Un pays en crise, un gouvernement sous pression
Le Liban traverse l’une des pires crises économiques et politiques de son histoire contemporaine. Après des mois d’impasse, un nouveau gouvernement a été formé sous la direction du Premier ministre Nawaf Salam, suscitant à la fois espoirs et scepticisme. Cette équipe, composée de technocrates et de figures politiques, est censée sortir le pays de l’ornière et relancer les réformes attendues depuis des années.
Mais dans un système verrouillé par les jeux d’alliances et les intérêts partisans, la question demeure : ce gouvernement peut-il vraiment réussir là où les précédents ont échoué ? Entre le poids du Hezbollah, les pressions internationales et une population épuisée, le défi est immense.
Une composition entre technocratie et compromis politiques
Le gouvernement Nawaf Salam a été présenté comme un cabinet de réformes et de redressement économique. Si certaines nominations ont été saluées, notamment celles des ministres des Finances et de l’Économie, plusieurs postes-clés restent aux mains des partis traditionnels, ce qui limite sa marge de manœuvre.
L’attribution du ministère de l’Intérieur à un proche du Courant patriotique libre (CPL) et du ministère de la Défense à une personnalité proche du président Joseph Aoun montre que le gouvernement est le fruit d’un compromis difficile entre différentes factions. Cette configuration pose un défi majeur : peut-on réformer un pays avec des figures liées au système qui a mené à sa faillite ?
Un diplomate européen, cité par Al Sharq Al Awsat (11 février 2025), résume ainsi le dilemme : « Ce gouvernement devra choisir entre la survie du pays et la protection des intérêts des élites qui l’ont détruit ».
L’héritage des gouvernements précédents : un échec à répétition
Les Libanais ont déjà connu plusieurs tentatives de gouvernements de transition ou de réforme, toutes soldées par des échecs retentissants.
- Le gouvernement Hassan Diab (2020-2021) a été balayé par la catastrophe de l’explosion du port de Beyrouth et l’effondrement économique.
- Le gouvernement Najib Mikati (2021-2024) n’a pas réussi à mener les réformes exigées par le FMI, paralysé par les blocages politiques internes.
- Le gouvernement actuel de Nawaf Salam hérite donc d’un pays à bout de souffle, avec des institutions en crise et une classe politique divisée.
Le principal obstacle reste l’absence de consensus sur les réformes économiques, notamment sur la restructuration du secteur bancaire et la gestion de la dette publique.
Les réformes économiques : une nécessité incontournable
La première mission du gouvernement Salam est de relancer l’économie. Les institutions financières internationales, en particulier le Fonds monétaire international (FMI), conditionnent toute aide à la mise en œuvre de réformes structurelles majeures.
Les dossiers prioritaires incluent :
- La réforme du secteur bancaire, notamment la restructuration des banques en faillite et la protection des dépôts des citoyens.
- La réduction des subventions publiques, qui coûtent des milliards au Trésor et ne bénéficient pas toujours aux plus démunis.
- La lutte contre la corruption, un problème systémique qui a ruiné la confiance des Libanais et des investisseurs étrangers.
Mais ces réformes se heurtent à des intérêts puissants. Les partis politiques influents, notamment le Hezbollah et Amal, craignent que ces mesures n’affaiblissent leur contrôle sur l’économie libanaise.
Les tensions politiques internes : un gouvernement sous haute pression
Nawaf Salam doit également composer avec une classe politique profondément divisée. D’un côté, des partis réformateurs veulent une gouvernance plus transparente. De l’autre, les formations traditionnelles entendent préserver leur influence.
Le Hezbollah, principal acteur politique et militaire du pays, a accepté la formation du gouvernement, mais garde un œil vigilant sur les décisions économiques et sécuritaires. Toute tentative de réduire son influence dans l’appareil d’État pourrait entraîner des tensions majeures.
De plus, la rue libanaise reste profondément méfiante. La crise de confiance entre le peuple et ses dirigeants est immense, et la moindre erreur pourrait provoquer un nouveau soulèvement populaire, comme celui d’octobre 2019.
Les relations avec la communauté internationale : entre soutien et conditions strictes
Le Liban ne peut pas sortir de la crise sans soutien international, mais ce soutien vient avec des exigences précises.
- Les États-Unis et la France soutiennent la stabilisation du Liban, mais demandent des réformes concrètesavant de débloquer des fonds.
- L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, autrefois alliés clés du Liban, restent prudents et attendent de voir si le pays adopte une politique plus indépendante du Hezbollah.
- L’Iran, de son côté, continue d’appuyer le Hezbollah et de renforcer ses liens avec Beyrouth.
Le défi pour Nawaf Salam est donc de trouver un équilibre entre ces influences contradictoires, tout en préservant l’indépendance du pays.
Une fenêtre d’opportunité ou une impasse programmée ?
Certains experts estiment que le nouveau gouvernement a une opportunité unique de mener des réformes, notamment grâce à la pression populaire et internationale.
D’autres, plus pessimistes, pensent que ce cabinet est condamné à échouer, pris au piège d’un système politique corrompu et d’intérêts économiques trop puissants.
Dans les prochains mois, plusieurs signaux permettront de mesurer la viabilité de ce gouvernement :
- Sa capacité à mettre en place les premières réformes économiques sans blocage politique.
- L’évolution des négociations avec le FMI et la reprise d’un soutien financier international.
- La stabilité sociale, avec un suivi attentif des protestations et des mouvements de contestation.
Le succès ou l’échec du gouvernement Salam déterminera l’avenir du Liban pour les années à venir.