Un texte adopté dans un contexte de crise sociale aiguë
Le Parlement libanais a récemment adopté une loi visant à moderniser le système de retraites, dans une tentative de réponse aux profondes inégalités sociales exacerbées par la crise économique. Cette réforme, présentée comme un progrès en matière de protection sociale, a été saluée par certains comme une avancée historique. Pourtant, à peine votée, elle suscite une vague de critiques. De nombreuses organisations de défense des droits sociaux et des syndicats dénoncent une réforme insuffisante, mal conçue, et surtout inadaptée aux réalités économiques actuelles. La nouvelle loi est accusée de renforcer les fractures sociales plutôt que de les corriger.
Les principales dispositions de la loi : protections promises et incertitudes persistantes
La loi prévoit la création d’un revenu de retraite minimal pour les travailleurs libanais, compris entre 55% et 80% du salaire minimum, en fonction du nombre d’années de service. Ce revenu vise principalement à protéger les travailleurs aux revenus modestes, qui sont les plus exposés à la précarité à l’âge de la retraite. Le texte prévoit également la possibilité de combiner pension de retraite et activité professionnelle partielle, dans certaines limites. Toutefois, l’application effective de ces dispositions dépend entièrement de décrets gouvernementaux d’application qui n’ont pas encore été émis. Cette incertitude juridique nourrit les inquiétudes sur une application sélective ou arbitraire de la réforme.
Une réforme jugée inéquitable pour les classes moyennes
Si la loi vise théoriquement à protéger les plus vulnérables, elle est perçue comme profondément injuste pour les travailleurs qualifiés et les salariés à revenus moyens. Le mécanisme proposé plafonne les pensions sans tenir compte du salaire réel de nombreux travailleurs. De fait, les salariés ayant cotisé longtemps et ayant des salaires au-dessus du minimum verront leur retraite réduite à un pourcentage du seuil minimal, sans prise en compte proportionnelle de leur effort contributif. Cette injustice structurelle risque de décourager l’adhésion volontaire au nouveau système et de renforcer les stratégies individuelles d’évasion du système officiel.
L’absence de mécanisme d’ajustement à l’inflation : une faille majeure
L’un des aspects les plus critiqués de la réforme est l’absence de mécanisme automatique d’ajustement des pensions à l’inflation. Dans un pays où l’hyperinflation détruit le pouvoir d’achat de la majorité de la population, cette omission est lourde de conséquences. Sans revalorisation automatique, les pensions risquent de devenir dérisoires en quelques années, rendant la réforme totalement inefficace. Cette carence trahit une méconnaissance inquiétante des dynamiques économiques actuelles ou, selon certains observateurs, une volonté politique délibérée de limiter les engagements budgétaires de l’État au détriment des retraités.
Le risque d’une application politique des décrets
Autre sujet d’inquiétude majeur : l’énorme marge de manœuvre laissée au gouvernement pour définir les modalités d’application de la loi. La rédaction générale du texte permet au pouvoir exécutif d’établir, par simple décret, les critères d’éligibilité, les modalités de calcul et les exceptions. Dans un système politique largement dominé par le clientélisme et les intérêts partisans, cette latitude soulève de sérieuses craintes de manipulations politiques. La loi pourrait ainsi être utilisée pour récompenser certaines clientèles électorales au détriment d’une justice sociale véritablement universelle.
Les limites structurelles du financement de la réforme
Le financement de la nouvelle retraite repose en partie sur les contributions des employeurs et des employés, mais aussi sur des subventions étatiques non encore spécifiées. Dans un contexte d’effondrement budgétaire et d’incapacité de l’État à honorer ses engagements financiers, cette base de financement apparaît extrêmement fragile. De nombreux experts estiment que, sans réforme fiscale parallèle et sans redressement économique général, le fonds de retraite nouvellement créé sera rapidement en déficit, conduisant soit à des réductions des prestations, soit à une explosion incontrôlée de la dette publique.
Le scepticisme croissant des syndicats et de la société civile
Face à ces faiblesses, les syndicats, les associations de défense des droits sociaux et plusieurs mouvements citoyens expriment un scepticisme croissant. Ils dénoncent une réforme faite sans réelle concertation avec les acteurs concernés, conçue principalement pour donner l’illusion d’une action politique sans engager de véritables transformations structurelles. La crainte d’un nouveau dispositif bureaucratique inefficace et corrompu est omniprésente. Certains appellent à l’abrogation pure et simple de la loi si ses décrets d’application ne corrigent pas ses principales failles.
Les comparaisons internationales : un modèle déconnecté
Comparé aux modèles de retraites dans d’autres pays ayant connu des crises économiques graves, le système adopté par le Liban semble largement insuffisant. En Argentine, en Grèce, ou même en Égypte, des mécanismes plus robustes d’ajustement à l’inflation, de différenciation des cotisations, et de garantie minimale universelle ont été mis en place. Le Liban semble avoir opté pour un modèle hybride, ni totalement contributif ni entièrement solidaire, qui risque d’accroître les inégalités plutôt que de les réduire. Cette déconnexion par rapport aux meilleures pratiques internationales renforce la perception d’une réforme bâclée et inadaptée.
Le lien avec les conditionnalités internationales
La réforme des retraites, comme d’autres projets législatifs récents, répond également aux exigences posées par le Fonds monétaire international dans le cadre des négociations pour un programme d’aide financière au Liban. Mais en l’état actuel, la qualité de la réforme semble insuffisante pour satisfaire les attentes du FMI et des bailleurs de fonds internationaux. Ceux-ci exigent non seulement des textes législatifs, mais aussi des garanties d’application effective, d’équité et de viabilité financière. L’absence de clarté sur ces points risque de compliquer encore davantage les discussions en cours pour obtenir un soutien économique vital.