Une relance diplomatique orchestrée depuis Washington
Un round préliminaire de négociations entre Israël et la Syrie s’est tenu à Washington, marquant une tentative de relancer un processus de paix régional inspiré de l’accord de Camp David. Cette initiative a été favorisée par l’administration américaine, à la faveur d’un repositionnement stratégique de Donald Trump, désormais redevenu acteur central de la politique étrangère de son pays. Le premier geste de Washington a été la levée partielle de sanctions économiques imposées à Damas, justifiée officiellement comme mesure incitative à l’ouverture diplomatique.
Ce signal fort a permis l’invitation du président de transition syrien Ahmed Sharh, figure soutenue activement par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ce dernier, en quête de reconnaissance internationale, s’est présenté comme prêt à entamer des discussions “sans conditions préalables” avec Tel-Aviv. Pour Israël, l’intérêt est double : neutraliser l’axe pro-iranien en Syrie, et ouvrir un nouveau front de normalisation dans la région.
Le poids de la conjoncture régionale : fin d’un cycle de confrontation ?
Cette séquence diplomatique intervient alors que plusieurs dynamiques convergent vers une désescalade partielle au Proche-Orient. La Syrie, affaiblie par plus d’une décennie de guerre, cherche à sortir de l’isolement économique. Israël, de son côté, voit dans ce rapprochement une opportunité de sécurité à long terme, notamment par la sécurisation du plateau du Golan. L’Arabie saoudite et les Émirats, quant à eux, poursuivent leur stratégie de normalisation avec les pôles d’influence régionaux, en plaçant leurs propres intérêts économiques et sécuritaires au-dessus des anciennes lignes idéologiques.
Le contexte géopolitique rend donc cette initiative plausible. Toutefois, elle reste minée par des obstacles historiques majeurs : la question du Golan, le rôle de l’Iran et du Hezbollah en Syrie, les réfugiés syriens, et les garanties de sécurité pour les populations civiles. En l’état, aucun de ces dossiers n’a été abordé publiquement lors de ce premier round, ce qui alimente le scepticisme des observateurs.
Participation indirecte de la Turquie : surveillance à distance et influence à préserver
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan aurait joué un rôle indirect dans cette tentative de médiation. Selon plusieurs sources diplomatiques, il aurait facilité certaines communications électroniques entre les délégations, tout en gardant une posture discrète. La Turquie, qui contrôle encore plusieurs territoires syriens, conserve un levier important sur toute configuration post-conflit. Elle n’entend pas se laisser marginaliser dans un processus qui redessinerait l’architecture de sécurité régionale sans son concours.
Ankara, tout en entretenant des liens fluctuants avec Tel-Aviv, cherche à maintenir son statut d’acteur incontournable dans le dossier syrien. Cette posture d’arbitre tacite pourrait évoluer en fonction des garanties offertes sur la question kurde et sur les conditions de retrait des forces étrangères de Syrie.
Réactions mitigées dans le monde arabe : scepticisme et prudence stratégique
Dans les principales capitales arabes, cette tentative de relance d’un axe Damas-Tel Aviv suscite plus d’interrogations que d’enthousiasme. Le monde arabe est aujourd’hui divisé entre plusieurs orientations : les pays du Golfe, qui ont entamé une normalisation avec Israël, privilégient la stabilité régionale et l’intégration économique. Les autres, comme l’Algérie ou l’Irak, restent attachés à une position de refus, dénonçant toute démarche unilatérale perçue comme une légitimation de l’occupation.
Au sein même du Conseil de coopération du Golfe, des divergences apparaissent. Si Riyad et Abou Dhabi soutiennent indirectement le processus, le Koweït, Bahreïn ou Oman expriment des réserves, notamment sur l’absence de feuille de route claire. L’initiative semble construite autour d’intérêts conjoncturels plus que sur une vision politique cohérente.
Le retour de la Syrie dans les sphères diplomatiques arabes ne fait donc pas l’unanimité. La perception selon laquelle ce rapprochement serait dicté par une logique de compromis tactique, plutôt que par une volonté de réconciliation, nourrit la méfiance des sociétés civiles, des mouvements de résistance, et des élites intellectuelles.
Le rôle pivot des Émirats et de l’Arabie saoudite : parrainage conditionnel
Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite apparaissent comme les principaux parrains politiques de la démarche engagée par Ahmed Sharh. Pour les deux monarchies, le retour de la Syrie dans le jeu régional passe par une normalisation progressive avec ses anciens adversaires. Cette vision repose sur un calcul pragmatique : sortir Damas de l’orbite exclusive de l’Iran, ouvrir des corridors économiques reliant la Méditerranée au Golfe, et sécuriser le Levant par la cooptation plutôt que la confrontation.
Ce soutien est néanmoins conditionné à plusieurs facteurs : limitation de l’influence iranienne sur le sol syrien, restructuration des services de sécurité, garanties sur la neutralité future de la politique syrienne vis-à-vis des grands axes sunnites. En d’autres termes, le soutien à la démarche diplomatique est assorti d’un cahier des charges politique.
Du point de vue d’Israël, ces garanties sont jugées encore trop théoriques. Les autorités israéliennes exigent des engagements formels sur le démantèlement des infrastructures militaires liées à l’Iran, ainsi que sur un gel durable des activités du Hezbollah dans le sud de la Syrie. À ce jour, aucune avancée tangible n’a été enregistrée sur ces dossiers.
Les ambiguïtés de la position américaine : paix ou repositionnement stratégique ?
L’implication de Washington dans cette initiative soulève plusieurs hypothèses. La levée partielle des sanctions pourrait être interprétée comme un simple outil tactique visant à diviser les alliances adverses. En soutenant un président syrien de transition, les États-Unis marquent aussi leur refus de reconnaître la légitimité du pouvoir actuel à Damas, tout en ouvrant un canal parallèle susceptible de créer une alternative politique.
La Maison-Blanche, par la voix de ses émissaires, présente ce processus comme une opportunité régionale. Pourtant, peu de détails ont filtré sur les objectifs concrets du round de Washington. Aucune mention n’a été faite d’une reconnaissance réciproque, d’un calendrier de retrait militaire, ou d’une compensation pour les crimes de guerre. Ce flou alimente les critiques selon lesquelles les États-Unis cherchent moins la paix que le repositionnement de leurs intérêts régionaux.
Le retour du scénario Sin-Sin : entre nostalgie stratégique et réalignement forcé
La configuration actuelle rappelle aux analystes le fameux “scénario Sin-Sin” évoqué dans les années 2000, axé sur une coordination entre Riyad et Damas. À l’époque, ce schéma supposait une sortie de la Syrie de l’axe iranien en échange d’un soutien arabe à sa reconstruction et à sa réintégration dans le système régional. Ce projet avait échoué en raison des conflits internes syriens, de l’isolement croissant de Bachar al-Assad, et de la radicalisation des lignes de fracture géopolitiques.
Aujourd’hui, les conditions sont différentes mais non moins complexes. La Syrie est fragmentée, la présence étrangère multipolaire (Iran, Russie, Turquie, États-Unis), et les élites syriennes divisées sur la ligne à adopter. Le retour d’un Sin-Sin actualisé dépend de multiples facteurs : volonté réelle de Damas de s’éloigner de l’Iran, acceptation d’un processus de réconciliation avec Israël, et capacité des pays du Golfe à offrir des incitations économiques substantielles.
Ce scénario, s’il devait se confirmer, redistribuerait les cartes au Levant. Il créerait une dynamique régionale nouvelle, susceptible de marginaliser les acteurs non alignés. Mais il suppose un niveau de coordination diplomatique, de concessions réciproques, et de crédibilité des engagements qui reste, à ce jour, largement théorique.
Une fragilité institutionnelle qui compromet la pérennité de l’initiative
L’initiative en cours reste grevée par un ensemble de fragilités. D’abord, la figure du président de transition Ahmed Sharh n’a pas encore acquis une légitimité nationale pleine. Son autorité est contestée dans plusieurs régions syriennes, et ses marges de manœuvre sont étroites. Ensuite, aucune des délégations n’a signé de document formel, ni annoncé un plan d’étapes. Enfin, la multiplicité des médiateurs – États-Unis, Émirats, Turquie – génère une dispersion stratégique peu compatible avec une logique de paix structurée.
En l’absence de structure permanente, de secrétariat technique ou de forum régional ad hoc, cette initiative risque de s’enliser comme beaucoup d’autres dans le passé. Elle dépend étroitement de la volonté des acteurs dominants et de la conjoncture électorale aux États-Unis, en Israël ou dans le monde arabe.
Une paix conditionnelle, sans garanties durables
Le retour à une logique de dialogue entre Israël et la Syrie représente une rupture dans le climat régional, mais cette rupture reste réversible. Tant que les questions fondamentales – restitution du Golan, retrait des forces étrangères, statut des réfugiés – ne sont pas abordées, toute avancée reste fragile. L’initiative actuelle, même soutenue par Riyad et Abou Dhabi, ne garantit ni sécurité pour Israël, ni stabilité pour la Syrie.
Elle incarne une tentative de repositionnement stratégique, plus qu’un réel processus de paix. Le spectre de Camp David flotte sur la scène, mais sans les fondations solides ni les acteurs déterminés qui avaient rendu possible un accord historique. Le chemin vers une normalisation durable reste semé d’incertitudes, de contradictions et de jeux d’alliances mouvants.