Les séries télévisées arabes, en particulier les drames et les thrillers politiques, connaissent une popularité croissante dans le Moyen-Orient, portées par l’essor des plateformes de streaming comme Netflix, Shahid et StarzPlay. Si les productions égyptiennes et turques dominent encore largement le marché régional, la télévision libanaise, bien que en retrait, tente de se réinventer en explorant des thématiques actuelles liées à la politique et aux crises sociales du pays. Dans ce paysage concurrentiel, Netflix et d’autres services investissent massivement dans les productions arabes, cherchant à capter une audience croissante dans une région où le marché de la vidéo à la demande (OTT) a bondi de 13 % en 2023, atteignant des revenus projetés à 1,2 milliard de dollars en 2024. Voici un état des lieux des séries les plus populaires et des dynamiques qui redessinent la télévision au Moyen-Orient.
Une explosion des séries arabes sur les plateformes de streaming
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) assistent à une véritable révolution dans la consommation de séries télévisées, alimentée par les plateformes de streaming. Shahid, appartenant au groupe saoudien MBC, domine le marché avec 22 % de parts et 3,6 millions d’abonnés fin 2023, selon les données d’Omdia. En 2024, la plateforme a consolidé sa position avec des séries comme « Al Ameel », une adaptation arabe du succès turc « İçerde » (« Insider »), lancée en août 2023. Ce drame, qui suit deux frères séparés dans l’enfance et opposés par la loi à l’âge adulte, a captivé les spectateurs grâce à sa narration intense et ses 30 épisodes, un format long typique des séries arabes qui fidélise les audiences.
StarzPlay Arabia, autre acteur majeur, a marqué les esprits avec « Million Dollar Listing UAE », une adaptation du format américain diffusée en 2023. Cette série immobilière, tournée à Dubaï et Abu Dhabi, a battu des records d’audience sur la plateforme et a même été vendue au Roku Channel aux États-Unis, une première pour une production arabe. Ces succès illustrent une tendance claire : les séries locales, qu’elles soient des drames familiaux ou des thrillers, répondent à une demande croissante pour des récits ancrés dans la culture régionale.
Netflix, bien que moins dominant dans la région face aux leaders locaux, intensifie ses efforts. En 2024, la plateforme a lancé des séries comme « Echoes of the Past », un drame égyptien de huit épisodes avec Mahmoud Hemida et Asser Yassin, suivant la quête de vengeance d’un homme après la mort de sa sœur. Prévue pour décembre 2024, cette série promet une intrigue sombre et une production soignée, reflétant l’ambition de Netflix de rivaliser avec les géants régionaux.
Égypte et Turquie : les locomotives du marché
La production télévisuelle égyptienne reste une force incontournable dans le Moyen-Orient. Historiquement dominante grâce à son industrie cinématographique établie depuis les années 1950, l’Égypte excelle dans les drames historiques et sociaux. « Secret of the Nile », remake de la série espagnole « Gran Hotel » sorti en 2020 sur Netflix, a transporté les spectateurs dans l’Aswan des années 1950, avec une attention méticuleuse aux détails – dialecte influencé par l’ottoman, décors coloniaux – qui a séduit les critiques. En 2023, « The Exchange », une série koweïtienne produite par Netflix mais tournée avec des talents égyptiens comme Rawan Mahdi, a retracé l’entrée de deux femmes dans la bourse de Koweït en 1987, capturant l’imaginaire régional avec son réalisme historique.
La Turquie, quant à elle, règne sur le marché grâce à ses « dizi », des séries dramatiques exportées massivement depuis 2005. Leur succès dans le monde arabe repose sur des intrigues émotionnelles et des valeurs familiales résonnant avec les spectateurs locaux. MBC a capitalisé sur cette popularité en adaptant des hits turcs pour le public arabe, comme « Mother », une série sur les abus envers les enfants, initialement japonaise puis turque, prévue pour 2024 sur Shahid. Samar Akrouk, directrice de MBC Studios, expliquait en octobre 2024 que ces adaptations « maintiennent un faible taux de désabonnement » grâce à leur format long et leur fidélité culturelle, un atout clé dans un marché où la rétention est essentielle.
La production libanaise à la croisée des chemins
Face à ces géants, la production télévisuelle libanaise lutte pour conserver sa place. Autrefois surnommé « Hollywood du Moyen-Orient » dans les années 1960 pour ses feuilletons romantiques et ses talents, le Liban a vu son industrie décliner avec les crises successives – guerre civile, crise économique depuis 2019, explosion du port en 2020. Des séries comme « Al Hayba », lancée en 2017 sur Netflix, ont marqué les esprits avec leur intrigue autour d’un clan fictif à la frontière syro-libanaise. Dirigée par Taim Hasan et Nadine Nassib Njeim, cette série de cinq saisons explore pouvoir et vengeance, mais seule la première est disponible sur la plateforme, limitant son impact global.
En 2024, les réalisateurs libanais tentent de se réinventer en s’inspirant des réalités politiques et sociales du pays. « The Writer », sorti en 2019 sur Netflix, illustre cette ambition : ce thriller de 30 épisodes suit un romancier accusé de meurtre, mêlant suspense et réflexions sur la désintégration sociale libanaise. « Dollar », première série originale libanaise de Netflix en 2019, mettait en scène Adel Karam dans une chasse au trésor bancaire, capturant l’ironie d’un pays en crise financière. Ces productions, bien que saluées pour leur audace, peinent à rivaliser avec le volume et les budgets des séries égyptiennes ou turques, souvent soutenues par des studios comme Cedars Art Production ou des pactes avec Medyapim et Ay Yapim.
Netflix et les plateformes à l’assaut du marché arabe
Netflix intensifie ses investissements dans les productions arabes pour conquérir le Moyen-Orient, où il reste derrière Shahid et StarzPlay. Depuis « Jinn » en 2019, première série originale régionale tournée en Jordanie, la plateforme a multiplié les projets : « Al Rawabi School for Girls », saison 2 sortie en février 2024, explore le harcèlement scolaire à Amman avec une nouvelle distribution incluant Tara Abboud ; « Finding Ola », saison 2 prévue pour 2024, suit Hend Sabry dans ses aventures de mère célibataire égyptienne. Ces séries, courtes (5 à 10 épisodes), contrastent avec les formats longs traditionnels, mais gagnent en popularité auprès d’une jeunesse avide de récits modernes.
Shahid, fort de son ancrage local, mise sur des adaptations comme « The Good Wife » avec Hend Sabry, lancée en juin 2024, qui a dominé les audiences régionales. StarzPlay, quant à elle, diversifie avec des reality shows comme « Dubai Bling », dont la saison 3 en 2024 a captivé avec ses intrigues de luxe et ses relations tumultueuses. Ces plateformes exploitent des niches spécifiques – Shahid avec le drame familial, StarzPlay avec le glamour – tandis que Netflix cible une audience globale avec des thrillers politiques et sociaux.
Des thématiques ancrées dans l’actualité
Les séries les plus populaires reflètent les préoccupations du Moyen-Orient. Les thrillers politiques, comme « Fauda » sur Netflix, bien qu’orienté vers une perspective israélienne, captivent avec leur action et leurs dilemmes éthiques, totalisant trois saisons en 2024. Les drames sociaux, tels « Paranoid » (2020), première série égyptienne originale de Netflix, plongent dans le paranormal avec Ahmed Amin, abordant subtilement les tensions culturelles. Les réalisateurs libanais, inspirés par la crise de 2019 et les manifestations, intègrent ces thèmes : « Tango » (2018) explore trahison et secrets dans un contexte de désillusion post-accident.
La période de Ramadan reste un pic de consommation, avec des séries comme « Omar » de MBC en 2020, un drame historique, ou « Cairo Class » sur Netflix en 2021, retraçant les aventures de femmes koweïtiennes dans les années 1960. Ces productions, diffusées épisode par épisode pendant le mois sacré, renforcent la fidélité des spectateurs, un phénomène bien documenté en 2020.
Un marché en pleine expansion
Le marché OTT du MENA, avec ses 12,3 millions d’abonnés SVOD fin 2019 et une croissance continue, attire les investisseurs. Netflix, qui a produit « Love is Blind, Habibi » en 2024 à Dubaï, mise sur des formats expérimentaux pour séduire les jeunes. MBC, via Shahid, prévoit une série comme « Mother » pour 2024, tandis que StarzPlay excelle avec des adaptations locales. Malgré les défis – censure culturelle, concurrence turque – les séries arabes gagnent du terrain, portées par des récits qui oscillent entre tradition et modernité.