lundi, mai 12, 2025

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Échec des forces de changement : analyse d’une désillusion politique

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Les élections municipales du 4 mai 2025 dans le Mont-Liban ont confirmé le déclin des forces issues de la contestation d’octobre 2019. Apparus comme un espoir de renouvellement du personnel politique libanais, les mouvements civils et les listes dites « indépendantes » n’ont pas réussi à s’imposer dans le scrutin local. Faiblement représentés, désorganisés, en manque de visibilité, ils ont échoué à transformer leur dynamique nationale en ancrage municipal. Cette contre-performance marque un tournant dans leur trajectoire politique et soulève des interrogations sur leur capacité à incarner une alternative crédible face aux blocs traditionnels.

Une absence remarquée sur les bulletins

Le premier constat est arithmétique : dans une majorité de municipalités du Mont-Liban, aucune liste clairement identifiée comme appartenant aux forces de changement n’a été déposée. Là où des candidatures indépendantes ont émergé, elles ont rarement dépassé le stade de la déclaration d’intention ou n’ont pas obtenu le nombre de signatures requis. Le phénomène a été particulièrement visible dans les grandes localités mixtes, où les appareils partisans traditionnels ont verrouillé le champ électoral dès la phase de constitution des listes.

Ce déficit de participation n’est pas uniquement imputable aux contraintes logistiques. Il traduit une démobilisation interne et un repli sur des considérations tactiques. Face à la machine électorale bien huilée des partis historiques, plusieurs groupes civils ont préféré ne pas risquer un score faible qui affaiblirait leur légitimité.

Fragmentation et désaccords stratégiques

L’échec électoral des forces de changement tient aussi à leur incapacité à s’unir autour d’un projet politique commun. Depuis les législatives de 2022, les députés indépendants issus du mouvement de contestation n’ont pas réussi à structurer une coalition stable ni à établir des mécanismes de coordination sur le plan local.

Les tensions entre personnalités, les divergences sur les méthodes d’organisation, et les rivalités sur les priorités ont empêché la constitution de listes communes dans les principales villes. Chaque groupe a préféré préserver son identité propre plutôt que de participer à une dynamique collective. Ce choix, justifié par des raisons éthiques ou programmatiques, s’est révélé désastreux sur le plan électoral.

Dans certaines localités, plusieurs listes concurrentes, toutes issues de la mouvance de changement, se sont affrontées, dispersant les voix sans parvenir à constituer une force de proposition face aux listes partisanes.

Un éloignement des préoccupations locales

Le discours des forces de changement, centré sur la lutte contre la corruption, la réforme de l’État et la refondation du système politique, ne s’est pas traduit par des propositions concrètes sur la gestion municipale. Dans un scrutin où les enjeux sont très ancrés dans la vie quotidienne — gestion des déchets, entretien des infrastructures, services de proximité — les slogans nationaux n’ont pas suffi à mobiliser.

Beaucoup d’électeurs ont eu le sentiment que les listes indépendantes ne maîtrisaient pas les réalités de terrain. Le manque de figures locales connues, l’absence de programme détaillé ou de campagne de proximité ont accentué cette impression. Le message porté n’a pas su s’adapter aux attentes concrètes des habitants.

Une logistique déficiente face aux machines partisanes

Dans l’organisation matérielle du scrutin, les forces traditionnelles ont montré leur supériorité. Elles ont mobilisé leurs réseaux, imprimé massivement leurs affiches, financé leurs campagnes, et assuré une présence visible dans les bureaux de vote. À l’inverse, les listes indépendantes ont souvent manqué de financement, d’expérience et de relais organisationnels.

Le manque de formation des candidats, l’absence d’agents électoraux formés, la difficulté à obtenir des accréditations et à surveiller les opérations de vote ont contribué à marginaliser les forces alternatives. Le rapport de force était déséquilibré dès le départ, et les quelques percées observées n’ont pas suffi à inverser la tendance.

Une perception d’amateurisme persistant

Pour une partie de l’opinion publique, les mouvements issus de la société civile n’ont pas su se professionnaliser. Leur fonctionnement horizontal, leur refus des hiérarchies et leur méfiance envers toute forme de leadership centralisé ont pu apparaître comme une faiblesse organisationnelle. La difficulté à désigner des porte-parole, à adopter des positions unifiées ou à construire une offre politique lisible a alimenté un sentiment de confusion.

Les électeurs, déjà désabusés par les pratiques des partis traditionnels, n’ont pas trouvé dans les listes de changement une alternative rassurante ou crédible. Ce déficit de confiance a renforcé l’abstention, même parmi les segments de population initialement favorables à un renouvellement du personnel politique.

Une crise de légitimité et de projection

L’échec électoral des forces de changement ne se résume pas à un résultat décevant. Il reflète une crise plus profonde : celle de la projection politique d’un mouvement né dans la rue, porté par une indignation populaire, mais incapable de se transformer en acteur structuré du système démocratique. Le passage de la protestation à la participation électorale reste inachevé.

Faute d’ancrage territorial, de présence continue sur le terrain, de réseaux durables et de stratégie claire, les forces de changement peinent à se positionner comme une troisième voie entre le rejet du système et la reproduction des anciennes logiques. La désillusion actuelle menace de déboucher sur un retrait prolongé, voire sur une dissolution des structures encore existantes.

Des pistes pour une refondation

Malgré ces échecs, des voix s’élèvent pour plaider en faveur d’une refondation des forces de changement. Plusieurs groupes réfléchissent à la création de plateformes locales permanentes, ancrées dans les municipalités, ouvertes aux initiatives citoyennes, et capables de construire un programme de gestion sur la durée. L’idée d’une fédération des mouvements civils, basée sur des critères de transparence, de compétence et de représentativité, fait son chemin.

D’autres appellent à une alliance tactique avec les segments les plus réformateurs des partis traditionnels, dans une logique de transition. Cette stratégie, bien que controversée, vise à intégrer le système pour mieux le transformer de l’intérieur.

La réussite de ces chantiers dépendra de la capacité à tirer les leçons du scrutin municipal, à reconnaître les erreurs stratégiques, et à reconstruire un lien de confiance avec une population de plus en plus sceptique.

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Newsdesk Libnanews
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