Une bataille locale à portée nationale
Les élections municipales organisées à Zahlé ont abouti à un résultat sans appel : la liste soutenue par les Forces libanaises a remporté la totalité des sièges, reléguant au second plan le camp traditionnellement dominant des Kataëb. Cette victoire a pris une dimension symbolique forte tant Zahlé, capitale de la Békaa centrale, représente un baromètre du leadership chrétien au Liban. Longtemps considérée comme un bastion familialiste, cette ville a basculé au profit d’un appareil partisan structuré, qui a su incarner une nouvelle forme d’engagement politique.
Dans une ville marquée par un héritage politique dense, le scrutin a pris la forme d’un affrontement direct entre deux visions du pouvoir local. Les Forces libanaises, en pleine progression électorale depuis les législatives de 2022, y ont testé une stratégie de reconquête territoriale fondée sur des candidatures jeunes, une campagne axée sur les enjeux de gestion municipale et une logistique rodée. En face, les Kataëb, historiquement influents dans la région, ont vu leur ancrage s’éroder faute de renouvellement, d’un programme convaincant et d’alliés dynamiques.
Une victoire sans appel des Forces libanaises
Le résultat du scrutin est sans ambiguïté : la liste des Forces libanaises a remporté l’intégralité des sièges au conseil municipal de Zahlé. Ce succès n’est pas uniquement dû à une meilleure organisation électorale. Il repose également sur la capacité du parti à incarner une alternative crédible aux pratiques anciennes. Les candidats présentés n’étaient pas des figures parachutées depuis le centre, mais des personnalités locales, souvent issues des professions libérales, de la jeunesse militante ou de familles établies, ayant à la fois le capital relationnel et l’expérience de terrain.
La campagne des Forces libanaises s’est concentrée sur trois axes : la rigueur dans la gestion publique, la lutte contre la politisation clientéliste des services municipaux, et la relance des infrastructures locales. Les promesses électorales ont été articulées autour d’un plan de gestion claire, avec des propositions budgétisées sur la propreté urbaine, la réhabilitation des installations scolaires et sportives, et le développement de l’économie locale par le soutien aux commerçants.
Ce discours a séduit bien au-delà du noyau militant. Dans les quartiers les plus populaires de la ville, la dynamique FL a été portée par une forte mobilisation électorale. Contrairement à d’autres villes où l’abstention a dominé, Zahlé a enregistré un taux de participation élevé. Cela confirme que le scrutin y était perçu comme un enjeu réel, susceptible d’influer sur la vie quotidienne des habitants.
Une stratégie payante face à la fragmentation des Kataëb
Le revers des Kataëb n’est pas simplement une défaite électorale. Il traduit une perte de contact avec les réalités locales. Portée par Sami Gemayel, la campagne des Kataëb a misé sur un capital historique familial et une rhétorique de défense identitaire, sans parvenir à convaincre sur les dossiers concrets. La liste présentée, bien que dotée de personnalités connues, souffrait d’un manque de cohérence et de lisibilité. Les priorités affichées — protection du patrimoine, opposition au Hezbollah, défense des institutions — ont semblé trop éloignées des attentes des habitants, centrées sur l’eau, l’électricité, les routes et les écoles.
La fragmentation de l’appareil Kataëb à Zahlé a aussi pesé. En l’absence d’un relais structuré sur le terrain, la campagne a souffert d’un déficit de mobilisation. Des tensions internes non résolues ont miné l’unité de la liste, et plusieurs figures locales historiques du parti avaient déjà migré vers d’autres formations ou s’étaient mises en retrait. Sans véritable assise communautaire ni renouvellement programmatique, le camp Kataëb a vu son influence s’effondrer, y compris dans ses quartiers traditionnels.
Implications pour la représentation chrétienne au Liban
La victoire des Forces libanaises à Zahlé dépasse de loin les frontières de la Békaa. Elle redéfinit la carte du leadership chrétien au Liban. Zahlé, avec son importance démographique et symbolique, est souvent considérée comme un pivot dans les équilibres communautaires. Ce basculement confirme la progression des FL comme force hégémonique parmi les partis chrétiens traditionnels.
Cette dynamique pourrait avoir des conséquences notables sur les futures alliances électorales. Dans un contexte où le Courant patriotique libre est en recul dans plusieurs bastions maronites, et où les Kataëb peinent à reconstruire un appareil cohérent, les Forces libanaises apparaissent de plus en plus comme l’axe central autour duquel pourraient se former des coalitions chrétiennes. Ce résultat valide aussi leur stratégie d’ancrage territorial, déjà amorcée à Jounieh, Batroun et Zghorta.
Politiquement, cette victoire oblige aussi les autres partis à revoir leur positionnement. Zahlé devient un exemple de ce que peut produire une stratégie fondée sur la gestion municipale et l’évitement des alliances hybrides. Elle renforce la posture des FL comme force d’opposition crédible, non seulement face au Hezbollah, mais aussi face aux compromis interconfessionnels jugés inefficaces par une partie de l’opinion.
Réactions politiques et recomposition des alliances régionales
Dans les heures qui ont suivi la publication des résultats, les figures des Forces libanaises ont multiplié les déclarations de satisfaction. Le ton était à la fois sobre et revendicatif : ce succès a été présenté comme celui d’un projet collectif, né d’un travail de terrain, d’un dialogue avec la société civile et d’une volonté de transformation. Plusieurs responsables ont insisté sur le fait que ce mandat municipal ne serait pas l’extension du parti à la mairie, mais bien un engagement de gouvernance transparente.
De leur côté, les Kataëb ont tenté de relativiser la portée de la défaite, évoquant une conjoncture difficile, une campagne biaisée par des moyens inégaux, et un choix local qui ne préjuge pas des échéances nationales. Mais la tonalité générale des discours a souligné une perte de confiance et une nécessité de réorganisation stratégique.
Cette recomposition à Zahlé pourrait se répercuter sur les municipalités voisines. Des voix s’élèvent déjà dans des villes de la Békaa pour appeler à la formation de listes inspirées du modèle FL : structurées, locales, compétentes, et déconnectées des logiques clientélistes anciennes. Cette dynamique pourrait dessiner une nouvelle carte politique régionale, en rupture avec les alliances interconfessionnelles classiques.
Perspectives législatives : quel levier stratégique pour les Forces libanaises ?
L’impact de cette victoire sur les élections législatives de 2026 est évident. Elle conforte la stratégie de conquête locale des Forces libanaises, leur permet de renforcer leur présence dans les administrations municipales, et d’asseoir une image de sérieux et d’efficacité. Zahlé devient un point d’appui majeur dans la Békaa pour préparer les futures listes législatives, recruter de nouveaux candidats, et renforcer les relais sociaux.
Elle donne aussi à Samir Geagea un argument de poids dans les négociations futures entre partis chrétiens, et même dans les discussions interconfessionnelles. En apparaissant comme la seule force capable de remporter un scrutin compétitif dans une grande ville chrétienne, les FL renforcent leur pouvoir de négociation dans un paysage politique en pleine recomposition.
Ce succès leur offre aussi une caisse de résonance nationale. Zahlé devient une vitrine : si la mairie est bien gérée, si les promesses de campagne sont respectées, l’effet d’exemplarité pourrait jouer ailleurs. À l’inverse, un échec de gestion pourrait briser cette dynamique.
Les défis à venir : gouverner avec crédibilité
La victoire oblige. Les attentes sont immenses, les urgences nombreuses. La municipalité hérite d’une ville confrontée à des déficits budgétaires, à une gestion chaotique des services publics, et à une défiance enracinée dans une partie de la population. Les chantiers prioritaires sont connus : remise à niveau des infrastructures, réhabilitation des routes, rationalisation des dépenses, numérisation des services administratifs.
La pression citoyenne sera forte. Dans une époque marquée par une exigence accrue de transparence, les élus FL n’auront pas droit à l’erreur. Les premiers mois du mandat seront scrutés à la loupe. La capacité à désigner une équipe technique compétente, à résister aux tentations de clientélisme et à imposer une méthode de travail rigoureuse sera déterminante.
Autre défi : maintenir l’unité de la majorité municipale. Une victoire large génère parfois des tensions internes. Il faudra gérer les ambitions, les divergences d’approche, et garantir une gouvernance inclusive. La réussite de cette expérience municipale pourrait conditionner la crédibilité future du parti dans d’autres régions.