Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump s’efforce de redéployer l’influence diplomatique des États-Unis au Moyen-Orient, en rompant avec les paradigmes hérités de l’administration Biden. Au cœur de cette stratégie renouvelée, une figure discrète mais centrale émerge : Steve Witkoff, son conseiller spécial, qui incarne l’approche transversale privilégiée par Trump dans la gestion des foyers de crise régionaux. Cette méthode se distingue par la combinaison de dialogues parallèles, d’interventions ciblées et de négociations multi-niveaux, contournant les circuits diplomatiques classiques.
Un homme de l’ombre au cœur du dispositif
Steve Witkoff n’est ni diplomate de carrière, ni stratège militaire, mais un homme d’affaires new-yorkais devenu un proche du président. Sa nomination comme conseiller spécial a d’abord surpris, avant de s’imposer comme une pièce maîtresse de l’architecture diplomatique trumpienne. Il mène des négociations sensibles dans des dossiers aussi variés que le nucléaire iranien, les trêves à Gaza ou la libération d’otages dans des zones de conflit.
C’est lui qui a été chargé, début 2025, de reprendre le canal direct avec Téhéran à travers des rencontres organisées à Muscat. Son style repose sur la confidentialité, la rapidité décisionnelle et l’absence de cadre rigide. Ce qui le différencie des diplomates traditionnels, c’est sa capacité à naviguer entre secteurs : humanitaire, nucléaire, sécuritaire et économique. Il applique ainsi une logique transversale qui ne hiérarchise pas les enjeux, mais les articule dans une diplomatie d’opportunités.
Des négociations nucléaires aux trêves locales
Witkoff a récemment supervisé la quatrième session de pourparlers nucléaires avec l’Iran. Loin des grandes conférences multilatérales, ces discussions se sont déroulées dans un format restreint et pragmatique. Les deux parties ont discuté de plafonds d’enrichissement d’uranium, d’échéanciers pour la levée des sanctions, et de garanties de conformité. Cette approche a permis de sortir du blocage tout en évitant les polémiques publiques.
Parallèlement, Witkoff a été impliqué dans une trêve temporaire entre les rebelles Houthis du Yémen et les forces alliées à Riyad. Cette initiative, menée sans informer au préalable Israël, a été vivement critiquée à Tel Aviv. Elle révèle toutefois une cohérence méthodologique : identifier les leviers d’apaisement à court terme pour prévenir une escalade régionale plus large.
Une diplomatie parallèle qui agace les alliés
La méthode Witkoff suscite des tensions, notamment avec les partenaires historiques des États-Unis. En Israël, les cercles proches de Benjamin Netanyahou dénoncent une diplomatie parallèle qui fragilise la coordination stratégique. L’annonce d’un canal de communication avec le Hamas, jugée impensable par les précédentes administrations, a exacerbé ce sentiment d’isolement.
Witkoff est perçu à Tel Aviv comme un négociateur imprévisible, capable d’imposer un cessez-le-feu sans passer par les circuits de décision habituels. Ce fut le cas lors de la libération d’un otage israélo-américain, obtenue sans concertation avec le gouvernement israélien. Cette opération a été vécue comme une humiliation politique, illustrant les effets d’une diplomatie qui joue hors cadre.
Trump et la verticalité décisionnelle
Le rôle central de Witkoff reflète aussi une caractéristique profonde de la diplomatie de Donald Trump : la verticalité du pouvoir. En concentrant les canaux d’influence autour d’une poignée d’individus, Trump impose un rythme diplomatique personnel, détaché des dynamiques bureaucratiques traditionnelles. Cette méthode permet des décisions rapides, mais au prix d’une faible transparence institutionnelle.
Witkoff bénéficie d’une autonomie de manœuvre qui lui permet d’agir rapidement. Il dispose d’un mandat présidentiel direct, sans passer par les chaînes hiérarchiques du Département d’État. Cette configuration favorise une diplomatie agile, adaptée aux environnements de crise, mais elle accroît aussi les risques d’incohérence dans la stratégie globale.
L’hybridation des dossiers comme doctrine
L’un des traits distinctifs de l’approche Witkoff réside dans l’hybridation des dossiers. Il n’aborde pas les enjeux moyen-orientaux comme des problématiques cloisonnées, mais les relie dans une architecture de transaction. Un échange humanitaire peut servir de levier pour une concession sécuritaire ; une trêve locale peut ouvrir la voie à un accord économique plus vaste.
Cette logique est inspirée des pratiques du monde des affaires, où l’on négocie des ensembles plutôt que des clauses isolées. Elle permet des avancées rapides sur des segments particuliers, mais peut aussi manquer de cohérence stratégique à long terme. En contournant les diplomaties classiques, elle réduit la prévisibilité du positionnement américain aux yeux de ses alliés comme de ses rivaux.
Un impact différencié selon les acteurs
Les réactions à l’approche Witkoff sont contrastées. En Arabie saoudite et aux Émirats, elle est vue comme une chance de revaloriser les relations bilatérales sur une base concrète et ciblée. Au Qatar, elle est perçue comme un renforcement de son rôle de médiateur. En revanche, en Égypte ou en Jordanie, cette diplomatie non linéaire suscite des interrogations sur la fiabilité de Washington.
Côté iranien, la méthode Witkoff est accueillie avec prudence mais intérêt. Le fait de négocier sans médiation européenne permet à Téhéran de préserver la face tout en explorant des concessions. Côté palestinien, notamment au sein du Hamas, elle est perçue comme une reconnaissance implicite d’une forme de légitimité politique, en rupture avec l’isolement diplomatique imposé jusqu’ici.
Une méthode à haut rendement… et à haut risque
L’approche transversale portée par Trump et incarnée par Witkoff repose sur l’idée que les conflits moyen-orientaux ne peuvent être résolus par des cadres fixes, mais par des interventions flexibles, adaptables à chaque configuration. Cette méthode peut débloquer des situations enkystées, mais elle suppose une stabilité présidentielle et une capacité de suivi qui ne sont pas garanties.
En confiant les clés des dossiers régionaux à un cercle restreint, Trump joue une carte audacieuse. Si les résultats sont visibles à court terme, leur durabilité dépendra de l’institutionnalisation de cette méthode, ou au contraire de son abandon si le pouvoir change de mains. En attendant, Steve Witkoff reste le visage discret mais déterminant d’une diplomatie américaine en mutation rapide au Moyen-Orient.