Un silence oppressant règne sur Gaza. Depuis le durcissement du blocus israélien, l’enclave palestinienne s’enlise dans une crise où la faim devient une arme aussi redoutable que les bombes. Dimanche 2 mars 2025, Israël a suspendu l’entrée de toutes marchandises et fournitures, menaçant de « conséquences supplémentaires » si le Hamas n’accepte pas une extension de la trêve fragile expirée la veille. Entre les accusations de « crime de guerre » portées par le Hamas, les médiations hésitantes des pays arabes et l’inaction de la communauté internationale, Gaza se trouve au bord d’un précipice humanitaire. Cette « guerre de famine » pourrait-elle déclencher une catastrophe sans précédent ? Les prochains jours seront décisifs.
Un siège qui broie les espoirs
La bande de Gaza, prison à ciel ouvert pour ses 2,3 millions d’habitants, subit un blocus renforcé depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Ce jour-là, des militants dirigés par le Hamas ont tué environ 1 200 personnes, majoritairement des civils, et pris 251 otages, déclenchant une riposte israélienne d’une ampleur inégalée. L’offensive qui a suivi a fait plus de 48 000 morts palestiniens, selon le ministère de la Santé de Gaza, dont plus de la moitié seraient des femmes et des enfants. Près de 90 % de la population a été déplacée, entassée dans des camps de tentes ou des écoles transformées en abris précaires.
Le blocus, instauré dès les premiers jours de la guerre, s’est intensifié après l’expiration samedi 1er mars 2025 de la première phase d’un cessez-le-feu conclu le 19 janvier. Ce dernier avait permis une augmentation temporaire de l’aide humanitaire – environ 25 000 camions – et un retrait partiel des forces israéliennes, sauf dans le corridor de Philadelphi et certaines zones du nord. Mais la décision israélienne de suspendre toutes les livraisons dimanche a replongé Gaza dans l’incertitude. Les points de passage comme Rafah et Erez sont fermés aux camions, et en 2024, seuls 17 % des besoins alimentaires ont été satisfaits. Aujourd’hui, les rations se réduisent à un repas tous les deux jours pour beaucoup, tandis que le nord de l’enclave, vidé de ses habitants sur ordre israélien, est coupé du monde. Les maladies prolifèrent dans des conditions sanitaires apocalyptiques, et ce siège, qui dépasse la lutte contre le Hamas, menace de réduire Gaza à un désert humanitaire.
Le Hamas hurle, les pays arabes s’impatientent
Le Hamas a réagi avec virulence. Dès dimanche, il a qualifié la suspension de l’aide de « chantage bon marché », un « crime de guerre » et une « atteinte flagrante » à l’accord de trêve. « Israël tente de briser la trêve pour nous soumettre », a déclaré un porte-parole, accusant Netanyahu de violer les termes de janvier, qui prévoyaient la poursuite des livraisons pendant les négociations sur la phase deux – un retrait total israélien et la libération des otages restants. Le Hamas, qui détient encore 59 otages (dont 32 présumés morts), refuse de céder sans garanties fermes, arguant que les livraisons devaient continuer.
Les pays arabes oscillent entre indignation et impuissance. L’Égypte, le Qatar et la Jordanie ont dénoncé la décision israélienne, l’Égypte pointant une « utilisation de la faim comme arme ». Le Caire et Doha, médiateurs depuis plus d’un an, tentent de ranimer les discussions, mais leur influence s’érode face à l’inflexibilité des deux camps. L’Arabie saoudite, qui a gelé sa normalisation avec Israël en 2023, rejette tout déplacement forcé des Gazaouis vers le Sinaï, une idée évoquée par certains en Israël. La Ligue arabe multiplie les déclarations sans plan concret, laissant la rue arabe, furieuse, presser des dirigeants hésitants. Cette cacophonie diplomatique abandonne Gaza à son sort.
La communauté internationale : des mots sans poids
La réponse internationale reste un écho de promesses creuses. L’ONU alerte depuis des mois sur la catastrophe imminente. António Guterres a qualifié la situation d’ »indescriptible » en janvier 2025, plaidant pour un cessez-le-feu humanitaire. La Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt en novembre 2024 contre Netanyahu et des leaders du Hamas pour crimes de guerre, incluant l’usage présumé de la famine. La Cour internationale de Justice, saisie par l’Afrique du Sud, a jugé l’occupation illégale et exigé un accès humanitaire, mais ses décisions sont ignorées.
Les grandes puissances pataugent dans leurs contradictions. Les États-Unis, soutiens d’Israël, condamnent le Hamas mais évitent de critiquer ouvertement le blocus. Un responsable israélien a révélé dimanche que la suspension de l’aide était coordonnée avec l’administration Trump, signalant un alignement renforcé. Netanyahu soutient la proposition de Steve Witkoff, émissaire de Trump, pour prolonger la trêve jusqu’au 20 avril, mais le Hamas la rejette. L’Europe, fragmentée, oscille entre appels à l’aide (France) et prudence (Allemagne), sans sanctions sérieuses. La Russie et la Chine appuient les Palestiniens à l’ONU, mais leurs vétos croisés avec ceux des États-Unis paralysent le Conseil de sécurité. Les ONG, débordées, dénoncent une inaction criminelle face à une crise qui s’aggrave.
Vers quel abîme ? Les scénarios en jeu
L’avenir de Gaza se joue à pile ou face. Trois hypothèses dominent.
Le plan Witkoff : une trêve sous tension
Le plan Witkoff, proposé par Steve Witkoff, l’envoyé de Trump, vise à prolonger la première phase du cessez-le-feu pour six semaines, jusqu’au 20 avril 2025, couvrant Ramadan et Pâques. Dès le premier jour, le Hamas devrait libérer la moitié des 59 otages restants (vivants et morts), le reste suivant si un accord permanent est conclu. L’aide humanitaire devait continuer, mais Israël l’a suspendue le 2 mars face au refus du Hamas, qui exige des garanties sur la phase deux – retrait total et fin du conflit. Soutenu par Netanyahu et Trump, qui promet un soutien militaire sans limite si les négociations échouent, ce plan est perçu comme un ultimatum : accepter ou affronter une guerre relancée. Le Hamas le rejette, le voyant comme une tentative de contourner l’accord initial.
Soulèvement en Cisjordanie : une poudrière prête à exploser
La violence en Cisjordanie s’intensifie depuis octobre 2023 : 719 Palestiniens tués en un an, un record. La faim à Gaza pourrait cristalliser cette rage, déclenchant une révolte massive, voire une troisième Intifada, d’autant que les colons et les raids israéliens attisent les braises. Une contagion régionale n’est pas exclue.
Escalade militaire : le spectre d’un conflit élargi
Malgré la trêve, des frappes israéliennes ont tué des Palestiniens accusés de violer ses termes, et le Hamas menace de reprendre les roquettes. Une offensive terrestre ou une intervention du Hezbollah pourraient embraser la région, avec un soutien américain renforcé sous Trump.
Une bombe à retardement humanitaire
La « guerre de famine » à Gaza est une réalité implacable. Le blocus, en coupant les vivres à une population exsangue, flirte avec une crise humanitaire d’une échelle inédite. Le Hamas résiste, les pays arabes s’indignent, et la communauté internationale, paralysée, regarde le drame se jouer. Israël justifie son siège en accusant le Hamas de détourner l’aide, tandis que l’ONU pointe son incapacité à distribuer les rares convois. Le plan Witkoff, bien que soutenu par Trump et Netanyahu, bute sur le refus du Hamas, rendant chaque jour plus incertain. Entre soulèvement, pourparlers ou guerre totale, Gaza vacille au bord du gouffre. La faim pourrait tuer plus que les armes, et le monde, figé, risque de n’être qu’un témoin muet d’une tragédie annoncée.
À ce jour, 3 mars 2025, les bilans officiels font état de 48 903 morts palestiniens à Gaza, selon le ministère de la Santé local, dont environ 70 % seraient des femmes et des enfants, soit plus de 34 000 individus. En Cisjordanie, 1 004 morts sont recensés. Côté israélien, 1 706 personnes ont été tuées, dont 1 200 lors de l’attaque initiale du Hamas et 405 soldats depuis le début des opérations terrestres. Les bilans non officiels, eux, dressent un tableau encore plus sombre. Une étude de The Lancet de janvier 2025 estime que le nombre réel de morts à Gaza pourrait atteindre 64 260 pour les seules blessures traumatiques jusqu’à juin 2024, et dépasser 70 000 en octobre 2024, sans compter les décès indirects dus à la malnutrition et aux maladies. Des projections plus larges évoquent jusqu’à 186 000 morts si ces facteurs sont inclus, un chiffre contesté mais révélateur de l’ampleur potentielle de la tragédie. Avec plus de 11 000 disparus présumés sous les décombres, la faim pourrait devenir l’arme finale d’un conflit déjà dévastateur.