Les dépôts des résidents chutent de plus de 17 000 milliards de livres en une semaine
Selon les dernières données hebdomadaires publiées par la Banque du Liban (BDL), le système bancaire libanais a connu une contraction brutale des dépôts des résidents pour la semaine se terminant le 8 mai 2025. Au total, le recul est évalué à 17 027 milliards de livres libanaises (LL), un signal fort dans un secteur déjà marqué par une défiance structurelle depuis 2019. Cette baisse spectaculaire est imputable à une double pression : retraits massifs en devises étrangères et diminution significative des dépôts en monnaie locale.
Répartition de la baisse : les devises plus touchées que les livres
La contraction des dépôts se divise ainsi :
- 13 535 milliards LL de retraits sur les dépôts en devises étrangères des résidents (équivalents à 151,2 millions USD au taux officiel de 89 500 LL/USD)
- 3 492 milliards LL de diminution sur les dépôts en livres libanaises, répartis entre :
- 3 032 milliards LL de baisse des dépôts à vue
- 461 milliards LL de baisse des dépôts d’épargne
Catégorie de dépôts résidents | Variation hebdo (en LL) |
---|---|
Total devises étrangères | -13 535 milliards |
Dépôts à vue en LL | -3 032 milliards |
Dépôts d’épargne en LL | -461 milliards |
Total | -17 027 milliards |
Cette dynamique traduit une poursuite de la désintermédiation bancaire, avec une érosion continue de la base de financement des banques. En parallèle, la monnaie en circulation a légèrement augmenté de 322 milliards LL, ce qui laisse penser que les retraits ont en partie été convertis en cash hors circuit bancaire.
Contexte : confiance dégradée et taux d’intérêt extrêmes
L’évaporation des dépôts survient dans un climat de tension extrême sur la liquidité. Le taux interbancaire overnight, indicateur du stress sur le marché monétaire, est monté de 60 % à 100 % en quelques jours, atteignant un plafond difficilement soutenable. Cela reflète à la fois :
- La rareté croissante de la liquidité en livres
- Une absence de prêts interbancaires de confiance
- L’anticipation de chocs de refinancement
Le coût du cash en LL reste toutefois proche de zéro, preuve que les banques peinent à attirer de nouveaux dépôts, même avec des taux réels négatifs.
Analyse critique : l’illusion de la stabilisation monétaire
Le taux de change parallèle est demeuré relativement stable autour de 89 500 LL/USD. Mais cette stabilité est de plus en plus artificielle, soutenue par des interventions ponctuelles de la BDL, elles-mêmes rendues possibles par l’accumulation de devises via le tourisme ou la vente d’or. En réalité, la structure bancaire reste sinistrée :
- Les ressources de dépôts continuent de s’évaporer
- Les prêts au secteur privé stagnent
- Les fonds propres des banques s’érodent semaine après semaine
Sans plan crédible de restructuration, la résilience apparente n’est qu’une façade. Les banques, privées de nouveaux apports en capital, n’ont d’autre choix que d’absorber leurs pertes passées tout en gérant des encours de dépôts toxiques (lollars) et instables.
Impact sur l’agrégat monétaire M4
Le retrait massif de dépôts a entraîné une contraction du M4, l’agrégat monétaire le plus large, de 16 702 milliards LL. La hausse de la monnaie en circulation (+322 milliards) et l’augmentation marginale du portefeuille de bons du Trésor du secteur non bancaire (+3 milliards LL) sont insuffisantes pour compenser la déperdition globale de confiance.
Composantes M4 | Évolution hebdomadaire (LL) |
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Dépôts résidents totaux | -17 027 Mds |
Monnaie en circulation | +322 Mds |
T-Bills secteur non bancaire | +3 Mds |
Variation M4 | -16 702 Mds |
Les banques face à une équation impossible
La situation actuelle enferme les banques dans une impasse :
- Elles ne peuvent prêter sans actifs liquides fiables
- Elles ne peuvent attirer de dépôts sans restaurer la confiance
- Elles ne peuvent restructurer sans intervention législative et sans recapitalisation externe
Le système fonctionne donc en mode survie, dans un régime de gel partiel des obligations de paiement et de conversions forcées (comme celles imposées par la circulaire 158). La baisse des dépôts actuels en est le symptôme le plus inquiétant.