Dans un Liban marqué par l’intensification des pressions extérieures et les divisions persistantes de la scène intérieure, les appels à refonder le contrat politique national connaissent un regain d’actualité. La multiplication des prises de parole en ce sens, aussi bien au sein des institutions qu’au sein de la société civile, témoigne d’un besoin structurel de redéfinir les équilibres confessionnels, institutionnels et géopolitiques. Mais cet élan réformateur se heurte à une série d’obstacles : l’instabilité régionale, les conflits d’intérêts internes, les rigidités du système politique et l’impossibilité de dégager un consensus sur le modèle alternatif.
Une rhétorique de réforme relancée par la crise sécuritaire
Les frappes israéliennes du 5 juin 2025 ont ravivé le sentiment d’urgence. Plusieurs responsables politiques et représentants communautaires ont profité de l’émotion suscitée par l’attaque pour appeler à la consolidation des institutions et à la redéfinition du contrat de gouvernance. La vulnérabilité du pays face aux menaces extérieures est perçue par certains comme une conséquence directe de la faiblesse de l’État et de la dispersion des centres de pouvoir.
Dans les jours suivants, des parlementaires ont évoqué la nécessité de « repenser le pacte national à la lumière des mutations géopolitiques ». D’anciens ministres, des intellectuels et plusieurs figures religieuses ont plaidé pour une modernisation des structures étatiques, en insistant sur la notion de neutralité active, de réforme constitutionnelle, et de recentrage sur les fonctions régaliennes de l’État.
Le contrat de 1943 et l’accord de Taëf : fondements et blocages
Le Liban repose depuis son indépendance sur une formule de partage confessionnel inspirée du Pacte national de 1943. Ce système a été réformé par l’accord de Taëf en 1989, qui a mis fin à la guerre civile en redistribuant les pouvoirs entre les institutions tout en maintenant une logique de représentativité communautaire.
Or, ce modèle est aujourd’hui jugé obsolète par une partie croissante de la population. Il est accusé de favoriser la paralysie institutionnelle, de bloquer toute réforme de fond, et de nourrir la corruption par la prolifération des clientélismes. La crise politique permanente qui secoue le pays depuis 2019 renforce l’idée que la formule actuelle a atteint ses limites.
Tensions régionales : catalyseur ou verrou ?
La situation géopolitique régionale joue un double rôle. D’un côté, elle renforce l’argument selon lequel un État plus centralisé, plus souverain et mieux organisé est nécessaire pour affronter les pressions extérieures. De l’autre, elle accentue les dépendances confessionnelles et stratégiques des partis politiques vis-à-vis de leurs alliés régionaux.
Les récents événements ont montré que certains acteurs internes sont considérés par leurs adversaires comme des relais d’intérêts étrangers. Ce climat de suspicion mutuelle rend presque impossible l’ouverture d’un chantier constitutionnel sans polarisation excessive. Toute tentative de refondation est perçue à travers le prisme de l’influence iranienne, saoudienne, turque ou occidentale.
Les initiatives de la société civile et leur portée
Depuis le soulèvement populaire de 2019, plusieurs collectifs civiques, universitaires et syndicaux ont mis en avant des projets de réforme constitutionnelle. Des groupes de juristes ont proposé des modèles alternatifs fondés sur la citoyenneté, la laïcité politique, ou le fédéralisme souple. Des plateformes multipartites ont émergé pour tenter de dégager un consensus.
Mais ces initiatives, bien qu’intellectuellement abouties, peinent à se traduire politiquement. L’absence d’ancrage dans le champ institutionnel, le manque de relais dans les structures de pouvoir, et la méfiance d’une partie de la population envers toute réforme « venue d’en haut » en limitent l’efficacité concrète.
La posture présidentielle : entre réforme symbolique et marge limitée
Le président Joseph Aoun, depuis le début de son mandat, a fait de la réforme de l’État l’un de ses axes de communication. Il a évoqué à plusieurs reprises la nécessité de doter le Liban d’institutions plus efficaces et de sortir du cycle des crises.
Toutefois, son pouvoir reste limité par le cadre constitutionnel actuel. Le président peut impulser, mais il ne peut imposer. Il peut appeler, mais non décréter. Ses initiatives sont tributaires d’un accord entre le gouvernement, le Parlement et les blocs confessionnels, ce qui freine toute entreprise ambitieuse.
Blocages parlementaires et calculs partisans
Au sein du Parlement, les appels à la refondation suscitent des résistances fortes. Chaque groupe politique interprète les réformes proposées à travers le prisme de ses intérêts communautaires. Les majorités nécessaires à une révision constitutionnelle sont pratiquement inatteignables dans le contexte actuel.
Certains groupes s’opposent à toute discussion sur une laïcisation partielle du système. D’autres refusent d’envisager une redéfinition du partage des pouvoirs sans garanties internationales. La méfiance mutuelle l’emporte sur les considérations de performance ou de légitimité démocratique.