Walid Klibi, Kedge Business School

À la surprise générale, les Britanniques ont fait le choix le 23 juin dernier de sortir de l’Union européenne. Le Brexit est sans nul doute un rétropédalage édifiant qui va à contre-courant de la globalisation. Même si les modalités de sortie et les conséquences à long terme restent encore inconnues, d’ores et déjà une chose est sûre, en remettant en cause le libre-échange des biens et des personnes, le commerce international et les circuits de production intra-européens des entreprises vont être mis à mal.

Regarder en face toutes les conséquences du Brexit

Nous en sommes convaincus, les entreprises n’auront pas d’autre choix que de réviser leur stratégie supply chain en reconfigurant certains flux de production et de distribution, voire en relocalisant certains sites. Le Brexit impactera tout le processus d’import-export. Si les entreprises souhaitent rester compétitives, elles devront, malgré cet obstacle au libre-échange qui pénalisera nécessairement leurs délais, conserver un niveau de service très élevé.

Parallèlement, il leur faudra réviser leur plan de rentabilité. Si les voyants des scénarios virent au rouge à cause de l’évolution des tarifs et processus douaniers, des politiques migratoires, des accords commerciaux, de la fiscalité… les coûts grimperont. Et ne nous leurrons pas, si les entreprises veulent maintenir leur compétitivité, elles ne devront pas augmenter leurs prix de vente mais réduire leur marge, leur taux de profit.

Autre crainte et pas des moindres, on peut légitimement s’interroger sur les conséquences d’un éventuel changement de la loi travail. Car là aussi, qu’est-ce qui se joue ? Qu’une entreprise se détourne du marché britannique faute de trouver une main-d’œuvre qualifiée et suffisante dans des secteurs exposés comme l’aéronautique, le luxe ou la grande consommation. On l’observe déjà dans l’enseignement supérieur, les universités britanniques sont en partie menacées car il est probable que beaucoup d’étudiants s’en détournent de peur de ne pouvoir s’installer au Royaume-Uni et y travailler plus tard.

C’est certain, le risque de délocalisation est fort. À court terme, il ne concerne pas les acteurs globaux fortement connectés, comme Airbus ou PSA, qui ont suffisamment de ressources et de flexibilité pour s’adapter. Il concerne plutôt les entreprises de taille moyenne et intermédiaire dont le niveau de vulnérabilité est plus important.

Cela peut avoir différentes répercussions, surtout sur les produits où nous sommes dans une compétition d’approvisionnement Asie-Europe. Beaucoup d’entreprises ont misé sur la proximité avec des localisations européennes pour éviter des délais d’approvisionnement trop longs, de la non-qualité, des fournisseurs incertains…

Si ces choix deviennent fragiles, on retombera alors dans une problématique d’approvisionnement de longue distance avec toutes les difficultés qu’elle implique, notamment managériales. Il y a donc fort à parier que les entreprises de taille plus modeste s’intéressent progressivement à de nouveaux marchés plus accessibles et donc plus rentables.

Intégrer les risques géopolitiques

Au niveau stratégique, il est important d’anticiper des scénarios à risque géopolitique, et d’analyser, par une approche « What-if » l’impact de cinq facteurs perturbateurs : les accords commerciaux, le taux de change, les exigences réglementaires, la politique migratoire ou la loi travail et la fiscalité. Chaque entreprise doit être capable de dire quel scénario pessimiste la rendrait vulnérable s’il se réalisait.

Elle doit pouvoir anticiper si sa compétitivité risque d’être impactée et prévoir dans sa stratégie supply chain des investissements dans la résilience and des plans de contingences. C’est ce que j’enseigne depuis des années à mes étudiants qui seront demain des décideurs, en les incitant à toujours avoir une démarche d’anticipation dans un monde incertain.

Certes le Brexit a eu un impact médiatique retentissant, mais n’oublions pas que lors des deux mandats de Barack Obama, des mesures protectionnistes ont également été prises, même si elles sont passées presque inaperçues. La bonne nouvelle c’est que depuis le fameux « Leave » des Britanniques, les entreprises commencent à se dire qu’elles doivent impérativement considérer les risques géopolitiques dans leur stratégie à long terme, au même titre qu’elles le font depuis quelques années avec les désastres naturels ou les accidents industriels, comme Fukushima nous l’a rappelé.

Stratégies de résilience

Ce n’est pas un effet de style si aujourd’hui les stratégies que nous enseignons prônent l’agilité, la flexibilité, la robustesse. C’est ce qu’on appelle la résilience : cette capacité à rebondir rapidement après un évènement important. Personne ne peut plus aujourd’hui garantir que dans les cinq prochaines années le monde continuera à fonctionner sur les traces du passé.

Quand des arbitrages sont faits sans tenir compte de tous ces risques ou opportunités, une entreprise s’expose nécessairement. Nous le savons, lorsqu’une décision politique tombe, comme le Brexit, on ne nous demande pas notre avis. Donc sans plan de contingence, sans supply chain résiliente, il devient très coûteux de rebondir.

Walid Klibi, Professeur et Directeur du centre d’excellence en Supply Chain Management à Kedge Business School, Kedge Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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