Citoyens, Amis,
En cette douloureuse journée, je vous écris en partageant la souffrance de tous les Libanais, ceux de la Nation meurtrie et ceux de la diaspora ; tous ont été choqués et bouleversés par ce jour funeste du 12 février 2022. Peut-être certains d’entre vous se souviennent-ils encore de ce qui s’est passé ce jour-là, tandis que d’autres l’ont sans doute oublié, anéantis sous le poids des catastrophes et des crises successives qui ont frappé le Liban ces dernières années, du bombardement du port de Beyrouth par l’aviation militaire à la plus grande opération de vol planifiée et orchestrée de dépôts bancaires, tout cela œuvre de la mafia politique, économique et religieuse, détruisant l’avenir du pays et des générations futures.
Par respect pour toutes les victimes des guerres tombées entre 1975 et 2025, pour les blessés, les handicapés, les déplacés dans leur propre pays, et tous ceux qui ont dû quitter la patrie à contrecœur,
Par respect pour ceux qui ont défendu le Liban, ont porté le flambeau et se sont battu pour son existence,
Par respect pour tous ceux qui, depuis la naissance de la République libanaise, ont œuvré pour son indépendance, sa souveraineté et l’unité de son territoire,
Par respect pour les martyrs de la liberté de la presse du 6 mai 1916,
Par respect pour les Pères Fondateurs, qui depuis 1842 ont placé la clé de voûte du Liban moderne, notre Nation, qui ont tracé ses frontières, instauré un système politique et fiscal, affirmé son identité, sa langue, son droit, son budget et ses institutions, au prix d’un travail acharné pour préserver les intérêts du Liban et défendre son existence.
Pour toutes ses raisons nous ne pouvons pas oublier le 12 février 2022. Au vu des faits qui viennent d’être présentés, pour d’autres raisons, le devoir de mémoire s’impose.
Trois ans se sont écoulés depuis cette funeste date, dont les conséquences néfastes perdurent alors que nous continuerons à en payer le prix pendant des décennies. C’est un jour d’échec absolu, le jour où la vérité a été pervertie au profit du mensonge et de l’hypocrisie. C’est le jour où le Liban a été abandonné, où sa terre, ses eaux et avec elles ses ressources hydrauliques, ses frontières et ses richesses ont été livrées à Israël, sans aucune contrepartie. C’est le jour où un seul homme, entouré de vils et abjects conseillers corrompus et vendus, a, d’une manière inédite dans l’histoire de l’humanité, décidé du sort de toute une nation pour les temps à venir. Jamais une nation, ni en Orient ni en Occident, n’avait renoncé ainsi à sa souveraineté territoriale et à ses frontières. Sans doute est-ce l’acte d’un homme fou et insensé ou l’acte d’un traître qui a trahi le pays et les citoyens. Et ce, sans la moindre hésitation. Il est le père de la Trahison qui a accepté le projet de démembrer les frontières maritimes et terrestres, projet préparé au long d’une vingtaine d’années par celui que j’ai appelé la mère de la Trahison. Ce jour-là en effet, le 12 février 2022, la trahison a été consommée, et il ne nous reste plus qu’à constater la perte irréparable qu’elle a produite.
Je me suis souvent demandé, comment il est possible qu’une seule personne ait pu céder la souveraineté de l’État en offrant 1 450 km² de son territoire à un autre État, ennemi assurément. Oui, à un État qui deux ans auparavant avait bombardé le port de Beyrouth, tué des centaines de personnes, blessé des milliers d’autres et détruit l’infrastructure de la Nation, et en corollaire tant de bâtiments historiques ! En lieu et place d’une riposte juridique et diplomatique, nous avons assisté à la remise d’une récompense invraisemblable, à une reddition inimaginable, à une trahison d’ampleur historique. Le président de la République, au lieu de défendre la Constitution et la souveraineté du Liban, a décidé de livrer un droit souverain du peuple libanais à Israël, en l’annonçant publiquement par voie de presse. Il a ainsi délaissé le tracé de la ligne 29, qui respecte le droit international et précise le départ du dernier point de la frontière terrestre, au profit de la ligne 23, anticonstitutionnelle et ne respectant aucune loi ni droit. Et c’est ainsi que fut signé le 27 novembre 2022 l’accord des frontières maritimes, que dès le premier jour de l’accord j’ai qualifié de honte, d’humiliation et de soumission.
Le 12 février est le Jour de la Trahison :
• Trahison de la Constitution
• Trahison de l’Histoire
• Trahison de la géographie
• Trahison des conventions et des traités internationaux
• Trahison des principes fondamentaux
• Trahison du droit international
• Trahison de la démocratie
• Trahison du peuple libanais
• Trahison de la vérité
• Trahison de la Déclaration universelle des droits de l’homme
• Trahison de l’identité nationale
• Trahison de l’identité arabe
• Trahison de la civilisation et de la culture libanaises
• Trahison des Pères Fondateurs
• Trahison de la modernité et du progrès
• Trahison du rôle du Liban au Proche-Orient
• Trahison du passé, du présent et de l’avenir
• Trahison de la liberté
• Trahison de l’indépendance
Depuis 2024 et 2025, nous assistons à l’occupation et la destruction des villes et villages par l’armée israélienne un peu partout au Liban, aux bombardements de civils et des innocents, au déplacement forcé de populations, à l’appropriation des ressources hydrauliques et à l’occupation des fermes de Chebaa, et surtout au non-respect de la frontière internationale terrestre telle que stipulée dans l’accord de l’armistice signé le 23 mars 1949 avec Israël. Mais depuis quand Israël respecte un accord ou un traité fût-il signé ? Tout ce chaos est la conséquence directe de la déclaration faite le 12 février 2022 et de la trahison actée ce jour-là. Le 27 octobre 2022, l’accord des frontières maritimes a été signé, et 1450 km2 ont été usurpés.
Tous ceux qui ont négocié, planifié, facilité et ratifié cet accord – présidents, Premiers ministres, ministres, députés, partis politiques, institutions religieuses et ordres professionnels – portent la même responsabilité. Leurs existences s’avèrent complètement inutiles pour défendre les intérêts du pays. Ils sont complices du crime le plus grave jamais commis contre le peuple libanais. Que ce soit celui qui a prononcé et œuvré pour cette trahison, ou celui qui s’est tu n’osant ou ne voulant rien dire, ils sont tous les deux faces d’une même monnaie. Tous, sans exception, sont des traîtres.
Le 12 février 2022, nous avons enregistré une victoire absurde : nous avons abandonné nos frontières terrestres et maritimes, nous avons cédé le point stratégique B1, dernier point de la frontière terrestre situé à Ras Al-Nakourra, et nous avons délaissé un territoire montagneux libanais, les fermes de Chebaa, occupé par l’armée israélienne depuis des décennies sans même négocier une fin de l’occupation ni exiger la reconnaissance de nos droits et la réparation de tous les malheurs et destructions faites par Israël au long de ces années.
Le Liban a collectionné les défaites… toutes contre lui-même. Guerres, divisions et corruptions, surtout une volonté belliciste sans limite de la part d’Israël qui ne souhaite pas vivre en paix avec les pays frontaliers, sinon en pillant leurs ressources, menaçant toute vie, au point de se retrouver en fin de compte le plus vil de ses vassaux. Pour cela le jour du 12 février est le Jour de la Trahison. Reste à savoir qui, depuis l’an 2000, a préparé et orchestré ces projets amers au profit d’Israêl ? Celui-là est le premier ennemi du Liban.
Un pays sans mémoire est un peuple sans culture. Un pays sans souveraineté est un peuple sans avenir. Un pays sans frontières est un peuple sans existence.
Saïd Chaaya
Historien