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Entre Doha et Naqoura : diplomatie du soutien et géopolitique de l’équilibre au Liban

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Le 17 avril 2025, le président libanais Joseph Aoun achevait une visite officielle à Doha, dans un contexte diplomatique et sécuritaire hautement sensible pour le Liban. Cette mission s’est conclue par l’annonce d’un soutien financier exceptionnel de 100 millions de dollars accordé par le Qatar à l’armée libanaise. Derrière ce geste, salué sur la scène régionale comme une manifestation de solidarité, se dessine un repositionnement stratégique dans un espace géopolitique en recomposition rapide, où les équilibres traditionnels sont remis en cause. Cette séquence illustre à la fois la résilience de l’État libanais à chercher des alliances pragmatiques, et la volonté du Qatar de consolider sa posture de médiateur régional.

Une visite à haute valeur symbolique

Le président libanais a été accueilli avec tous les honneurs dans la capitale qatarie, dans une ambiance décrite comme chaleureuse et marquée par la volonté de renforcer la coopération bilatérale. Lors de la conférence de presse commune, les deux dirigeants ont insisté sur la profondeur des liens historiques entre les deux pays et sur la nécessité d’une solidarité active en période de crise. L’engagement du Qatar à soutenir financièrement l’armée libanaise a été présenté non seulement comme un acte humanitaire, mais aussi comme un signal politique fort en faveur de la stabilité institutionnelle du Liban.

Au-delà du geste financier, la visite a permis d’évoquer plusieurs chantiers de coopération : réforme administrative, soutien logistique, programmes de formation pour les cadres publics, mais aussi coordination sécuritaire sur les dossiers sensibles, notamment la lutte contre les groupes armés transnationaux opérant entre la Jordanie et le Liban.

Une aide militaire à la portée politique

L’aide de 100 millions de dollars destinée à l’armée libanaise a été perçue comme une bouffée d’oxygène pour une institution confrontée à des difficultés structurelles majeures : retards de soldes, vétusté des équipements, déficit de carburant et tensions internes sur le moral des troupes. Ce soutien vise à maintenir les capacités opérationnelles minimales, dans un contexte de regain de tension à la frontière sud et de pressions renouvelées sur la mise en œuvre de la résolution 1701.

Mais ce geste dépasse le cadre logistique. Il s’agit aussi d’un levier diplomatique. En soutenant directement l’armée, le Qatar cherche à valoriser son rôle dans les équilibres internes libanais, en soutenant une institution centrale tout en gardant une distance prudente vis-à-vis des partis politiques. Ce positionnement permet à Doha d’apparaître à la fois comme un garant de la stabilité et comme un acteur soucieux de la souveraineté du Liban.

L’ombre portée de la résolution 1701

La question de la mise en œuvre de la résolution 1701 reste au cœur des préoccupations sécuritaires et diplomatiques. Le sud du Liban reste une zone sensible, marquée par des incidents réguliers, des tirs de roquettes, et une présence fluctuante de groupes armés. La résolution exige le désarmement de tous les groupes non étatiques dans la zone et le renforcement du rôle de la FINUL, en coordination avec l’armée libanaise.

Dans ce contexte, le président libanais a réaffirmé, depuis Doha, que l’armée accomplissait pleinement son devoir, mais que les provocations répétées de l’armée israélienne empêchaient le plein déploiement des forces libanaises. Il a également salué le rôle de la FINUL, tout en appelant à une meilleure coordination entre les différents acteurs internationaux présents sur le terrain.

Des rapports confidentiels remis au gouvernement libanais évoquent toutefois une préoccupation croissante de certaines chancelleries occidentales quant à la présence d’armements non identifiés dans les zones sous surveillance onusienne. Le Qatar pourrait, dans ce cadre, jouer un rôle discret de facilitateur, en favorisant une médiation entre Beyrouth, la FINUL, et les pays contributeurs.

Le Qatar, nouveau médiateur régional ?

Depuis plusieurs années, le Qatar multiplie les initiatives diplomatiques dans des zones de tension, du Soudan à l’Afghanistan, en passant par Gaza. Le soutien apporté au Liban s’inscrit dans une stratégie plus large visant à consolider son image de médiateur crédible et de puissance souple. À travers l’aide à l’armée libanaise, Doha envoie aussi un message à ses rivaux régionaux : sa diplomatie n’est pas limitée aux slogans, elle s’accompagne de ressources concrètes.

Dans le dossier libanais, le Qatar semble vouloir se positionner comme un partenaire à la fois désengagé des rivalités internes et impliqué dans les enjeux de stabilité. Cette position lui permet de dialoguer avec l’ensemble des composantes du paysage libanais, tout en valorisant son image auprès des capitales occidentales.

Cependant, ce positionnement n’est pas sans susciter des crispations. Des voix, au Liban comme ailleurs, dénoncent une instrumentalisation de l’aide militaire à des fins d’influence. Certains y voient une tentative d’imposer un cadre de sécurité qui marginaliserait certaines forces locales jugées hostiles aux intérêts occidentaux.

L’équation libanaise : fragilité et dépendances

La séquence diplomatique ouverte par la visite présidentielle à Doha met en lumière l’un des paradoxes centraux du Liban contemporain : un État qui affirme sa souveraineté en acceptant des aides extérieures massives. Cette logique, bien que pragmatique, alimente une forme de dépendance diplomatique. En retour, les bailleurs de fonds espèrent des gestes symboliques ou des engagements concrets, notamment sur les dossiers sécuritaires ou institutionnels.

L’aide du Qatar à l’armée libanaise ne peut donc être isolée des autres exigences régionales. En particulier, le désarmement du Hezbollah reste un objectif explicite pour plusieurs partenaires occidentaux. Même si le président libanais n’a pas évoqué directement cette question, il est probable que les discussions à huis clos aient abordé les moyens de renforcer le monopole étatique sur la violence légitime.

Le Qatar, tout en évitant de s’aligner frontalement sur cette ligne, pourrait faciliter des arrangements indirects, en favorisant le redéploiement de certaines unités, ou en appuyant la montée en puissance de l’armée régulière dans des zones sensibles. Cette logique graduelle, fondée sur l’incitation plus que sur la coercition, s’inscrit dans une approche qatarie prudente mais déterminée.

Une diplomatie à plusieurs vitesses

Le Liban de 2025 navigue entre plusieurs pôles diplomatiques : la France, toujours influente ; les États-Unis, préoccupés par l’équilibre régional ; l’Iran, présent à travers ses relais ; l’Arabie Saoudite, attentive aux recompositions sunnites ; et désormais, le Qatar, qui s’affirme comme une alternative souple à la pression frontale.

Dans ce jeu d’équilibres, la diplomatie libanaise cherche à préserver ses marges. La visite de Joseph Aoun à Doha est un exemple de cette navigation prudente. Elle montre qu’il est possible d’obtenir un soutien sans s’aligner totalement, de construire des partenariats sans aliéner l’autonomie nationale. Mais cette position est fragile. Elle nécessite une cohésion interne que les institutions libanaises peinent encore à consolider.

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