Un nouveau scandale de corruption éclabousse le ministère des Finances libanais, mettant en lumière des pratiques irrégulières dans l’attribution de marchés publics. Selon Al Akhbar du 17 mars 2025, des contrats ont été octroyés sans appel d’offres à des sociétés liées à des responsables politiques, alimentant les soupçons de favoritisme et de détournement de fonds publics. Un rapport accablant de l’Inspection centrale révèle que plus de 400 millions de dollars ont été dépensés sans justification claire, avec des indices de surfacturation, comme le rapporte Al Sharq le même jour. L’affaire, actuellement entre les mains de la Cour des comptes, fait l’objet d’une instruction rigoureuse, avec des auditions de hauts fonctionnaires suspectés d’avoir facilité ces transactions, selon Al Joumhouriyat (17/03/2025). Dans un pays ravagé par la crise économique, ce scandale ravive la défiance envers une classe dirigeante accusée de piller les ressources nationales.
Une attribution douteuse des marchés publics
Le ministère des Finances, pilier de la gestion budgétaire libanaise, se trouve au cœur d’une controverse majeure. Al Akhbar détaille que des marchés publics, censés financer des projets d’infrastructure ou des services essentiels, ont été attribués directement à des entreprises sans passer par le processus obligatoire d’appel d’offres. Cette pratique, bien que techniquement permise dans des cas d’urgence sous la loi libanaise sur les marchés publics (décret-loi n°115 de 1959), est strictement encadrée pour éviter les abus. Pourtant, les contrats en question semblent avoir bénéficié à des sociétés liées à des figures politiques influentes, un schéma récurrent dans l’histoire récente du Liban.
Jusqu’en 2023, des scandales similaires avaient déjà terni la réputation du pays. Par exemple, des contrats dans le secteur énergétique, attribués à des entreprises proches de l’ancien ministre Gebran Bassil, avaient été critiqués pour leur opacité et leur coût exorbitant. En 2025, cette affaire au ministère des Finances suit un modèle comparable : des sociétés bénéficiaires auraient des liens directs avec des responsables politiques, bien que leurs noms exacts ne soient pas encore publics au 17 mars. Ces pratiques contournent les mécanismes de transparence censés garantir une concurrence équitable et une gestion responsable des fonds publics, dans un pays où chaque dollar compte face à une dette publique dépassant 100 milliards de dollars en 2023.
Un rapport explosif de l’Inspection centrale
Le rapport de l’Inspection centrale, cité par Al Sharq, met en lumière l’ampleur des irrégularités. Plus de 400 millions de dollars auraient été dépensés sans justifications claires, un montant colossal pour un pays en faillite économique depuis 2019. L’Inspection centrale, une institution créée sous le mandat de Fouad Chéhab dans les années 1960 pour superviser l’administration publique, a relevé des indices de surfacturation et de détournement de fonds. La surfacturation – facturer des biens ou services à des prix gonflés – est une méthode classique pour siphonner l’argent public, souvent au profit de responsables ou d’intermédiaires.
Ces 400 millions de dollars représentent une perte significative dans un contexte où le Liban peine à financer les services de base. En 2023, la Banque mondiale estimait que la corruption coûtait au pays entre 1,25 et 1,5 milliard de dollars par an, soit 4 à 5 % de son PIB avant la crise. Le rapport de l’Inspection centrale ne précise pas les projets exacts concernés au 17 mars 2025, mais des affaires passées – comme les contrats d’approvisionnement en carburant pour Électricité du Liban (EDL), où des millions ont été détournés – suggèrent que les secteurs de l’énergie, des travaux publics ou de la reconstruction post-guerre de 2024 pourraient être impliqués. Ces révélations alimentent les soupçons d’un système où les fonds publics servent les intérêts privés plutôt que l’intérêt général.
La Cour des comptes entre en jeu
L’instruction de cette affaire a été confiée à la Cour des comptes, une institution clé dans la lutte contre la corruption au Liban. Selon Al Joumhouriyat, la Cour a déjà entamé des auditions de plusieurs hauts fonctionnaires du ministère des Finances, suspectés d’avoir joué un rôle dans l’attribution irrégulière de ces marchés. Créée en 1959, la Cour des comptes est chargée de contrôler les finances publiques et de vérifier la légalité des dépenses de l’État. Elle dispose de pouvoirs d’investigation, mais son efficacité a souvent été entravée par des ingérences politiques et un manque de moyens, comme le notait Transparency International en 2020, classant le Liban 149e sur 180 pays dans son indice de perception de la corruption.
Les auditions en cours visent à identifier les responsables ayant approuvé ou facilité ces transactions. Jusqu’en 2023, des figures comme Riad Salamé, ancien gouverneur de la Banque du Liban, avaient été accusées de détournements massifs (330 millions de dollars via des sociétés offshore), mais les enquêtes locales avaient stagné sous la pression politique. En 2025, la Cour des comptes semble déterminée à aller plus loin, bien que les noms des suspects auditionnés n’aient pas encore été divulgués au 17 mars. Cette affaire teste la capacité du système judiciaire à surmonter les obstacles qui ont historiquement protégé les élites corrompues.
Un contexte de crise aggravante
Ce scandale éclate dans un Liban en pleine tourmente économique et sociale. Depuis 2019, la livre libanaise a perdu plus de 97 % de sa valeur, l’inflation a explosé, et les restrictions bancaires ont bloqué l’accès des citoyens à leurs épargnes. La guerre Hezbollah-Israël de 2024, qui a déplacé 1,4 million de personnes et détruit des infrastructures clés, a encore aggravé la situation. En février 2025, le gouvernement de Nawaf Salam, soutenu par le président Joseph Aoun, s’était engagé à reconstruire le pays et à négocier avec le FMI pour une aide de 3 milliards de dollars, conditionnée à des réformes anti-corruption. Pourtant, ce nouveau scandale montre que les pratiques opaques persistent, sapant les efforts de redressement.
Les 400 millions de dollars détournés auraient pu financer des projets vitaux : hôpitaux, écoles ou réseaux électriques, tous en déliquescence. En août 2024, EDL avait cessé de fonctionner faute de carburant, plongeant le pays dans le noir. La révélation de telles pertes financières dans un ministère central comme celui des Finances renforce la colère populaire, déjà vive depuis les manifestations de 2019 contre une classe politique accusée de pillage systématique.
Les soupçons de surfacturation et de détournement
Les indices de surfacturation et de détournement de fonds, mis en avant par l’Inspection centrale, pointent vers une corruption organisée. Jusqu’en 2023, des enquêtes sur le secteur énergétique avaient montré que des contrats étaient attribués à des prix bien supérieurs aux normes du marché, avec des écarts reversés à des responsables via des comptes offshore ou des paiements en espèces. L’affaire actuelle pourrait suivre un schéma similaire : des sociétés liées à des politiciens auraient gonflé leurs factures ou livré des services fictifs, empochant la différence au détriment du Trésor public.
Ces pratiques ne sont pas nouvelles. En 2010, l’Association libanaise de la transparence estimait que 65 % des entreprises privées payaient des pots-de-vin pour obtenir des contrats publics, une tendance qui semble perdurer en 2025. Les responsables politiques impliqués, bien que non nommés au 17 mars, pourraient inclure des figures influentes des partis traditionnels – Hezbollah, Amal, Courant patriotique libre (CPL) ou Forces libanaises – connus pour leur emprise sur les ministères régaliens.
Une justice sous pression
La Cour des comptes fait face à un défi monumental. Ses auditions de hauts fonctionnaires marquent un premier pas, mais l’histoire judiciaire libanaise est marquée par l’impunité. En 2020, l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, initialement menée par le juge Fadi Sawan, avait été stoppée par des recours politiques, illustrant la soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif. En 2025, la Cour devra résister à des pressions similaires pour mener cette affaire à terme, alors que les États-Unis et la France, via la visite de Joseph Aoun à Paris le même mois, insistent sur des réformes pour débloquer l’aide internationale.
Le scandale des 400 millions de dollars met en lumière un système où la corruption est profondément enracinée. Si la Cour des comptes parvient à identifier et sanctionner les coupables, cela pourrait marquer un tournant. Sinon, cette affaire risque de rejoindre la longue liste des dossiers étouffés, renforçant la défiance d’une population exsangue face à ses dirigeants.