“Je connais personnellement presque tous les personnages de l’histoire”, annonce le narrateur dans ce roman à tiroirs composé comme un puzzle d’une succession d’acteurs et de plateaux.

Des personnages multiples mais lui seul parle à la première personne. Il s’appelle Sébastien Grimaud, est archéologue et, à soixante ans passés, s’est installé en Tunisie, à La Marsa.

Au gré des chapitres, très courts, l’action se déplace de Malte en Libye, d’Istanbul à Paris ou à Taurbeil-La Grande Tarte, dans les friches d’une région parisienne livrée à la drogue et au chaos. Dans ce thriller imposant où l’on sait qu’un attentat se trame, les protagonistes mènent leurs existences propres, appelées un jour à se croiser.

Ils sont les différents visages d’une même réalité. Celle de l’auteur et puis la nôtre, faite de migrants, de montée d’intégrisme et d’une société occidentale un peu paumée.

Ils sont Emma, l’étudiante qui se prostitue, Sami, le directeur financier habité par une idée fixe, Habiba, une jeune Somalienne ballotée par son destin, Harry, pris en otage par la violence d’une cité et Bruno, le flic amoureux de sa femme qui le trompe impudemment. Lui qui assiste, impuissant, au naufrage de son foyer.

Tous ces êtres qui tournent à vide comme « des aiguilles sans boussoles » dans une société déréglée et un désert moral où l’islamisme croît et effectue sa mue, en commençant par la tête. Saisissante est cette scène où Bruno, qui veut enterrer son père, découvre ce qu’est devenue l’église de son village. Ouverte à tous les vents, dévastée, souillée et dépourvue de prêtre.


Passionné par la Méditerranée, Daniel Rondeau n’a jamais cessé de sillonner ses villes côtières et de les traduire en paroles : Tanger (1987), Alexandrie (1997), Istanbul (2002), Carthage (2008) et Malta Hanina (2012), lui qui fut nommé, en 2008,  ambassadeur de Malte. Cela confère à ce roman, bercé de palmes et de soleil, de poésie et d’humanisme, un réalisme frappant.

Roman pour lequel il a été lauréat du Grand Prix de l’Académie française 2017 et qu’il présente comme étant “la somme de tous (s)es engagements littéraires et personnels depuis plusieurs années.” Dans les dernières pages, Grimaud, qui vit à deux pas de Carthage, se demande “si nous ne sommes pas en train d’assister à la fin d’un cycle”. Carthage, fille du Levant où prêcha saint Augustin. Ville antique qui régna sur les mers et où se déploya une branche de civilisation si brillante qu’elle fut sectionnée par Rome à la base.

Nada Bejjani Raad
Née au Liban, Nada Bejjani Raad est architecte et pratique son métier en France depuis 1989. Contributrice régulière dans la presse francophone, bloggeuse à l’Agenda Culturel, elle est l’auteur du roman Le jour où l’agave crie.

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