D’accord tu as déclaré la guerre au genre humain qui lui, en revanche, a bien du mal à reconnaître que les armes que sa science tente de mettre au point pour te combattre ne fond pas le poids avec celles, sournoises et secrètes, qui sont les tiennes. Tout ce que l’humain a réussi jusque là, c’est se barricader pour ralentir tes percées et de là, réduire les victimes dans ses rangs. Alors oui, tu gagnes du terrain, mais il te reste encore à choisir la porte par laquelle tu entreras dans l’Histoire. 

Ce sera peut-être la porte maudite qu’ont emprunté tes ancêtres comme la peste d’Athènes, la grippe espagnole, le choléra, la lèpre… et par laquelle, comme eux, tu sortiras vaincu, sali, et couvert d’opprobre. Sinon, tu peux encore choisir celle qui s’ouvre aux glorieux conquérants, donc au sauveur que tu serais pour avoir délivré l’humanité de ses tares et de ses vices. Mais pour ça, tu devras déjouer des pièges et surtout, bien choisir tes cibles. A toi de voir. Mais n’oublie jamais que ce sont les humains qui écrivent l’Histoire, et qui écriront ton histoire au passage.

A ce stade, sans vouloir t’enivrer par des vapeurs flatteuses qui te monteraient à la tête, le simple constat de l’état des lieux mis à jour est tel, qu’on doit déjà reconnaître un lot de prouesses à ton actif:

Révolutionnant la logique du rapport de forces la plus élémentaire, tu t’es formé en sorte d’épargner les enfants – ce maillon faible de l’existence – dont nos sciences nous enseignent qu’ils sont les plus fragiles et les plus vulnérables. Tu t’es pourvu du gène du brave chien-loup des maisonnées heureuses, qui effraye les brigands qui rôdent mais se laisse volontiers triturer et mettre KO par l’enfant qui joue. C’est déjà ça.

Aussi, dans ta tentative de restaurer la vie de famille, le confinement que tu as imposé aux humains a mis un terme à leur course effrénée sur la piste d’un quotidien aveugle, que rien n’occupe si ce n’est la consommation avide et superficielle quand ce n’est pas la fuite en avant. De cette course sans but, tu as forcé les esprits à prendre conscience. Depuis toi, on jardine en famille, on cuisine en famille, on fait du sport, on lit, on joue, on se met à table en famille. On prend le temps de s’écouter. On jouit de vivre simples.  On se redécouvre. 

Puis non sans un brin d’ironie, j’ajouterais que tu réussiras peut-être à reformer la couche d’ozone, et à reconstituer les glaciers que le réchauffement planétaire fait fondre, avec la menace que ça engendre. Entre temps, tu as tout de même enseigné aux hommes à consommer ce qui se produit près de chez eux, jusqu’à le préférer à l’exotisme de ce qui s’importe de loin. Et avec cet appétit réduit à l’essentiel, tu as forcé les requins de l’économie mondiale à mettre leurs moteurs en veilleuse, à fermer leurs vannes polluantes et ainsi, déjà commencé à assainir l’air, l’eau des rivières, et l’environnement en général. Sous ton épée de Damoclès, ce printemps qui commence pourrait désormais être le premier d’une nouvelle renaissance.

Tu as vidé les églises, les mosquées et tous ces lieux de cultes enrichis de bougeoirs et d’encensoirs en or ou de tapis persans, où on pratique une pseudo religion ritualisée à la manière des païens, le plus souvent conduite par des imposteurs encore persuadés que le port d’une soutane confère le pouvoir. Tu as enseigné aux hommes que leur Dieu est en chacun d’eux, que leur église est leur entourage, que leur foi se nourrit de leurs actes, et qu’elle n’a pas plus besoin d’ambassadeur que leur prière n’a besoin de facteur.

Aussi, tu as développé en chacun le don de soi. Depuis toi, on ne vend plus son pain, on le partage. Ses tomates et ses pommes de terre, on en fait des paniers qu’on distribue au voisinage. Et pour qui n’a rien à partager, il répandra la bonne humeur en chantant à sa fenêtre. Et de fenêtre à fenêtre, le monde entier grâce à toi a chanté.

Enfin, ton mystère a relativisé la notion de grandeur chez ceux qui se disaient «les grands de ce monde». Avec une répartition équitable de la peur que tu inspires, et qui rend le Président de la plus grande puissance du monde aussi vulnérable que le quidam planteur de bananes en Somalie – tu as donné à l’humanité une leçon d’humilité, de résignation et de modestie. En déclarant la guerre au genre humain avec une discrimination dont toi seul connait les règles, tu as mis fin aux guerres que les grandes puissances rivales se mènent par procuration. L’ennemi commun que tu es a ridiculisé les obus, cloué au sol les bombardiers, et fait taire bien des canons. 

Malgré tout, je serais un traitre si je me rangeais de ton côté. Avec les centaines de milliers de victimes que tu as faites, et dont on ne sait toujours rien des critères selon lesquels tu les aurais cueillis, le bonheur de voir s’accomplir ton oeuvre est à peine avouable; il ne se manifeste que timidement et en secret. Ainsi, ton bilan est loin d’être dressé. Et ta porte d’entrée dans l’Histoire, loin d’être tranchée, quand même serait-elle sur le bon chemin.

Sary Tadros
Cet économiste de formation, titulaire d’un DES de 3ème cycle ès Finances Internationales, poursuit son activité professionnelle de chef d’entreprise à Beyrouth d’où il est originaire et où il vit. Ses loisirs de prédilection sont la musique baroque, le jazz et la chanson à texte, ainsi que l’art pictural Libanais pour la promotion duquel il s’investit depuis 30 ans. Co-auteur de la monographie «Hanibal Srouji, Peindre le Feu... » aux éditions l’Orient-le Jour, l’écriture est pour lui un acte militant par lequel il défend les valeurs démocratiques et notamment laïques auxquelles il croit.

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