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Beyrouth sous influence : la victoire du tandem Amal-Hezbollah décryptée

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Beyrouth, enjeu stratégique et symbole national

Les élections municipales organisées à Beyrouth ont marqué un tournant dans la vie politique locale et nationale. La capitale libanaise, longtemps théâtre d’affrontements symboliques entre courants souverainistes et formations pro-résistance, a cette fois été le théâtre d’un réalignement stratégique d’une ampleur inédite. Une liste soutenue par le tandem Amal-Hezbollah, baptisée « Beyrouth Bitjmaana », a emporté la majorité au sein du conseil municipal, bouleversant les rapports de force habituels.

Cette victoire ne s’est pas limitée au soutien traditionnel des zones à majorité chiite. Elle a bénéficié d’alliances inattendues avec des formations politiques auparavant opposées sur le plan idéologique. Des partis chrétiens tels que les Forces libanaises et le Courant patriotique libre, ainsi que le Parti socialiste progressiste et les Kataëb, ont rallié la coalition, transformant ce scrutin local en démonstration d’unité nationale, du moins en apparence.

Dans une capitale historiquement divisée, cette configuration électorale illustre un tournant : les enjeux municipaux ne peuvent plus être dissociés des dynamiques nationales. Le vote beyrouthin, en apparence technique et de proximité, a été perçu par tous les acteurs comme un signal politique majeur dans une période de recomposition accélérée du paysage partisan.

Composition de la liste gagnante et stratégie électorale

La liste victorieuse a rassemblé des profils diversifiés issus de plusieurs milieux politiques, professionnels et communautaires. Elle s’est construite sur une logique de représentativité transversale, combinant notables communautaires, technocrates reconnus et figures issues de la société civile. Les têtes de liste ont axé leur campagne sur un discours pragmatique, axé sur la relance des services municipaux, la stabilité administrative et la transparence.

Les messages électoraux ont insisté sur la nécessité de sortir Beyrouth de la paralysie institutionnelle. Ce discours, relayé dans tous les quartiers de la capitale, a joué un rôle décisif dans une campagne où les électeurs exprimaient une lassitude générale à l’égard des querelles idéologiques.

La coalition a misé sur une logistique rodée, une présence continue sur le terrain, des tournées de proximité, et un encadrement méthodique du vote. Des réseaux communautaires, professionnels et associatifs ont été mobilisés pour renforcer le soutien de base, notamment dans les quartiers traditionnellement moins acquis au tandem.

Les réactions et controverses : la question de la mîthaqiyya

La victoire de cette liste composite n’a pas manqué de susciter des réactions contrastées. Dans plusieurs milieux politiques et intellectuels, la question de la représentativité confessionnelle a été immédiatement soulevée. Le principe de mîthaqiyya, équilibre non écrit mais central du pacte libanais, est apparu fragilisé par la constitution du nouveau conseil municipal.

Certains observateurs ont dénoncé une victoire obtenue au prix d’une mise à l’écart des voix sunnites, pourtant majoritaires dans plusieurs quartiers de la capitale. Le faible taux de participation dans certaines zones, notamment Tareeq el-Jdideh et Mazraa, a alimenté cette perception de déséquilibre. La critique porte moins sur la légalité du scrutin que sur sa légitimité symbolique.

Des voix au sein de l’opposition ont évoqué un « coup électoral » masqué par une façade consensuelle. L’idée d’une alliance de circonstance entre adversaires historiques a été perçue par certains comme une manœuvre tactique visant à contrôler les ressources municipales, sans projet partagé à long terme. Le malaise suscité par cette victoire témoigne d’une tension persistante autour de la place de Beyrouth dans l’imaginaire collectif libanais.

Analyse des causes de la victoire : abstention et désorganisation des adversaires

Le contexte électoral a largement favorisé la liste victorieuse. Le scrutin s’est déroulé dans un climat d’abstention généralisée, symptôme d’une profonde défiance vis-à-vis du système politique. Les électeurs, épuisés par les crises successives, ont dans leur grande majorité choisi de ne pas se rendre aux urnes. Ce choix a mécaniquement avantagé les partis les mieux organisés, dotés d’appareils de mobilisation disciplinés.

Les adversaires de la coalition, notamment les formations issues du mouvement de contestation de 2019, sont apparus désunis, mal préparés et peu audibles. Leurs messages se sont noyés dans la multitude des candidatures concurrentes. Dans plusieurs arrondissements, deux ou trois listes indépendantes se faisaient face, divisant le vote protestataire.

Autre facteur décisif : l’absence du Courant du Futur, longtemps hégémonique dans les zones sunnites de la capitale. Son retrait de la scène politique a laissé un vide que personne n’a su combler. Ce silence stratégique, motivé par une volonté de se repositionner, a privé les électeurs de repères traditionnels. En l’absence de leadership structurant, le vote s’est polarisé autour des partis capables de proposer une offre crédible et de garantir des résultats tangibles.

Les implications politiques locales : contrôle administratif et leviers budgétaires

Le contrôle du conseil municipal de Beyrouth ouvre des perspectives concrètes pour les formations qui y siègent. Outre la gestion quotidienne de la ville, les municipalités détiennent des compétences étendues en matière d’urbanisme, d’aménagement, de propreté urbaine, et de coordination avec les ministères sectoriels. Ces responsabilités se traduisent en budgets, en nominations, et en accès aux financements internationaux.

La victoire du tandem Amal-Hezbollah permet une mainmise partielle sur ces instruments de pouvoir local. Dans un pays où les leviers institutionnels sont souvent les seuls outils d’action politique, ce résultat représente un capital stratégique. Les nouveaux élus pourront orienter les politiques locales, favoriser certains prestataires, relancer ou suspendre des projets d’infrastructure.

Cette dynamique pose néanmoins la question du clientélisme. Plusieurs analystes redoutent que les promesses de transparence soient rapidement compromises par des logiques d’appartenance partisane. Des conflits d’intérêt pourraient émerger, notamment dans les appels d’offres relatifs à la reconstruction des zones sinistrées par l’explosion du port ou les quartiers frappés par la crise économique.

Les lectures nationales : test avant les législatives de 2026

Au-delà du cadre local, ce scrutin constitue un laboratoire d’alliance politique. Il préfigure des configurations possibles pour les législatives prévues en 2026. La démonstration faite par le tandem Amal-Hezbollah est claire : une coalition large, structurée et coordonnée, peut triompher même dans des zones historiquement hostiles, à condition d’offrir une promesse d’ordre et de continuité.

Pour le Hezbollah, c’est une confirmation de sa capacité à dépasser son ancrage militaire et idéologique, pour incarner une force de gestion locale. Pour Amal, c’est une réaffirmation de son leadership dans les bastions chiites de Beyrouth, souvent disputés par des forces rivales.

Ce succès pourrait aussi conforter la stratégie du président de la République, qui entend encourager la décentralisation sans remettre en cause l’unité de l’État. En favorisant la stabilité institutionnelle, ce processus pourrait aussi permettre au chef de l’État de s’imposer comme arbitre au-dessus des clivages partisans dans la perspective de sa succession ou d’un second mandat.

Perspectives critiques : victoire fragile ou consolidation durable ?

Cette victoire, aussi large soit-elle, ne garantit pas une stabilité à long terme. La coalition électorale repose sur des compromis fragiles. L’absence de vision commune pourrait rapidement générer des frictions internes, d’autant que les attentes des électeurs sont élevées. Le moindre échec dans la gestion des dossiers urgents pourrait provoquer un retournement d’opinion rapide.

La société civile, bien que marginalisée dans ce scrutin, reste active. Des associations locales, des groupes de pression, des collectifs citoyens, multiplient les initiatives pour surveiller les décisions, proposer des alternatives, et dénoncer les dérives. Cette vigilance pourrait freiner les tentations de monopolisation du pouvoir local.

Enfin, le contexte régional reste déterminant. Toute escalade militaire au Sud ou à Gaza pourrait entraîner une reconfiguration du rapport de force interne. La stabilité de la capitale dépend en partie de la capacité des partis à préserver une paix sociale durable, sans instrumentaliser la mairie comme extension de leurs stratégies nationales.

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