Joumblatt a continué à se rendre régulièrement à Damas, exprimant initialement son soutien au nouveau président. En public, il a justifié la présence syrienne au Liban comme un « facteur de stabilité », malgré des critiques croissantes au sein de la société libanaise, qui voyait cette occupation comme une entrave à la souveraineté nationale.
En 2004, Joumblatt a soutenu la prorogation controversée du mandat du président libanais Émile Lahoud, une décision largement perçue comme imposée par la Syrie. Cette position, critiquée par ses adversaires politiques, a illustré la loyauté tactique de Joumblatt envers Damas à une époque où le régime syrien exerçait un contrôle direct sur la politique libanaise.
Le basculement après l’assassinat de Rafic Hariri
Le tournant majeur dans les relations entre Joumblatt et le régime syrien s’est produit après l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005. Ce meurtre, attribué par une grande partie de l’opinion publique libanaise à la Syrie, a marqué le début d’une rupture ouverte entre Joumblatt et Bachar el-Assad.
Dans le contexte de la Révolution du Cèdre et du retrait des troupes syriennes en 2005, Joumblatt a adopté une rhétorique virulente à l’encontre de Damas, qualifiant Bachar el-Assad de « tyran ». Cependant, son soutien passé à l’occupation syrienne a été largement critiqué par ses opposants, qui y voyaient une contradiction dans sa posture de défenseur de la souveraineté libanaise.
Retour à Damas : entre réalisme politique et besoin de stabilité
Malgré cette rupture, Joumblatt a opéré un nouveau rapprochement avec Bachar el-Assad en 2010, alors que les tensions régionales et la montée en puissance du Hezbollah rendaient inévitable une révision de ses alliances. Cette visite, perçue comme une tentative de rétablir des liens pragmatiques avec Damas, a été largement médiatisée. Joumblatt a alors déclaré que son hostilité passée envers le régime syrien était liée à des circonstances spécifiques et qu’il cherchait désormais à tourner la page pour stabiliser la situation au Liban.
Joumblatt, un acteur insaisissable
Walid Joumblatt reste une figure insaisissable de la politique libanaise, capable de se repositionner selon les dynamiques locales et régionales. Ses visites à Damas, que ce soit sous Hafez ou Bachar el-Assad, reflètent un pragmatisme politique axé sur la survie et l’équilibre des forces. Toutefois, son soutien passé à l’occupation syrienne du Liban reste un point sensible dans son héritage politique, suscitant à la fois admiration pour sa résilience et critiques pour ses volte-face.



