par Abdelalim MEDJAOUI, contribution à l’histoire de l’Algérie par un de ses acteurs.

In Mémoriam

Algérie: Département français mais soumis néanmoins au Code de l’Indigénat. Dans le prolongement du «Code Noir» de l’esclavage, une codification sur la base de critères gobino darwinistes. Une spécificité de la «Patrie des Droits de l’Homme» https://histoirecoloniale.net/le-code-de-l-indigenat-dans-l.html

Abdelalim Medjaoui: Ancien Moudjahid de la Wilaya III- Secteur d’Al Soummam, ancien collaborateur au journal «Alger Républicain».

Étudiant en médecine de 1954 à 1957, Abdelalim MEDJAOUI a dû interrompre ses études à son arrestation en 1959, alors qu’il avait rallié la guérilla algérienne où il officiait au service médical de l’Armée de Libération Nationale algérienne. Condamné à 5 ans de prison, Abdelalim MEDJAOUI a été libéré en 1961, à la veille de l’Indépendance de l’Algérie. Membre du parti communiste algérien, il revendiqua son appartenance à ce parti clandestin, en 1989, au moment de la première grande crise du régime. Il sera par la suite chroniqueur au journal «Alger Républicain». La Wilaya III historique est l’une des sept wilayas de la guerre d’Algérie située dans la Kabylie. Parmi ses dirigeants figuraient les personnalités suivantes: Krim Belkacem, Saïd Mohammedi, Mohand Ameziane Yazourene, Amirouche Aït Hamouda, Abderrahmane Mira, Mohand Oulhadj.

À vous deux, tout particulièrement, mes frères Mustapha Lyassine (notre Pharmacien central, au Service de Santé de la zone1-wilaya 3) et Ramdane Rédjouani (Si Moh), tombés au champ d’honneur pour la liberté de l’Algérie, je me sens aujourd’hui, à l’occasion du 64e anniversaire de la grève historique lancée par l’UGEMA, le devoir de saluer vos âmes et de vous entretenir des soucis de notre pays.

Soixante-quatre ans dans la vie d’un individu c’est l’âge où, riche d’une expérience de vie conséquente, il (ou elle) peut se regarder droit dans les yeux et porter sur son parcours un jugement serein. Qu’en est-il d’une nation et particulièrement de sa composante intellectuelle?
Soixante-quatre ans sont passés depuis le jour où – en pleine barbarie de la «guerre d’Algérie» – les étudiants algériens de l’Université d’Alger décidaient d’une grève des cours et des examens. Nous avons pris cette décision après un débat contradictoire lors d’une assemblée générale publique tenue sous l’égide de la section d’Alger de notre toute jeune organisation, l’UGEMA, et au nom de tous les étudiants algériens d’Alger…
…dont le nombre, en cette année 1956, ne dépassait pas les 500 – sur les quelque 5.000 étudiants de l’Université d’Alger, la seule université du pays ! – nombre probant de l’«œuvre civilisatrice de la France impériale» après 132 ans d’occupation coloniale !

Pourquoi avons-nous pris alors une si grave décision?

La guerre de résistance de notre peuple pour sa libération nationale avait un an et demi d’âge. La sauvagerie de la répression que lui opposait l’ennemi colonial atteignait des sommets et ne pouvait laisser indifférents les intellectuels dont un nombre grandissant s’engageaient et se trouvaient alors aux prises avec les services de police, pas dans les maquis, mais dans les villes: enlèvements, tortures, disparitions se multipliaient. Les responsables de la section UGEMA d’Alger étaient par monts et par vaux, intervenant avec les familles pour retrouver leur trace et, avec les avocats menés par le regretté Mohamed Benyahia, dénoncer comme illégales leurs arrestations, menées sous le couvert des tout nouveaux «pouvoirs spéciaux». Bientôt on commence à retrouver les cadavres affreusement mutilés jetés dans les rues ou rejetés par la mer…!

Et c’est pour dénoncer ces crimes abominables de nos frères intellectuels et nous solidariser avec eux et leur engagement que nous avons adopté l’Appel circonstancié présenté par la section après que notre Assemblée générale en a sérieusement débattu. (Je donne l’appel en annexe).

Quel était le sens de cette décision ?

La grève décrétée par les étudiants algériens en ce 19 mai 1956 est un des actes politiques les plus importants de notre guerre de libération nationale. Elle a eu un impact considérable auprès de la jeunesse du monde entier.

Comment le geste d’un si petit nombre d’individus a-t-il eu une telle résonnance?

Un nombre important d’intellectuels (médecins, pharmaciens, et autres personnels de la santé, étudiants, avocats, etc.) s’étaient déjà engagés personnellement avec les hommes de Novembre, sans attendre l’Appel de l’UGEMA… Cet engagement est certes devenu plus apparent lorsque l’UGEMA a pris la défense de ceux parmi eux qui ont été arrêtés…

Mais quand l’institution de l’UGEMA (par son comité de section d’Alger) a exprimé solennellement sa solidarité avec eux, elle a exprimé la position de l’intellectuel collectif national face à la sale guerre menée par l’armée française de réoccupation. Cette institution ne représentait pourtant que quelque 500 personnes, pas plus!

Jusque-là, les autorités coloniales et leur presse mobilisées présentaient cette insurrection comme le fait de marginaux, de bandits de grand chemin, d’assassins sans foi ni loi. Les gens, et surtout les jeunes à travers le monde vont découvrir, et de quelle manière ! la réalité de cette guerre de libération de notre peuple.
Par cette grève des études et examens à l’Université, par ce refus de ce qui représentait la fierté de la culture française, l’UGEMA dénonçait aux yeux des jeunes des organisations estudiantines à travers le monde, la pire entreprise d’exactions, d’assassinats crapuleux perpétrés au nom de l’intérêt national, que ce «drapeau», avec La Marseillaise, couvrait indûment ! et leur montrait par conséquent, la justesse de la lutte de notre peuple.

Comment les étudiants s’étaient-ils donné l’institution qu’était l’UGEMA ?

Le règlement par le 1er Novembre de la crise du mouvement national, l’émergence d’une nouvelle génération d’étudiants, à l’image du regretté Mohamed Benyahia, créent une ambiance nouvelle au sein du mouvement des étudiants nationalistes, alors organisés dans la vieille AEMAN.
Une matrice d’autant plus dépassée qu’avec les perspectives proches de l’indépendance de leurs pays, les frères marocains et tunisiens s’en sont dégagés pour créer leurs propres unions: l’UNEM et l’UGET.
Déjà, à Paris, les étudiants communistes algériens, autour de la forte personnalité d’Ahmed Inal, en appui sur Mohamed Harbi et d’étudiants juifs originaires d’Algérie, avaient mis en place en 1955 l’UGEA de Paris…

«C’est dans ce contexte particulier, qu’à la rentrée de l’année universitaire 1954-1955, le frère Belaïd Abdesslam lança l’idée de créer l’UGEMA, et de Paris, demanda aux frères dirigeants de l’AEMAN (…) à Alger d’initier une campagne en faveur de la création de l’UGEMA et de lancer à cette fin un appel pour la tenue d’une conférence préparatoire, qui s’est tenue effectivement à Paris du 4 au 7 avril 1955.
Cette conférence qui a passionnément débattu des problèmes doctrinaux s’est finalement prononcée, à une écrasante majorité, en faveur de la thèse nationaliste, c’est-à-dire pour la création de l’UGEMA, et a rejeté le concept de l’UGEA. »1 (…)

En juillet, se tenait à Paris le congrès constitutif de l’UGEMA… Les débats sur les «problèmes doctrinaux» évoqués par M. Aït Chaalal sont connus sous le nom de «bataille du M» de l’UGEMA, dans laquelle s’était illustré le regretté Rédha Malek lors de sa tournée à travers les villes universitaires françaises devant les étudiants algériens qui y étaient inscrits, défendant «une vision historique et nationaliste de l’Algérie».

Le congrès a élu un comité exécutif avec, à sa tête, Ahmed Taleb, contrairement à la tradition qui faisait de ce poste un acquis du PPA-MTLD; résultat des mutations intimes dans le milieu intellectuel national et reflet de l’esprit unitaire du FLN (Abbane). Ce fut un «événement considérable dans la communauté étudiante algérienne et également dans les milieux universitaires français. Chacun réalisait que dans le contexte de la guerre de libération engagée depuis le 1er novembre autour de principes et d’objectifs nationaux, cela signifiait le rassemblement et la mobilisation des étudiants algériens, ainsi que leur inéluctable engagement dans le combat initié par leur peuple.»

Pourtant, l’UGÉMA, a été constituée dans le cadre de la légalité française (loi de 1901); et se déclarait officiellement comme un syndicat chargé de «défendre les intérêts moraux et matériels des étudiants.

Mais elle n’en énonçait pas moins dans ses résolutions des objectifs politico-culturels qui ne laissaient aucun doute quant à ses motivations et à ses grandes options idéologiques, à savoir:
la lutte contre la domination colonialiste, la sauvegarde et la défense de la personnalité historique algérienne, la restauration et l’épanouissement du patrimoine arabo-musulman du peuple algérien.»

Ainsi, l’inaudible section AEMAN d’Alger va subir une transmutation pour faire entendre, en tant que section UGEMA d’Alger la haute voix de l’intellectuel collectif algérien dans le nouveau cours de l’histoire du pays: défendant, comme évoqué plus haut, l’engagement pionnier de ceux des siens qui avaient rejoint Novembre, dénonçant leur enlèvement illégal malgré la permissivité nouvellement instaurée par les «pouvoirs spéciaux», la barbarie des traitements qu’on leur faisait subir… à l’issue desquels leurs corps se trouvaient jetés dans la nature (Dr Benzerdjeb) ou rejetés par la mer (Zeddour…). Un bras de fer entre un pot de terre – qui faisait entendre son choc bien loin dans l’opinion internationale et un pot de fer – sur la défensive, de ce fait, malgré tout –…
La vie de l’UGEMA et des étudiants se complique en cette année 1955, mais ils ne cessent de «militer sans relâche ni faiblesse, faisant face avec courage et détermination à toutes les provocations et exactions émanant des extrémistes et activistes de droite» en plus de l’armée de réoccupation, demeurant «en parfaite adéquation avec la ligne politique tracée par la direction du FLN-ALN.»

Ce qui pousse la direction de l’Union à mettre sa ligne en adéquation avec la situation. Cela se réalise au 2e congrès qu’elle tient à Paris2 du 24 au 30 mars 1956: «un tournant décisif [est] pris par notre union; c’est à cette occasion qu’elle affirme solennellement sa position politique face à la guerre menée par la France contre notre peuple en réclamant :

  • La proclamation de l’indépendance de l’Algérie;
  • La libération de tous les détenus politiques;
  • La négociation avec le FLN. Ainsi [s’opère] une inversion des priorités dans la démarche de l’UGÉMA: la politique prime le syndical : l’union est de toute évidence devenue une unité de combat dans le cadre de la lutte pour l’indépendance nationale conduite par le front de libération nationale.»

Quelques semaines après cet événement, un autre d’une importance capitale va marquer la vie de l’Union. La grève du 19 mai 1956, dont le bruit retentit bien haut dans le ciel, d’autant que l’engagement qui ne devait concerner que les étudiants de l’Université d’Alger est endossé par ceux des universités de France, et en même temps, en Algérie, par les lycéens et même les écoliers…

La culture française est montrée du doigt par son accointance avec la guerre inhumaine dont elle doit se distancier surtout quand les persécutions touchent les intellectuels qui croyaient y avoir part… D’autant que, l’UGEMA, par «La déclaration [de son] comité directeur a tenu à éviter toute confusion ou équivoque en précisant que la grève ne saurait être interprétée comme une marque d’hostilité envers l’université française et encore moins comme reniement d’une culture à laquelle les étudiants algériens demeuraient très sincèrement attachés.»

Le visage du combat du FLN, à travers le combat de l’UGEMA

C’est là «un engagement conscient et collectif des étudiants dans la lutte de libération en se rendant totalement disponibles au service de la révolution.»
L’UGEMA est interdite et ses dirigeants poursuivis. La plupart d’entre eux rejoignent clandestinement l’étranger (Tunis et Maroc), d’où ils organisent la nouvelle vie de l’Union et des étudiants.

Dont nombreux, eux aussi pourchassés, rejoignent des cieux plus cléments, où grâce au soutien que leur apportent les organisations estudiantines étrangères, ils peuvent avoir droit à une bourse et à une inscription dans les universités à travers le monde. Et bien évidemment, ils mettent en place les sections de l’Union dans leur pays d’accueil…

Ce soutien doit tout à «la réaction fulgurante mouvement étudiant international qui, quelques semaines après la dissolution [de l’Union], s’est mobilisé activement en faveur de l’UGEMA et de la cause algérienne»:

– En avril 1958, l’Union nationale des étudiants de Grande-Bretagne organise, à Londres une rencontre internationale extraordinaire «sous l’égide de la Conférence internationale des étudiants (CIE-Cosec) regroupant des organisations estudiantines du monde occidental (…) Vingt-deux unions nationales y participaient.»
– En mai, l’Union internationale des étudiants (UIE), regroupant les Unions de l’Europe de l’Est et un grand nombre d’Unions des pays du tiers-monde, organise à son tour, une semaine de solidarité avec les étudiants algériens.

À noter qu’aucune des deux organisations internationales, rivales idéologiquement, ne demande à l’UGEMA de s’aligner sur ses positions, par respect pour son combat: leur soutien va à la justesse de la cause algérienne…

En plus de faire des études – dans la langue du pays d’accueil! – qui feront d’eux des cadres valables dans l’Algérie indépendante, les étudiants ainsi invités font connaître la lutte du peuple algérien. Ainsi participent-ils à la vie de leur Union, une vie organisée démocratiquement, tenant des assemblées générales autour de la ligne politique de l’Union, élisant par vote secret les dirigeants de leur section, déléguant des représentants aux Congrès (il y a eu un 3e puis un 4e) où se discutent cette ligne, en parfaite cohésion avec celle du FLN-ALN, qui respecte cette autonomie organique dont les effets rejaillissent sur lui…
…Jusqu’en cette année 1961-62, où les luttes serrées pour le pouvoir ont changé la donne. Je me souviens avoir passé cette année pénible pour avoir eu à défendre3 notre section UGEMA de Belgique – où nous avions pignon-sur-rue! – contre les atteintes caporalisatrices de la Fédération de France du FLN.
Nous ne comprenions pas alors que l’affaire dépassait les militants que nous étions tous. Nous le saurons à la fin de l’année universitaire, quand nous apprendrons que le GPRA (ou plutôt sa tendance «centraliste» qui avait réussi à entraîner Krim dans la combine) ordonnait que la direction de l’UGEMA rende le tablier… L’ordre était signé de Krim et de Mehri…

Ce coup de force contre l’UGEMA envers laquelle j’étais lié par le fonctionnement démocratique a été perpétré par des «appareils» de la Révolution – la Fédération de France et le GPRA – auxquels me liait le militantisme qu’ils m’ont tout simplement «retiré», comme si je les avais élus pour les charger de cette possibilité de me punir…

Les hommes qui les composaient restent pour moi tout à fait respectables…

Sigles:

  • AEMAN: Association des Étudiants musulmans d’Afrique du Nord
  • UNEM: Union nationale des étudiants marocains
  • UGET: Union générale des étudiants tunisiens
  • UGEA: Union générale des étudiants algériens

ANNEXE1
Témoignage sur l’histoire de l’UGEMA, par Babak Amir Khosorovi, Ancien membre du Secrétariat de l’Union Internationale des Etudiants-UIE *.

Chers amis!

C’est un grand honneur pour moi de participer à cette cérémonie du 50ème anniversaire de la création de l’UGEMA.
Le jour ou j’ai rencontré pour la première fois dans le petit café parisien du quartier Latin, les fondateurs de l’UGEMA, il y a déjà un demi siècle, je n’imaginais pas les conséquences que cela allait avoir sur ma vie. Le plus important pour moi, ce sont les liens d’amitié très profonds et durables, entre les dirigeants de ce mouvement estudiantin et moi-même. Amitié et solidarité qui se sont consolidées dans le combat pour la liberté et la justice.
Je n’avais jamais cru que je serais en vie un demi siècle plus tard et d’avoir le plaisir de rencontrer tous ces amis, qui comme moi les cheveux blancs et la taille courbée, s’unissent et se rencontrent aujourd’hui. Merci camarades de nous fournir cette opportunité dans les meilleures conditions.
Quand mon ancien et cher ami M. Jemal Houhou m’a parlé de cet anniversaire et m’invita à y assister, en l’acceptant avec plaisir, je passai en revue ce demi-siècle de relation et me rappelai mes souvenirs. Parmi eux les circonstances de mon premier contact avec l’UGEMA qui méritent d’être rappelés.

A cette époque, je représentais l’Union des étudiants de l’université de Téhéran au sein de l’Union Internationale des étudiants, dont le siège se trouvait à Prague. J’étais chef du département anticolonialisme qui avait été créé sur mon initiative.
Le congrès de l’UIE s’approchait. J’avais pour mission de me rendre à Paris pour contacter les organisations des étudiants des pays colonisées, les choisir et les inviter à assister au prochain congrès de l’UIE qui allait avoir lieu en septembre 1956 à Prague. Avant mon départ pour Paris, Mr Serge DEPAQUI, le représentant des étudiants communistes au sein du secrétariat de l’UIE m’a donné les coordonnées du défunt monsieur Inal. Inal était à ce moment-là, militant de la jeunesse communiste algérienne et avait fondé l’Union générale des étudiants algériens !

Nous avions eu au secrétariat de l’UIE quelques informations ambiguës sur les étudiants musulmans algériens qui avaient fondé leur propre organisation. Ma mission était de les rencontrer aussi et de fournir un rapport sur la situation des étudiants algériens. Il faut rappeler qu’à cette époque-là, le mouvement de libération du peuple algérien était peu connu dans le monde. On était au début de l’insurrection du peuple algérien.
A Paris, Inal m’a présenté son organisation comme étant démocratique et ouverte à toutes les tendances politiques et les croyances religieuses. En apprenant mes intentions de rencontrer l’UGEMA, Inal parla de l’UGEMA en la définissant comme une organisation sectaire, se limitant aux étudiants de confession musulmane! tandis qu’il décrivait son organisation l’UGEA comme étant ouverte à tous les étudiants sans discrimination. Inal argumenta qu’à la faculté d’Alger, les étudiants catholiques, musulmans et juifs cohabitaient ensemble, et que son organisation correspondait à cette réalité. D’après lui l’UGEMA allait diviser les étudiants tandis que ce dont le mouvement avait besoin c’était l’unité! À première vue, son raisonnement et son approche au problème, semblait logique.

Mais j’avais envie d’écouter les dirigeants de l’UGEMA.
Avec l’aide des responsables de l’organisation des étudiants d’Afrique du Nord j’ai pris rendez-vous avec l’UGEMA. C’était notre sacré Réda MALEK qui était au rendez vous, en tant que secrétaire général de l’organisation.
Vous le connaissez mieux que moi. Malek avec son allure imposante, sa voix puissante et vive et surtout sa forte logique dans son raisonnement, m’a fait réaliser l’essence de la problématique.
Le mot «musulman», argumenta Malek, n’est pas motivé par un sectarisme religieux. Et n’est absolument pas une attitude de discrimination, vis-à-vis des autres. Il m’expliqua que dans la lutte de la libération nationale, l’Islam est l’élément le plus important de l’identité nationale dans la lutte contre les colonialistes français catholiques. Et c’est un langage simple pour faire mobiliser les fellagas.
Il a souligné que les portes de l’UGEMA sont ouvertes à tout le monde sans discrimination. J’ai eu une deuxième conversation avec AIT CHALAAL. Les mêmes argumentations et raisonnements, mais un style différent. Un discours raffiné, nuancé avec calme, un langage diplomatique, qui a profondément pénétré dans mon cœur.

Pour moi, originaire d’un pays musulman, et qui venais de sortir d’un grand mouvement de libération d’un autre pays, le discours de Malek a résonné en moi. Ma décision fut prise sur le coup. J’ai senti comme une obligation morale de supporter ce mouvement étant engagé dans une lutte juste mais terriblement inégale. Mais je devais convaincre le secrétariat de l’UIE, tout le monde y étant communiste, représentant soit les organisations des étudiants des pays socialistes ou autres et étant a priori favorable à l’organisation fondée par M. Inal!

À cette époque j’étais moi-même membre du parti Toudeh d’Iran, aussi communiste ! Que faire? Je me retournai vers M. Inal avec l’espoir de le convaincre, de rejoindre l’UGEMA et de se mettre au service du mouvement de libération nationale. Mais en vain et sans résultat sur le moment!
J’ai appris quelques mois plus tard, que M. Inal rejoignit le FLN, sans consentement de son parti, et qu’il était devenu commissaire politique de la région d’Oran et qu’il est mort, arme à la main dans le champ de bataille, comme martyr de la révolution algérienne!
Mon rapport à l’UIE a fait l’effet d’une explosion! Car je raisonnais et demandais que l’on n’invite que l’UGEMA, en tant que seul représentant des étudiants algériens au congrès de l’UIE! Il n’y avait vraiment pas de mauvaise volonté chez les membres du Secrétariat.

L’insurrection du 1er Novembre n’était pas encore suffisamment connue et reconnue dans le monde. On en était encore à l’époque de l’Algérie française.
La réunion du secrétariat a été tendue, et suspendue par la suite. J’ai mis sur la balance tout mon poids de chef du département anti-colonial, mais surtout c’était grâce à l’aide efficace de l’inoubliable défunt Jiri PELIKAN, notre président, que j ai pu faire accepter par le secrétariat ma conclusion. Pelikan, était un homme prévoyant, remarquable, intelligent, ouvert, l’homme des compromis. Sa place est vraiment vide aujourd’hui parmi nous.
La présence de la délégation de l’UGEMA au congrès de l’UIE à Prague était, dans le mouvement mondial des étudiants, un événement très important. Il ne faut pas oublier que l’UIE était la première organisation mondiale qui a reconnu l’UGEMA à une échelle mondiale. À ce congrès participait une délégation de l’UNEF pour la première fois, après plusieurs années de rupture de sa relation avec l’UIE. Je me rappelle la tension de l’instant quand la délégation de l’UGEMA monta à la tribune et prit la parole! Au milieu de l’ovation des congressistes, la délégation de l’UNEF quitta la salle. Heureusement leurs relations se sont améliorées par la suite.

La présence de plusieurs anciens dirigeants de l’UNEF dans cette cérémonie du 50e anniversaire en est le témoin.
Sans doute la fondation de l’UGEMA et son entrée au sein du mouvement international des étudiants et son combat, dans les multiples rencontres internationales en défendant la cause du peuple algérien pour l’indépendance, et aussi pour celles de tous les autres pays opprimés, contribua à la prise de conscience des étudiants du monde entier, et tout particulièrement politisa les étudiants français et l’UNEF.

Mon amitié avec les militants algériens commença ainsi et fut consolidée au fil du temps, dans notre combat commun pour l’indépendance de l’Algérie et la liberté de tous les peuples opprimés de l’Asie et de l’Afrique. Avec le temps, nos relations ont surpassé le stade de relation officielle d’un dirigeant d’une organisation internationale avec les dirigeants d’une organisation nationale. On devint amis, intimes, avec beaucoup d’affection et aussi de complicité pour résoudre les problèmes surgis dans les congrès et multiples rencontres internationales.

A titre d’exemple, cela s’est produit peut après à la Conférence des étudiants Afro-asiatiques à Bandung! Avec l’inoubliable défunt BEN YAHIA, notre complicité s’est formée autour d’un problème crucial et très important pour nous, de faire passer une résolution condamnant le colonialisme! Cela peut vous étonner. Mais c’était la délégation chinoise qui voulait l’éviter! Leur raisonnement, était simple. S’il y a opposition, même venant de la délégation d’un seul pays, il faut renoncer à la résolution.
Car d’après les camarades chinois, le fait même de cette première rencontre des étudiants d’Asie et d’Afrique et l’expression de leur unité semblait être le plus important.

C’est en 1959 que j’ai eu le plaisir de rencontrer mon charmant ami M. Belaïd ABDESSALAM à Prague qui souhaitait mon aide pour résoudre certains problèmes importants des boursiers algériens dans les pays de l’Est. Mon attachement à la cause du peuple algérien et mon engagement à l’égard de l’UGEMA au sein du secrétariat de l’UIE était tel qu’un jour, M. Pélikan en rigolant me demanda: Es-tu représentant de l’UIE auprès de l’UGEMA ou bien celui de l’UGEMA au sein du secrétariat de l’UIE?

Me rappeler et raconter mes souvenirs avec d’autres dirigeants valeureux de l’UGEMA tels que Ait Chaalal, Jemal Houhou, Taleb, le défunt Khémisti, Abdelaoui, Hamdi et beaucoup d’autres, qui sont présents ici, serait long.

Mais je fais une petite halte sur quelques évènements surgis après l’indépendance de l’Algérie ! En 1963 je me trouvais à Moscou avec Ben Yahia ! Mais cette fois-ci lui était ambassadeur et moi étudiant ! Il m’a aidé à faire expatrier vers l’Algérie une trentaine de mes compatriotes iraniens spécialistes dans les différents domaines, émigrés politiques sans papiers, qui ne supportaient plus de vivre dans ce soit disant «paradis terrestre».
Il est à rappeler que Ben Yahia donna plus tard sa vie, tellement valeureuse, dans une mission de paix pour mon pays.
L’été 1964 je me trouvais en Algérie indépendante avec un faux passeport, car mon passeport iranien, était confisqué par l’ambassade d’Iran en Tunisie; j’étais honoré par M Jamel Houhou qui m’a procuré un passeport national algérien.
En 1969, après la tragédie du printemps de Prague, je n’arrivais plus à respirer l’air des pays «socialistes». Je voulais quitter la RDA pour m’installer à l’Ouest. Mon handicap, entre autres, était le piège tendu par la SAVAK en manipulant un dossier par l’Interpol, forgé de toute pièce, pour m’arrêter et me rendre aux autorités iraniennes ! J’ai pris le risque en prenant l’avion à destination de Paris!
Réda Malek, ambassadeur de son pays à Paris, en apprenant la nouvelle, vint en compagnie de mon avocat, jusqu’au pied de l’avion avec l’intention d’intervenir au cas où l’on m’aurait arrêté à ma descente d’avion!

Au cours de mon procès à Paris, Réda Malek, en tant qu’ambassadeur de son pays a écrit une excellente lettre, témoignant en ma faveur.
Le même geste d’amitié et solidarité a été fait par Aît Chaalal, lui aussi ambassadeur en Italie! Je n’oublierais jamais ce geste de fidélité dans l’amitié et la signification de leur solidarité à un moment difficile de ma vie.
Chers amis! Je vous remercie encore de m’honorer en m’ayant invité à assister à cet anniversaire si important et en me donnant l’opportunité de faire ce témoignage.

Merci et félicitations.

*Intervention à la cérémonie anniversaire (50e) de l’UGEMA à Tlemcen.


ANNEXE 2
Appel de l’UGEMA du 19 mai 1956.

«Après l’assassinat de notre frère Zeddour Belkacem par la police française, après le meurtre de notre frère aîné le docteur Benzerdjeb, après la tragique fin de notre jeune frère Brahimi du collège de Bougie, brûlé vif dans sa mechta incendiée par l’armée française pendant les vacances de Pâques, après l’exécution sommaire dans un groupe d’otages de notre éminent écrivain Rédha Houhou, secrétaire de l’Institut Ben Badis de Constantine, après les odieuses tortures qu’on a fait subir aux docteurs Haddam de Constantine, Baba-Ahmed et Tobbal de Tlemcen, après les arrestations de nos camarades, Amara, Lounis, Saber et Taouti, aujourd’hui arrachés aux geôles de l’administration française, celle de nos camarades Zerrouki et Mahdi, après la déportation de notre camarade Hihi, après les campagnes d’intimidation contre l’UGEMA, voici que la police nous arrache d’entre les mains, un matin à la première heure, notre frère Ferhat Hadjadj, étudiant en propédeutique et maître d’internat au lycée de Ben Aknoun, le torture, le séquestre pendant plus de dix jours, avec la complicité de la justice et de la haute administration algérienne, prévenue de son affaire, jusqu’au jour ou nous apprenons atterrés, sous le coup de l’émotion, la nouvelle de son égorgement par la police de Jijel aidée de la milice locale.
L’avertissement donné par notre magnifique grève du 20 janvier 1956 n’aura-t-il servi à rien? Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres!…

À quoi donc serviraient-ils ces diplômes qu’on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos sœurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards, tombent sous la mitraille, les bombes, le napalm?
Et nous les cadres de demain, on nous offre d’encadrer quoi? d’encadrer qui?… les ruines et les monceaux de cadavres sans doute, ceux de Constantine, de Tébessa, de Philippeville, de Tlemcen et les autres lieux appartenant déjà à l’épopée de notre pays.
Notre passivité face à la guerre qu’on mène sous nos yeux nous rend complices des accusations ignobles dont notre vaillante Armée nationale est l’objet. La fausse quiétude dans laquelle nous sommes installés ne satisfait plus nos consciences.
Notre devoir nous appelle à la souffrance quotidienne, aux côtés de ceux qui luttent et meurent libres face à l’ennemi.
Nous observons tous la grève immédiate des cours et des examens et pour une durée illimitée.

Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis.

Il faut rejoindre en masse l’Armée de libération nationale et son organisme une politique le FLN.
Étudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin héroïque de notre pays, serions-nous des renégats? »

L’Union générale des étudiants musulmans algériens.

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