L’Agence de Presse Reuters indique que des responsables sécuritaires avaient informé le Président de la République le Général Michel Aoun et le Premier Ministre désormais démissionnaire Hassan Diab des risques posés par le stockage de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium “pouvant détruire la capitale” dès le mois dernier.

Pour rappel, le chef de l’état avait déjà indiqué avoir été informé de la présence de cette substance seulement le 20 juillet dernier et ne pas avoir pu ordonner son retrait du fait du manque des prérogatives accordées à sa fonction.

Selon la dépêche, 2 semaines semaines seulement après avoir été informé, donc le 4 août 2020, l’explosion du port de Beyrouth se serait produite, détruisant le port et dévastant une grande partie de la capitale libanaise.

Selon le rapport de la Sûreté de l’Etat, cette lettre a été transmise à Présidence de la République et au Grand Sérail, le 20 juillet dernier, confirmant les propos du chef de l’état. Ce dernier, précise la dépêche, indique avoir transmis pour avis, le rapport au secrétariat du haut conseil de la Défense et d’avoir indiqué de faire le nécessaire.

“Je ne sais pas où il a été placé et je ne savais pas à quel point c’était dangereux. Je n’ai aucune autorité pour traiter directement avec le port. Il y a une hiérarchie et tous ceux qui savaient auraient dû connaître leurs devoirs pour faire le nécessaire”, aurait-il déclaré à des journalistes présents sur place, rappelle Reuters.

Pour sa part, une source proche du Premier Ministre Hassan Diab a indiqué avoir reçu cette lettre qui a été transmise au Haut Conseil de la Défense pour avis dans un délai de 48 heures. Cette source rappelle que le gouvernement n’a été informé que 14 jours avant l’explosion et a agi directement quand les gouvernements précédents n’ont pris aucune décision depuis 6 ans.

Le contenu de la lettre appelait à la sécurisation du site et de sa marchandise suite à une enquête judiciaire entamée en janvier par le procureur général Ghassan Oweidat. Aussi en cas de vol, ce matériel pourrait être utilisé dans le cadre d’une attaque terroriste.

Selon les propos de cette source, “je les ai mis en garde que Beyrouth pourrait être détruite en cas d’explosion.

Pour l’heure, la reconstruction du port seul est estimé à plusieurs millards de dollars. La reconstruction de la partie endommagée de la capitale jusqu’à 15 milliards alors que le Liban traverse une crise économique majeure et que le système financier local s’est effondré, compliquant encore le financement de ce processus.

Pour l’heure, le ministère de la santé indique que 163 personnes sont décédées, un nombre indéterminé de personnes toujours portées disparues et plus de 6 000 personnes ont été blessées selon un bilan toujours provisoire dans l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et une grande partie de la capitale libanaise. 300 000 personnes seraient également sans logement des suites de cette explosion.

La piste d’une explosion accidentelle de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium à l’intérieur d’un entrepôt du port de Beyrouth, saisies en 2014 à bord d’un navire poubelle, le Rhosus battant pavillon moldave, est pour le moment privilégiée par les autorités libanaises. Cette explosion équivaudrait à celle de 600 tonnes de TNT ou encore à un tremblement de terre de 3.3 sur l’échelle de Richter.
Elle aurait ainsi causé un cratère de 210 mètres de long sur 43 mètres de profondeur, indique le dimanche 9 août une source sécuritaire citant les propos d’experts français présents sur place.

L’Histoire d’un navire poubelle dont la cargaison échoue au port de Beyrouth

Tout commence en 2013 quand un cargo battant pavillon moldave, le Rhosus avec à son bord 2750 tonnes de nitrate d’ammonium faisait route depuis le port de Batumi en Géorgie jusqu’au Mozambique. Cette marchandise avait été achetée par International Bank of Mozambique for Fábrica de Explosivos de Moçambique.

L’armateur, qui a en réalité loué le navire, un certain Igor Grechushkin, serait un ressortissant russe résidant à Chypre. Ce dernier avait reçu la somme d’un million de dollars pour transporter cette marchandise considérée comme dangereuse jusqu’au port de Beira au Mozambique.

Quant au capitaine du navire, il s’agirait un certain Prokoshev qui aurait pris les commandes du navire en Turquie, suite à une mutinerie de son équipage précédent qui n’avait pas été payé.

Puis Grechushkin aurait indiqué au capitaine ne pas disposer de fonds suffisant pour payer le passage via le canal de Suez. Il aurait ordonné de charger d’autres marchandises à Beyrouth afin de payer cette somme. Ces marchandises ne pourront cependant être mises à bord du cargo. Selon le capitaine, suite à une inspection, les autorités libanaises auraient retiré le certificat de navigabilité du navire et auraient ordonné son maintien au port de Beyrouth jusqu’au paiement des frais d’accostage et de frais annexes. L’armateur du navire Grechushkin, contacté par l’équipage pour assurer le paiement de nourriture, de fioul et d’autres frais annexes sera injoignable.

Cependant, cette version est contredite par les autorités libanaises qui évoquent une avarie de son moteur, le navire sera d’abord remorqué à Beyrouth le 21 novembre 2013, précise le ministre des Transports d’alors Ghazi Aridi.

6 membres de l’équipage pourront quitter le navire mais 4 membres, le capitaine et 3 ressortissants ukrainiens resteront à bord de ce dernier. Ils ne pourront cependant pas le quitter en raison des restrictions imposées par la loi libanaise et en arriveront à mendier nourriture et eau selon les avocats qui ont pris en charge ce dossier.

Les avocats du bureau Baroudi and Partners représentant cet équipage ont également alerté les autorités libanaises de la dangerosité de la cargaison. Finalement, ils pourront rentrer chez eux en août 2014 après que Grechushkin ait accepté de payer le voyage du retour de ces derniers et que la cargaison n’ait été déchargée que le 27 juin 2014.

C’est alors que les autorités libanaises ont du prendre en charge la marchandise.

Quant au navire, il sombrera en 2015. Selon les témoignages de son équipage, ce dernier souffrait dès son départ de Turquie, d’une importante voie d’eau nécessitant de faire marcher ses pompes de manière continue.

Des responsabilités multiples mais avant tout, la faillite d’un système paralysé

Selon les informations disponibles à l’heure actuelle, les autorités sécuritaires dont celle des douanes et les responsables du port et des douanes se sont adressés à 5 reprises, entre 2014 et 2017, à la justice locale pour obtenir les autorisations nécessaires pour pouvoir se débarrasser de cette marchandise stockée dans des conditions inadéquates et dangereuses dans l’entrepôt Amber 12 du port, situé entre le 3ème et le 4ème bassin.

Dès mai 2016, Chafic Marhi, le directeur des douanes d’alors, avait noté sur sa demande qu’il existait “un danger sérieux posé en gardant cette cargaison dans les entrepôts dans un environnement inapproprié.” Dans cette même lettre, il demandait à ce que “l’agence maritime puisse réexporter ce matériel immédiatement”.

Par la suite, un an plus tard, en 2017 donc, l’autorité de la douane a proposé d’autres solutions, comme la donation de ces tonnes de nitrate d’ammonium à l’armée libanaise, la vente via la compagnie Libanaise pour les Explosifs sans toutefois obtenir une réponse des autorités judiciaires.

Cette version est confirmée par le directeur général du port de Beyrouth, Hassan Koraytem, a qui la justice libanaise aurait promis que le navire et sa marchandise seraient mis en vente aux enchères, ce qui ne se produira pas… jusqu’à aboutir à la catastrophe du 4 août, une journée funeste marquée par la destruction, outre du port, d’une grande partie de la partie est de la ville de Beyrouth avec le cortège de ses nombreuses victimes.