Le nucléaire est devenu un enjeu stratégique et économique majeur pour de nombreux pays du Moyen-Orient. Si certains y voient une réponse aux besoins énergétiques croissants et une manière de diversifier leurs sources d’énergie, d’autres y perçoivent des ambitions géopolitiques masquées. De l’Égypte à l’Iran, en passant par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Israël, le développement du nucléaire dans la région s’inscrit dans une dynamique complexe où coexistent coopérations internationales, rivalités régionales et enjeux de sécurité.
L’Iran : une ambition nucléaire controversée
Le programme nucléaire iranien, commencé dans les années 1950 sous le Shah avec l’aide des États-Unis dans le cadre du programme « Atoms for Peace », est devenu l’un des dossiers les plus sensibles de la région. Après la révolution islamique de 1979, l’Iran a poursuivi ses ambitions nucléaires, mais celles-ci ont été perçues par l’Occident et Israël comme une menace potentielle de prolifération nucléaire.
Les négociations autour de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) en 2015 avaient permis de limiter l’enrichissement d’uranium en échange d’une levée partielle des sanctions. Cependant, le retrait des États-Unis de cet accord en 2018 sous l’administration Trump a relancé les tensions. Aujourd’hui, selon les déclarations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Iran enrichit de l’uranium à des niveaux proches de ceux requis pour une arme nucléaire, alimentant les inquiétudes régionales.
Israël : une puissance nucléaire officieuse
Israël, bien que non officiellement reconnu comme une puissance nucléaire, est largement considéré comme possédant un arsenal nucléaire significatif. Le programme nucléaire israélien, développé dans les années 1950 avec le soutien de la France, est centré autour du réacteur de Dimona, dans le désert du Néguev.
Contrairement à d’autres pays de la région, Israël n’a jamais signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), préférant maintenir une politique de « flou stratégique ». Cette approche vise à dissuader ses adversaires tout en évitant de provoquer une course aux armements ouverte dans la région.
L’Arabie saoudite : des ambitions civiles et stratégiques
L’Arabie saoudite, grand exportateur de pétrole, cherche à diversifier ses sources d’énergie en développant un programme nucléaire civil. Le royaume prévoit de construire plusieurs réacteurs nucléaires d’ici 2040, en collaboration avec des partenaires internationaux, notamment la Russie et la Chine.
Cependant, des interrogations subsistent sur les intentions réelles de Riyad. En 2018, le prince héritier Mohammed ben Salmane avait déclaré que si l’Iran développait une arme nucléaire, l’Arabie saoudite suivrait le même chemin. Ces déclarations, combinées à un manque de transparence sur les activités nucléaires, suscitent des inquiétudes sur une possible militarisation future du programme.
Les Émirats arabes unis : un modèle de transparence nucléaire
Les Émirats arabes unis (EAU) sont souvent cités comme un exemple de développement nucléaire civil responsable. Avec la mise en service de la centrale nucléaire de Barakah en 2020, les EAU sont devenus le premier pays arabe à exploiter une centrale nucléaire.
Le programme nucléaire émirati, réalisé en partenariat avec la Corée du Sud, s’inscrit dans une stratégie de réduction de la dépendance aux hydrocarbures. Les Émirats ont également adopté les normes les plus strictes en matière de non-prolifération, notamment en renonçant à l’enrichissement d’uranium sur leur sol.
L’Égypte : un acteur nucléaire en devenir
L’Égypte, qui avait lancé son programme nucléaire dès les années 1960, cherche aujourd’hui à relancer cette ambition. Le pays a signé un accord avec la Russie pour la construction de la centrale nucléaire d’El-Dabaa, située sur la côte méditerranéenne.
Le projet, dont la première unité devrait être opérationnelle en 2030, vise à répondre à la demande croissante en électricité et à réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Cependant, les défis financiers et logistiques pourraient ralentir sa mise en œuvre.
L’Irak : un passé marqué par des ambitions avortées
L’Irak, sous Saddam Hussein, avait également tenté de développer un programme nucléaire. Dans les années 1980, le réacteur Osirak, construit avec l’aide de la France, fut détruit par une frappe aérienne israélienne en 1981, dans ce qui reste l’une des opérations militaires les plus audacieuses de l’histoire récente.
Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, l’Irak n’a pas relancé ses ambitions nucléaires, en grande partie en raison de l’instabilité politique et économique. Aujourd’hui, le pays se concentre sur la reconstruction de son infrastructure énergétique traditionnelle.
Les enjeux géopolitiques de la prolifération nucléaire au Moyen-Orient
Le développement nucléaire dans la région ne se limite pas à des objectifs énergétiques. Il reflète également les rivalités géopolitiques et les préoccupations sécuritaires. Les tensions entre l’Iran et ses voisins, combinées à l’absence de mécanismes régionaux de contrôle des armements, augmentent le risque d’une escalade nucléaire.
La communauté internationale joue un rôle clé dans la régulation de ces ambitions. L’AIEA, par exemple, surveille étroitement les programmes nucléaires dans la région pour prévenir toute dérive militaire. Cependant, les divergences entre les grandes puissances – notamment entre les États-Unis, la Russie et la Chine – compliquent la mise en place de règles uniformes.
Perspectives : vers une coopération ou une course aux armements ?
Alors que certains pays, comme les Émirats arabes unis, montrent qu’un développement nucléaire responsable est possible, d’autres suscitent des inquiétudes sur une éventuelle militarisation. La question reste de savoir si la région peut adopter une approche collective pour le développement du nucléaire civil, ou si elle continuera à être marquée par des rivalités et des suspicions mutuelles.