Les derniers articles

Articles liés

Affaire des 2,5 millions de dollars saisis à l’aéroport de Beyrouth : une enquête sur le blanchiment d’argent secoue le Liban

- Advertisement -

L’affaire de la saisie de 2,5 millions de dollars en liquide à l’aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth continue de faire des vagues dans les cercles judiciaires et politiques libanais. Selon Al Akhbar du 17 mars 2025, les enquêteurs soupçonnent l’existence d’un réseau de blanchiment d’argent impliquant des hommes d’affaires libanais et étrangers. Cette somme, interceptée par les douanes à bord d’un vol en provenance de Dubaï, serait liée à des transactions non déclarées via des sociétés fictives, d’après les premiers éléments révélés par Nahar le même jour. L’instruction, confiée au juge Fadi Sawan, a déjà conduit à une interdiction de sortie du territoire pour plusieurs suspects, rapporte Al Joumhouriyat (17/03/2025). Dans un pays en proie à une crise économique sans précédent, cette affaire met en lumière les défis persistants de la lutte contre la criminalité financière.

Une saisie spectaculaire à l’aéroport

La découverte des 2,5 millions de dollars en liquide a eu lieu lors d’un contrôle de routine par les douanes à l’aéroport international de Beyrouth, principal point d’entrée et de sortie du Liban. Selon Nahar, l’argent était transporté à bord d’un vol en provenance de Dubaï, une ville souvent associée aux flux financiers opaques dans la région. Les douanes libanaises, sous la direction de Badri Daher jusqu’à son arrestation en 2020 dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, ont une longue histoire de lutte contre les trafics illégaux, bien que leur efficacité ait souvent été mise en doute en raison de la corruption endémique dans le pays.

Les 2,5 millions de dollars, une somme considérable en espèces, ont immédiatement attiré l’attention des autorités judiciaires. Le transport de liquidités au-delà d’un certain seuil – fixé à 10 000 dollars par personne selon les réglementations internationales – doit être déclaré aux douanes, une obligation que les porteurs de cet argent ont manifestement omise. Cette interception, survenue dans un contexte de restrictions bancaires sévères imposées au Liban depuis 2019, soulève des questions sur l’origine et la destination de ces fonds, dans un pays où les citoyens peinent à accéder à leurs propres dépôts.

Un réseau de blanchiment d’argent en ligne de mire

Al Akhbar rapporte que les enquêteurs soupçonnent un réseau de blanchiment d’argent impliquant des hommes d’affaires libanais et étrangers. Le blanchiment d’argent, qui consiste à dissimuler l’origine illicite de fonds pour les réintégrer dans l’économie légale, est une pratique bien documentée au Liban, souvent liée à des activités comme le trafic de drogue, la corruption ou l’évasion fiscale. Jusqu’en 2023, des enquêtes internationales avaient révélé des opérations de ce type impliquant des figures libanaises de premier plan, notamment le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, accusé d’avoir détourné plus de 330 millions de dollars entre 2002 et 2021 via des montages offshore.

Les premiers éléments de l’enquête, selon Nahar, indiquent que les 2,5 millions saisis étaient destinés à des transactions non déclarées en lien avec des sociétés fictives. Ces entités, souvent enregistrées dans des paradis fiscaux comme Dubaï, sont un outil classique du blanchiment : elles permettent de masquer l’identité des bénéficiaires réels et de simuler des activités commerciales légitimes. Dubaï, avec son faible niveau de taxation, son secret bancaire strict et sa tolérance envers les paiements en espèces, est devenu un hub régional pour ce type d’opérations, comme le soulignaient des rapports français en 2024 sur les narcotrafiquants et les fraudeurs.

Le juge Fadi Sawan à la tête de l’instruction

L’instruction de cette affaire a été confiée au juge Fadi Sawan, une figure connue de la magistrature libanaise. Âgé de 65 ans en 2025, Sawan a une carrière de plus de trente ans, marquée par son rôle de premier juge d’instruction au tribunal militaire jusqu’en 2021. Il s’était fait connaître en 2020 en enquêtant sur l’explosion du port de Beyrouth, où il avait émis des mandats d’arrêt contre des responsables comme Badri Daher, avant d’être dessaisi en février 2021 suite à des recours d’anciens ministres pour partialité présumée. Sa nomination dans cette affaire des 2,5 millions de dollars montre qu’il reste un acteur clé dans les enquêtes sensibles, malgré les controverses passées.

Selon Al Joumhouriyat, Sawan a ordonné une interdiction de sortie du territoire pour plusieurs suspects dès les premiers jours de l’instruction. Cette mesure, courante dans les affaires de criminalité financière au Liban, vise à empêcher les individus impliqués de fuir à l’étranger, un risque réel dans un pays aux frontières poreuses et aux relations diplomatiques limitées avec certains États. En 2020, Sawan avait déjà utilisé cette tactique dans l’enquête sur le port, interrogeant des dizaines de suspects avant que son enquête ne soit stoppée par des pressions politiques.

Contexte économique et sécuritaire

Cette affaire survient alors que le Liban est plongé dans une crise économique dévastatrice depuis 2019. La dévaluation de la livre libanaise, l’inflation galopante et les restrictions bancaires ont poussé de nombreux Libanais à recourir à des circuits parallèles pour déplacer de l’argent. En 2023, la Banque mondiale estimait que plus de 80 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté, une situation aggravée par la guerre Hezbollah-Israël de 2024, qui a déplacé 1,4 million de personnes et détruit des infrastructures clés. Dans ce chaos, le transport de liquidités depuis des hubs comme Dubaï est devenu une pratique courante pour contourner les contrôles bancaires.

La saisie intervient aussi dans un climat sécuritaire tendu. Les affrontements récents entre le Hezbollah et Israël, notamment les frappes du 16 mars 2025 rapportées par Ad Diyar, maintiennent le Sud-Liban sous haute tension, tandis que des violences sporadiques à Tripoli, liées à la pauvreté et aux armes illégales (Al Sharq, 17/03/2025), fragilisent davantage le pays. Ces instabilités offrent un terrain fertile à la criminalité financière, les réseaux profitant du manque de contrôle étatique pour opérer en toute impunité.

Une enquête sous haute pression

L’instruction menée par Fadi Sawan devra répondre à plusieurs questions cruciales : qui sont les hommes d’affaires impliqués, libanais et étrangers ? Quelle est l’origine exacte des 2,5 millions de dollars ? Et quelles sociétés fictives ont servi de façade à ces transactions ? Jusqu’en 2023, des affaires similaires avaient mis en lumière des réseaux opérant entre Beyrouth et Dubaï, impliquant des hommes d’affaires libanais et des courtiers occultes, souvent d’origine marocaine ou pakistanaise, spécialisés dans le recyclage d’argent sale via des maisons de change.

La provenance de Dubaï renforce les soupçons de blanchiment. En 2024, bien que les Émirats arabes unis aient été retirés de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) après des efforts formels contre le blanchiment, des rapports européens continuaient de pointer le laxisme de l’émirat dans la lutte contre les flux financiers illicites. Les douanes libanaises, en interceptant ce vol, ont peut-être mis au jour une opération plus vaste, mais la coopération avec Dubaï, historiquement limitée, pourrait compliquer l’enquête.

Enjeux et implications

Cette affaire met le système judiciaire libanais à l’épreuve. La réputation de Fadi Sawan, connu pour son indépendance mais aussi pour avoir été écarté sous pression politique en 2021, sera scrutée. Son interdiction de sortie du territoire pour les suspects montre une volonté d’agir rapidement, mais le passé du Liban – où les enquêtes sur la corruption ou le blanchiment aboutissent rarement à des condamnations de haut niveau – laisse planer un doute sur l’issue de cette instruction. En 2022, la saisie de 120 millions d’euros d’actifs liés à Riad Salamé en Europe avait marqué un précédent, mais les poursuites au Liban étaient restées lettre morte.

Pour un pays en quête de soutien financier international, notamment du FMI, cette affaire est un test. Les bailleurs de fonds exigent des réformes contre la corruption et le blanchiment, des fléaux qui ont contribué à l’effondrement économique. Si les 2,5 millions saisis ne représentent qu’une goutte dans l’océan des flux illicites traversant le Liban, leur interception pourrait signaler une volonté de changement – ou, au contraire, souligner l’ampleur d’un problème insoluble.

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.

A lire aussi