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Projections de croissance contestées : tensions entre le ministère des Finances et la Banque du Liban, le FMI sceptique

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Une divergence sur les perspectives économiques de 2025

Des tensions marquées opposent le ministère des Finances à la Banque du Liban au sujet des projections de croissance pour l’année 2025. Alors que la Banque centrale table sur un rebond modéré de l’activité, estimé entre 2,5 % et 3 %, le ministère des Finances reste plus prudent et privilégie un scénario de stagnation, voire une récession prolongée en l’absence de relance structurée.

Ces divergences ne sont pas seulement techniques : elles traduisent un désaccord stratégique sur la manière d’évaluer les effets des politiques publiques. Le ministère, confronté à une réduction sévère de ses marges budgétaires, insiste sur l’impact négatif des coupes dans les subventions, de la faible consommation interne et du ralentissement des exportations. La Banque du Liban, de son côté, avance que la stabilisation du taux de change et la relative résilience des transferts de la diaspora pourraient générer une reprise progressive.

Le FMI critique la méthodologie des estimations libanaises

Le Fonds monétaire international a exprimé de vives réserves sur les projections avancées par la Banque du Liban. Selon ses experts, les hypothèses retenues sont optimistes, voire “irréalistes” compte tenu des fondamentaux actuels : productivité en baisse, investissement public gelé, instabilité réglementaire, et absence d’accord politique sur les réformes. Le FMI critique également l’absence de transparence dans la modélisation utilisée, ainsi que le manque d’alignement avec les données fournies par d’autres institutions publiques.

Pour l’organisation internationale, une estimation crédible devrait intégrer l’impact persistant de la crise bancaire, les effets de la contraction de la demande, et les obstacles structurels à l’investissement. En l’état, la Banque du Liban serait accusée de vouloir produire un signal de confiance artificiel, destiné à apaiser les marchés mais sans fondement réel.

Un désaccord qui paralyse les négociations de financement

Ce désaccord entre institutions libanaises rend difficile la poursuite des négociations avec le FMI. Le programme d’aide de 3 milliards de dollars, conclu en principe en 2022, reste suspendu à des conditions de mise en œuvre. Parmi elles figure l’obligation de présenter un cadre macroéconomique unifié, validé par l’ensemble des institutions concernées. Or, la coexistence de projections divergentes empêche cette validation et mine la crédibilité du dossier libanais.

Le FMI a exigé des clarifications immédiates sur les paramètres budgétaires, les prévisions d’inflation, la croissance du PIB, et les hypothèses de financement externe. En l’absence de consensus, toute décision sur un décaissement partiel est repoussée sine die. Cela prive le Liban de liquidités cruciales, de crédibilité internationale, et d’effet levier pour obtenir d’autres aides bilatérales ou multilatérales.

Un conflit d’interprétation sur les leviers de croissance

La Banque du Liban fonde ses estimations sur une reprise des secteurs informels, le maintien des transferts extérieurs et une stabilisation du cadre monétaire. Elle considère que ces dynamiques, bien que partiellement hors statistiques officielles, soutiennent une forme de redémarrage économique diffus. De son côté, le ministère des Finances se montre plus sceptique quant à la durabilité de ces facteurs.

Pour le ministère, les transferts de la diaspora sont certes significatifs mais irréguliers, et ne peuvent constituer une base de croissance solide. De même, la dollarisation accrue de l’économie, si elle génère un certain effet de court terme, fragilise la souveraineté monétaire et limite l’espace budgétaire. La divergence porte aussi sur la question de l’investissement : la Banque centrale anticipe une relance induite par les projets d’infrastructure, tandis que le ministère déplore l’absence de financement concret.

Des projections perçues comme un outil politique

Au-delà des chiffres, cette querelle reflète l’usage stratégique des projections économiques. Dans un système fragmenté, où chaque institution cherche à préserver ses marges d’autonomie, les prévisions deviennent un instrument de légitimation. La Banque du Liban utilise ses estimations comme preuve de l’efficacité de ses mesures de stabilisation, notamment sur le plan monétaire. Le ministère des Finances, lui, cherche à mettre en lumière l’urgence d’un soutien budgétaire et d’une relance coordonnée.

Cette instrumentalisation des chiffres fragilise la crédibilité globale des institutions libanaises. Elle brouille la lisibilité des politiques économiques, complique le dialogue avec les partenaires internationaux, et retarde la définition d’une stratégie partagée de sortie de crise.

Un manque de coordination chronique entre institutions

Le désaccord sur les projections de croissance s’inscrit dans un dysfonctionnement plus large du pilotage macroéconomique au Liban. Depuis le début de la crise, aucune cellule interinstitutionnelle de coordination n’a été créée. Les institutions opèrent en silos, sans partage régulier de données, sans harmonisation des modèles d’analyse, ni discussion préalable sur les hypothèses.

Le FMI a plusieurs fois recommandé la mise en place d’un “cadre macroéconomique intégré” regroupant la Banque centrale, le ministère des Finances, l’Office des statistiques, et les principaux acteurs du financement. Cette structure permettrait de produire des prévisions cohérentes, documentées, et alignées sur les standards internationaux. Jusqu’à présent, aucune initiative concrète n’a été prise dans ce sens.

Une opportunité manquée d’un décaissement partiel

L’incapacité des institutions libanaises à produire des projections macroéconomiques communes a déjà eu un impact concret : le FMI a suspendu la possibilité de verser une tranche partielle du programme d’aide de 3 milliards de dollars. Cette tranche, d’un montant estimé entre 300 et 500 millions de dollars, aurait pu être débloquée sous conditions allégées si un consensus avait été formé autour d’un scénario économique crédible.

Ce gel prive le Liban d’une bouffée d’oxygène à un moment critique, alors que les réserves en devises sont instables, que le déficit courant se creuse, et que la pression sur la livre libanaise se maintient. Il réduit aussi la capacité de l’État à répondre aux urgences sociales, sanitaires et infrastructurelles, dans un contexte de paupérisation généralisée.

La fragilité du narratif de stabilisation

En insistant sur une reprise imminente, la Banque du Liban cherche à renforcer la perception d’un retour à la stabilité. Cette communication vise à contenir la dollarisation sauvage, à rassurer les partenaires commerciaux, et à renforcer la position de la Banque centrale dans les négociations. Mais ce narratif est jugé artificiel par nombre d’économistes, qui y voient une tentative de maquiller les blocages structurels sous un optimisme de façade.

Le FMI souligne que la stabilisation ne peut précéder les réformes, mais doit en être la conséquence. Il refuse de baser ses décisions sur des indicateurs faussés ou sur des prévisions déconnectées des dynamiques réelles du pays.

Un processus suspendu à une décision politique majeure

En définitive, le différend entre la Banque du Liban et le ministère des Finances illustre une absence de gouvernance stratégique. Aucun arbitrage n’a été effectué, aucune ligne directrice n’a été fixée, et aucune volonté politique ne semble émerger pour trancher entre les approches divergentes. Dans ce vide, les institutions produisent des visions concurrentes, incompatibles avec les exigences de rigueur du FMI.

Le processus d’aide est donc suspendu, non à une question technique, mais à une décision politique qui tarde à venir. Tant que les autorités ne s’accorderont pas sur un diagnostic partagé, le Liban restera en dehors des dispositifs de soutien international, condamné à une stagnation prolongée.

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Newsdesk Libnanews
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