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Forces de l’ordre et crise financière : comment le sous-financement fragilise la sécurité au Liban ?

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du sous-financement des forces de l’ordre. Alors que le pays traverse l’une des pires crises économiques de son histoire, les Forces de Sécurité Intérieure (FSI) et l’Armée Libanaise subissent de plein fouet les effets des restrictions budgétaires. Réduction des effectifs, manque d’équipement, salaires insuffisants : autant de facteurs qui affaiblissent la capacité des institutions sécuritaires à remplir leur mission. Cette situation, combinée à une montée de la criminalité, risque de transformer plusieurs régions du pays en zones de non-droit, où seule la loi du plus fort prévaut.

Un budget en chute libre et des moyens insuffisants

La baisse du budget consacré aux forces de l’ordre a eu des conséquences désastreuses sur l’ensemble du système sécuritaire libanais. En l’absence de ressources suffisantes, la capacité opérationnelle des Forces de Sécurité Intérieure (FSI) et de l’Armée Libanaise s’est considérablement amoindrie, affectant aussi bien les missions de maintien de l’ordre que les opérations de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. De nombreuses unités spécialisées, comme les brigades d’intervention rapide et les services de renseignement, ont dû limiter leurs activités faute de moyens logistiques et de financement. Le manque de carburant a contraint plusieurs commissariats et postes militaires à réduire leurs patrouilles, laissant certaines régions du pays sans surveillance suffisante, ce qui a permis à des groupes criminels et des milices locales d’étendre leur influence.

L’impact de cette crise budgétaire est également visible dans l’équipement des forces de l’ordre. Les véhicules de police et militaires, qui nécessitent un entretien régulier, sont souvent immobilisés faute de pièces détachées ou de carburant, ralentissant les interventions et réduisant la présence des forces de l’ordre sur le terrain. Les uniformes et équipements de protection individuelle, indispensables aux forces en service, ne sont plus fournis en quantité suffisante, forçant de nombreux agents à utiliser du matériel vétuste ou personnellement financé. Le manque d’armes et de munitions a également restreint l’efficacité des unités chargées de lutter contre les trafics d’armes et de stupéfiants, alors même que ces activités connaissent une recrudescence dans plusieurs régions du pays.

La crise touche aussi directement le quotidien des policiers et des militaires, dont les conditions de vie se sont dramatiquement détériorées. Avec des salaires qui ont chuté de manière vertigineuse en raison de la dévaluation de la livre libanaise, ces agents se retrouvent dans une précarité financière extrême. Un soldat ou un policier qui percevait 1 500 dollars en 2019 ne gagne plus aujourd’hui qu’environ 100 à 150 dollars, une somme à peine suffisante pour couvrir les frais de logement et de nourriture. Beaucoup d’entre eux ont été contraints de quitter leur logement faute de pouvoir payer leur loyer ou de retirer leurs enfants du système scolaire privé pour les inscrire dans des établissements publics, eux-mêmes en grande difficulté.

Face à cette dégradation de leurs conditions de travail et de vie, un grand nombre d’agents cherchent des alternatives, notamment en rejoignant des entreprises de sécurité privée locales ou en partant travailler à l’étranger. Des rapports récents indiquent que plusieurs anciens membres des FSI et de l’Armée Libanaise ont été recrutés par des sociétés de sécurité au Golfe ou en Afrique, où les salaires et les conditions de travail sont bien plus attractifs. Ceux qui restent en fonction n’ont d’autre choix que de cumuler des petits boulots dans des secteurs informels, comme le transport, la surveillance privée ou les services de livraison, ce qui compromet leur engagement et leur disponibilité pour leurs missions officielles.

Une vague de désertions et une perte de contrôle sur certaines régions

Le départ massif des agents des Forces de Sécurité Intérieure (FSI) et de l’Armée Libanaise est un phénomène qui ne cesse de s’accélérer depuis le début de la crise économique. En l’espace de quatre ans3 500 agents ont abandonné leur poste, un chiffre qui pourrait être encore plus élevé si l’on inclut ceux qui, bien que toujours officiellement en fonction, ne se présentent plus à leur travail en raison du manque de motivation ou de l’impossibilité financière de se rendre sur leur lieu de service. Les effectifs des forces de l’ordre sont désormais insuffisants, et ceux qui restent doivent compenser cette hémorragie en travaillant avec des ressources limitées et un moral au plus bas.

L’impact est particulièrement visible dans les régions les plus sensibles du pays. Dans la banlieue sud de Beyrouth, les forces de l’ordre ont largement réduit leurs patrouilles, ce qui a permis à des gangs et à des réseaux criminels de renforcer leur emprise. Dans plusieurs quartiers, les habitants rapportent une hausse inquiétante des vols, des extorsions et des agressions, sans qu’aucune intervention policière efficace ne soit menée. Certains commerces et entreprises locales ont dû verser des “droits de protection” à des groupes armés pour éviter d’être pris pour cible.

Dans la Bekaa, où la contrebande et le trafic de drogue étaient déjà des problèmes chroniques, la situation s’est encore aggravée. Les zones rurales sont particulièrement touchées par la montée en puissance de groupes armés opérant en dehors de tout cadre légal. Avec un contrôle étatique quasi inexistant, ces groupes s’occupent eux-mêmes d’assurer l’ordre, en imposant leurs propres règles et en développant des tribunaux informels qui échappent totalement au système judiciaire officiel. Cette situation complique encore davantage le travail des forces de l’ordre qui, même lorsqu’elles parviennent à interpeller des criminels, peinent à les maintenir en détention faute d’un système judiciaire fonctionnel.

Au nord du Liban, notamment dans les régions de Tripoli et Akkar, les mêmes tendances se manifestent. Les violences intercommunautaires sont en recrudescence, et plusieurs groupes paramilitaires ont renforcé leur présence en remplaçant l’autorité de l’État. Certains quartiers de Tripoli sont devenus de véritables zones de non-droit, où seuls les groupes armés ont le dernier mot. Les habitants qui dénoncent cette situation risquent des représailles immédiates, ce qui accentue encore davantage la peur et le sentiment d’abandon des populations locales.

Face à cette détérioration sécuritaire, de nombreux citoyens ont dû trouver des solutions alternatives. Certains se sont tournés vers les milices locales, d’autres ont investi dans des systèmes de sécurité privés, comme des caméras de surveillance et des vigiles. Dans plusieurs quartiers de Beyrouth et de Tripoli, des comités de résidents se sont constitués pour organiser des patrouilles de quartier ou engager des gardiens armés, une pratique qui se généralise à mesure que l’autorité de l’État s’efface. Toutefois, ces initiatives restent limitées et ne suffisent pas à endiguer l’augmentation des crimes violents, laissant planer un risque d’escalade incontrôlable.

Une montée de la corruption dans les forces de sécurité

Le sous-financement des forces de sécurité ne se limite pas à une simple crise budgétaire ; il a engendré un phénomène bien plus inquiétant : la montée en flèche de la corruption au sein des institutions sécuritaires. Alors que les salaires des policiers et des militaires sont devenus dérisoires, certains agents n’ont d’autre choix que d’accepter des pots-de-vin pour compléter leurs revenus. Ce phénomène, autrefois limité à certains cas isolés, s’est transformé en un système quasi-institutionnalisé, où les arrangements financiers remplacent de plus en plus souvent l’application stricte de la loi.

Dans plusieurs commissariats, il est devenu courant que des contrevenants échappent aux sanctions en échange de paiements clandestins. Les infractions au code de la route, la contrebande et même certaines affaires criminelles peuvent être « négociées » moyennant des sommes variables. Des rapports ont révélé que des réseaux organisés de corruption existent au sein des forces de sécurité, certains officiers offrant des « protections » à des individus influents, des trafiquants et même des politiciens. Cette pratique ne se limite pas aux milieux criminels : certains citoyens ordinaires, confrontés à une bureaucratie inefficace et à des délais judiciaires interminables, sont souvent contraints de payer pour accélérer leurs démarches, qu’il s’agisse de récupérer un document officiel ou de s’assurer que leur plainte soit prise en compte.

L’absence de contrôle efficace et la peur des représailles empêchent toute réelle remise en question de ces pratiques. Ceux qui tentent d’exposer ces dysfonctionnements, qu’ils soient journalistes ou lanceurs d’alerte au sein des forces de l’ordre, font face à des menaces et des pressions pour les faire taire. Certains ont été mutés de force, tandis que d’autres ont préféré quitter le pays plutôt que de subir des représailles de la part d’un système gangréné par l’impunité.

Cette corruption généralisée ne fait qu’accroître l’anarchie dans plusieurs régions du Liban. Les groupes criminels, désormais conscients qu’ils peuvent acheter leur tranquillité, n’hésitent plus à étendre leurs activités en toute impunité. Certains quartiers, jadis sous la surveillance de la police, sont aujourd’hui contrôlés par des gangs ou des milices, qui imposent leurs propres règles et font office d’ »autorités locales ». Dans ces zones, l’État libanais a pratiquement cessé d’exister, laissant place à un système où seuls les plus riches peuvent se protéger, tandis que le reste de la population est livré à lui-même.

L’un des aspects les plus inquiétants de cette corruption systémique est la libération rapide des criminels arrêtés. De nombreux citoyens dénoncent le fait que des individus impliqués dans des actes de violence, des vols et même des homicides soient relâchés après seulement quelques heures de détention, en échange d’un arrangement financier. Cette pratique a contribué à une perte totale de confiance envers les forces de l’ordre, certains habitants préférant ne plus signaler les crimes par peur de représailles ou par conviction que leurs plaintes n’aboutiront à rien. Cette situation renforce encore davantage le sentiment d’impunité chez les délinquants et accélère le délitement du cadre légal et sécuritaire du pays.

Des solutions envisagées mais insuffisantes

Face à la crise qui frappe les forces de sécurité libanaises, plusieurs solutions ont été avancées, mais leur mise en œuvre reste entravée par des blocages politiques et budgétaires. Le ministère de l’Intérieur a récemment réclamé une augmentation substantielle des ressources allouées à la sécurité, soulignant l’urgence de restaurer des conditions de travail décentes pour les policiers et les militaires. Toutefois, cette demande se heurte aux graves difficultés financières du gouvernement, dont le budget national est toujours en suspens au Parlement en raison des divisions politiques profondes. L’incapacité des dirigeants à s’entendre sur une répartition des fonds a pour conséquence directe l’asphyxie des services publics, dont les forces de l’ordre sont les premières victimes.

En attendant une solution budgétaire interne, le Liban a dû compter sur des aides extérieures pour maintenir un minimum de capacités opérationnelles. En 2024, des pays comme les États-Unis et la France ont fourni des équipements militaires et des véhicules aux FSI et à l’Armée Libanaise, ainsi que des formations spécialisées pour améliorer la gestion des interventions et du renseignement. Toutefois, si ces aides sont précieuses, elles ne suffisent pas à combler les lacunes systémiques. La plupart des équipements livrés concernent des armements légers, des véhicules blindés et du matériel de surveillance, mais aucune aide financière directe n’a été accordée pour réajuster les salaires des agents ou améliorer leurs conditions de vie.

Le principal défi reste donc le financement durable des forces de sécurité. Une réforme profonde du secteur s’impose, avec des mesures concrètes pour stabiliser les rémunérations des policiers et des soldats, afin de stopper l’exode massif des effectifs. Pour cela, plusieurs pistes sont évoquées :

  • L’augmentation des revenus de l’État grâce à une meilleure collecte fiscale, en luttant contre la fraude et l’évasion fiscale qui privent le gouvernement de ressources essentielles.
  • Un soutien international plus structuré, avec des aides financières conditionnées à des réformes de transparence dans la gestion des fonds publics.
  • Une refonte du système de primes et d’indemnités des forces de l’ordre, permettant de compenser l’érosion des salaires face à l’inflation et d’encourager les agents à rester en fonction.

Sans ces ajustements, les aides ponctuelles resteront insuffisantes et ne feront que retarder l’inévitable : une dissolution progressive du système sécuritaire, qui laisserait le pays encore plus vulnérable face à la montée de la criminalité et à l’émergence de milices privées prenant le relais des institutions officielles.

Quel avenir pour la sécurité au Liban ?

Si la situation ne s’améliore pas rapidement, le Liban pourrait se diriger vers un scénario où l’État perdra définitivement le contrôle de certaines régions. Sans moyens suffisants, les forces de l’ordre risquent d’être incapables de maintenir la sécurité, ce qui pourrait entraîner une montée de la violence et une généralisation des milices privées.

La seule issue viable passe par une stabilisation économique globale, permettant une augmentation des salaires et un renforcement des moyens des forces de sécurité. Mais tant que l’instabilité politique et la crise financière persisteront, le pays restera exposé à une insécurité grandissante et à une érosion continue de l’autorité de l’État.

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