Les récents accords entre l’Iran et l’Arabie saoudite, rétablis sous l’égide de la Chine, marquent un tournant potentiel dans les relations du Moyen-Orient. Longtemps adversaires sur les plans idéologique et géopolitique, ces deux puissances régionales semblent engagées dans une tentative de dialogue pour réduire les tensions et stabiliser la région. Cependant, les défis liés à la mise en œuvre de ces accords et leurs implications régionales demeurent considérables.
Un rapprochement inattendu
Le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite en mars 2023 a surpris de nombreux observateurs. Initiée par une médiation chinoise, cette normalisation met fin à une rupture de relations qui durait depuis 2016, lorsque l’ambassade saoudienne à Téhéran avait été attaquée à la suite de l’exécution d’un dignitaire chiite en Arabie saoudite.
L’accord signé à Pékin prévoit non seulement la réouverture des ambassades, mais aussi un engagement mutuel à ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de l’autre, une source majeure de tension par le passé. En outre, les deux pays ont exprimé leur volonté de coopérer sur des questions régionales, notamment la guerre au Yémen.
Les enjeux régionaux : le cas du Yémen
La guerre au Yémen est l’un des principaux théâtres de la rivalité irano-saoudienne. L’Iran soutient les rebelles Houthis, tandis que l’Arabie saoudite mène une coalition pour soutenir le gouvernement reconnu par la communauté internationale. Ce conflit, qui dure depuis 2015, a causé une crise humanitaire majeure, fragilisé la stabilité de la région et coûté des milliers de vies.
Les précédentes tentatives de médiation au Yémen, menées par les Nations Unies et d’autres acteurs régionaux, ont souvent échoué en raison d’un manque de confiance entre les parties et de l’absence de compromis sur des questions clés, telles que le partage du pouvoir et le contrôle des territoires stratégiques.
L’accord irano-saoudien offre une opportunité de désescalade au Yémen. Déjà, des pourparlers ont eu lieu entre les représentants des Houthis et des responsables saoudiens, laissant entrevoir un potentiel cessez-le-feu. Cependant, des scepticismes persistent quant à la capacité des deux puissances à influencer directement les acteurs locaux, dont les intérêts divergent parfois des agendas nationaux.
L’influence chinoise et le repositionnement géopolitique
L’un des aspects les plus notables de cet accord est le rôle central de la Chine en tant que médiateur. Cela reflète le repositionnement géopolitique en cours dans la région, où les États-Unis, autrefois acteurs dominants, ont vu leur influence diminuer.
La Chine, principal partenaire commercial de l’Iran et de l’Arabie saoudite, a su capitaliser sur ses relations économiques pour se poser en médiateur crédible. Ce succès diplomatique renforce son image en tant qu’acteur global, tout en réduisant la dépendance régionale envers Washington. En 2024, Pékin a déjà montré son engagement dans la région en concluant plusieurs accords économiques stratégiques avec des pays du Golfe, consolidant ainsi sa présence dans le Moyen-Orient élargi.
Pour la Chine, jouer un rôle dans ce rapprochement n’est pas seulement une question diplomatique. L’instabilité dans le Golfe Persique met en péril ses approvisionnements en pétrole, cruciaux pour son économie. En facilitant une détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite, Pékin sécurise indirectement ses propres intérêts énergétiques et commerciaux.
Défis liés à l’idéologie et à la méfiance mutuelle
Malgré l’optimisme suscité par cet accord, des obstacles importants subsistent. Les deux pays restent profondément divisés sur le plan idéologique, l’Iran étant une théocratie chiite, tandis que l’Arabie saoudite est un royaume sunnite conservateur.
Cette divergence religieuse alimente depuis des décennies des conflits par procuration dans des pays comme la Syrie, le Liban et l’Irak. Ces divisions sont enracinées dans des siècles d’histoire et exacerbées par des ambitions géopolitiques concurrentes. Bien que l’accord puisse réduire les tensions directes, il est peu probable qu’il élimine entièrement ces rivalités.
La méfiance mutuelle entre Téhéran et Riyad complique également la mise en œuvre d’une coopération durable. Les dirigeants saoudiens restent préoccupés par le programme nucléaire iranien, tandis que l’Iran accuse Riyad de financer des groupes hostiles dans des zones d’influence chiite.
Implications pour le Liban et la Syrie
Le Liban, où le Hezbollah joue un rôle central, pourrait être indirectement affecté par ce rapprochement. Soutenu par l’Iran, le Hezbollah pourrait voir sa position évoluer si Téhéran décide de réduire son soutien militaire en faveur de la coopération économique avec Riyad.
En Syrie, où l’Iran et l’Arabie saoudite soutiennent des camps opposés, un apaisement des tensions pourrait accélérer les efforts de reconstruction. Des discussions sur la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe, favorisées par Riyad, pourraient également être facilitées par cet accord.
Opportunités économiques : pétrole et commerce
Le rapprochement irano-saoudien offre également des opportunités économiques. L’Iran, isolé par des sanctions internationales, pourrait bénéficier d’un soutien saoudien pour intégrer à nouveau le marché pétrolier mondial. De son côté, Riyad pourrait diversifier ses alliances économiques et renforcer sa position en tant que leader régional.
Le cadre économique de cet accord inclut potentiellement des projets d’infrastructure régionaux, tels que des pipelines reliant les deux pays ou des corridors commerciaux traversant le Golfe. Ces initiatives pourraient non seulement renforcer la coopération bilatérale, mais aussi favoriser le développement économique de la région.
Perspectives à moyen terme
Si cet accord marque une étape importante, sa pérennité dépendra de plusieurs facteurs, notamment la capacité des deux pays à gérer leurs différends de manière constructive. La pression internationale, en particulier des États-Unis, pourrait également jouer un rôle en influençant les engagements de Riyad et de Téhéran.
À moyen terme, le succès de cet accord pourrait inspirer d’autres initiatives de dialogue dans la région, contribuant à une stabilité plus large. Toutefois, un échec aurait l’effet inverse, renforçant les divisions et aggravant les tensions existantes.