Les derniers articles

Articles liés

La visite de Joseph Aoun en Arabie Saoudite peut-elle relancer l’économie libanaise ?

- Advertisement -

Un vent d’espoir souffle sur le Liban. Ce lundi 3 mars 2025, le président Joseph Aoun entame sa première visite officielle en Arabie saoudite, un déplacement chargé de symboles et d’attentes dans un pays ravagé par une crise économique sans précédent. Après des années de tensions, ce rapprochement avec Riyad pourrait-il marquer le début d’une renaissance pour l’économie libanaise ? Entre promesses de soutien financier, exigences de réformes drastiques et lutte contre l’influence du Hezbollah, les enjeux sont colossaux.Alors que Beyrouth mise sur les milliards saoudiens pour sortir du gouffre, la question demeure : cette main tendue suffira-t-elle à ranimer un État exsangue ? Décryptage d’un pari audacieux.

Les enjeux d’un tournant : un passé à dépasser

Les relations entre le Liban et l’Arabie saoudite n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. Historiquement, Riyad a joué un rôle de bienfaiteur après la guerre civile libanaise (1975-1990), injectant des milliards pour reconstruire un pays en ruines. Mais cette idylle s’est fissurée au fil des ans. L’assassinat de Rafic Hariri en 2005, imputé par beaucoup à la Syrie et au Hezbollah – tous deux proches de l’Iran –, a marqué un tournant. La montée en puissance du Hezbollah, perçu par Riyad comme une menace régionale, a creusé un fossé. En 2021, la rupture est consommée : après des propos critiques d’un ministre libanais sur la guerre au Yémen, l’Arabie saoudite expulse l’ambassadeur libanais, rappelle le sien et impose un embargo sur les exportations agricoles de Beyrouth.

Aujourd’hui, le contexte a changé. L’élection de Joseph Aoun le 9 janvier 2025, après plus de deux ans de vacance présidentielle, et la nomination de Nawaf Salam comme Premier ministre signalent un virage. L’affaiblissement du Hezbollah, laminé par la guerre avec Israël en 2024 et la chute de son allié syrien Bachar el-Assad en décembre, ouvre une fenêtre d’opportunité. La visite de Aoun à Riyad, sa première à l’étranger, n’est pas anodine : elle vise à sceller un retour dans le giron arabe, avec l’Arabie saoudite comme pivot. Mais ce rapprochement ne sera pas un chèque en blanc. Derrière les poignées de main, les enjeux économiques et politiques s’entremêlent, et le Liban doit prouver qu’il mérite cette nouvelle chance.

Les attentes libanaises : un appel au secours économique

Le Liban est à genoux. Depuis 2019, son économie s’est effondrée : le PIB a chuté de 38 % entre 2019 et 2024, l’inflation a atteint un pic de 221 % en 2023, et la livre libanaise a perdu plus de 95 % de sa valeur. La guerre avec Israël en 2023-2024 a aggravé le désastre, causant 8,5 milliards de dollars de dégâts matériels et déplaçant 1,3 million de personnes. Plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et les infrastructures – routes, électricité, hôpitaux – sont en lambeaux. Face à cette hécatombe, Beyrouth regarde vers Riyad avec des yeux pleins d’espoir.

Les attentes sont claires : un soutien financier massif et une ouverture aux investissements saoudiens. Le Liban espère des dons ou des prêts pour relancer son économie et reconstruire le sud, dévasté par les combats. Les autorités rêvent aussi d’un retour des investisseurs du Golfe, dont les capitaux pourraient revitaliser des secteurs clés comme l’immobilier, le tourisme ou l’énergie. Avant la crise, les Saoudiens étaient des acteurs majeurs au Liban : ils finançaient des projets d’infrastructure et leurs touristes remplissaient les hôtels de Beyrouth. Aujourd’hui, le gouvernement de Salam table sur une levée de l’embargo saoudien sur les produits libanais – notamment agricoles – et sur la fin de l’interdiction de voyage pour les citoyens du royaume, deux mesures qui pourraient injecter des devises fraîches dans une économie exsangue.

Les conditions de Riyad : un prix à payer

L’Arabie saoudite n’est plus le mécène généreux d’autrefois. Fini le temps des aides inconditionnelles : Riyad pose ses termes, et ils sont sévères. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, l’a martelé lors de sa visite à Beyrouth en janvier 2025 : « Nous avons besoin d’actions concrètes, de réformes réelles, d’un engagement pour un Liban tourné vers l’avenir. » Ces conditions s’articulent autour de trois axes majeurs.

Réformes économiques : sortir du marasme

Le royaume exige des réformes structurelles pour débloquer son aide. Cela inclut une restructuration du secteur bancaire, en faillite depuis 2020, une refonte des finances publiques – où la dette atteint 150 % du PIB – et une lutte contre l’évasion fiscale. Le Liban doit aussi honorer ses engagements avec le FMI, qui a promis 3 milliards de dollars en 2022, gelés faute de progrès. Ces réformes, bien que nécessaires, risquent de heurter une population déjà à bout et une élite politique habituée à l’opacité.

Lutte contre la corruption : nettoyer les écuries d’Augias

La corruption, « institutionnalisée » selon l’ancien président Michel Aoun en 2020, est un fléau que Riyad veut voir disparaître. Les Saoudiens refusent de voir leurs fonds s’évaporer dans les poches d’une classe dirigeante discréditée. Ils exigent des enquêtes indépendantes sur des scandales comme l’explosion du port de Beyrouth en 2020 ou la crise bancaire, ainsi qu’une réforme judiciaire pour garantir la transparence. Pour Aoun et Salam, c’est un défi titanesque : toucher aux privilèges des élites pourrait provoquer une levée de boucliers.

Limitation du Hezbollah : un tabou à briser

Le nœud gordien reste le Hezbollah. Riyad voit dans ce groupe armé, soutenu par l’Iran, un obstacle à la stabilité régionale et une menace directe. L’Arabie saoudite conditionne son aide à une réduction drastique de son influence, notamment par le désarmement de ses milices, comme stipulé par la résolution 1701 de l’ONU. Joseph Aoun, dans son discours inaugural, a promis un monopole de l’État sur les armes, mais le Hezbollah, bien que diminué, conserve un pouvoir de nuisance. Accepter cette exigence pourrait fracturer le fragile consensus politique libanais.

Perspectives économiques : un mirage ou une renaissance ?

Si un accord est conclu, les bénéfices pour le Liban pourraient être substantiels. Une injection de milliards saoudiens – sous forme de dons, prêts ou investissements – permettrait de relancer des projets vitaux : reconstruction des zones dévastées, modernisation du réseau électrique (au bord de l’effondrement), ou encore réhabilitation du port de Beyrouth. Les exportations agricoles vers le Golfe, qui représentaient 20 % des ventes libanaises avant 2021, pourraient reprendre, offrant une bouffée d’oxygène aux agriculteurs. Les investissements dans le tourisme, un secteur qui employait 18 % de la main-d’œuvre avant la crise, redonneraient vie aux hôtels et restaurants désertés.

Mais tout n’est pas rose. Même avec un soutien saoudien, le Liban doit surmonter des obstacles internes : une bureaucratie paralysante, une défiance populaire envers ses dirigeants et un Hezbollah qui, s’il se sent acculé, pourrait saboter les efforts. Les réformes exigées par Riyad, bien qu’essentielles, prendront des années à porter leurs fruits, et la patience des Libanais, épuisés par des décennies de crises, est à bout. À court terme, un accord pourrait stabiliser la livre et réduire l’inflation, mais à long terme, seule une refonte complète du système économique et politique garantirait une vraie relance. Les 8,5 milliards de dollars de dégâts causés par la guerre ne sont qu’une partie du problème : le coût total de la reconstruction pourrait dépasser les 20 milliards, selon la Banque mondiale.

Un pari risqué pour un avenir incertain

La visite de Joseph Aoun en Arabie saoudite est une lifeline pour un Liban au bord de l’abîme. Elle porte l’espoir d’un renouveau économique, nourri par les pétrodollars saoudiens, mais cet espoir est suspendu à des conditions draconiennes. Réformes, transparence, désarmement du Hezbollah : les exigences de Riyad sont un remède amer pour un pays habitué à panser ses plaies sans les guérir. Si Aoun et Salam parviennent à convaincre le prince héritier Mohammed ben Salmane, les milliards promis pourraient poser les premières pierres d’une reconstruction. Mais si Beyrouth échoue à tenir ses promesses, cette visite ne sera qu’un énième mirage dans un désert de désillusions. Le Liban joue son avenir à Riyad : réussira-t-il à transformer cette main tendue en tremplin, ou retombera-t-il dans l’oubli ? L’histoire jugera.

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.