L’Algérie accélère son rapprochement avec la Chine, scellant une série d’accords stratégiques qui redessinent ses alliances économiques. Sous l’impulsion du président Abdelmadjid Tebboune et dans le cadre d’un partenariat renforcé avec Pékin, le pays s’engage dans des projets ambitieux : la construction d’une méga-raffinerie pétrolière, le développement d’un réseau ferroviaire modernisé, et l’exploitation de gisements de terres rares. Ces initiatives, financées en grande partie par des capitaux chinois, marquent une volonté claire de diversifier une économie encore largement dépendante des hydrocarbures, qui représentent 95 % des exportations selon les chiffres de 2023. Mais ce pivot vers l’Est ne passe pas inaperçu. Les États-Unis et la France, partenaires historiques, observent avec méfiance cette alliance qui érode leur influence en Afrique du Nord. Dans un contexte régional tendu, notamment avec le Maroc sur le dossier du Sahara occidental, l’Algérie joue une carte audacieuse, entre ambitions économiques et enjeux géopolitiques. Ce mariage sino-algérien peut-il transformer le pays en une puissance régionale incontournable, ou risque-t-il de l’enfermer dans une nouvelle dépendance ?
Une méga-raffinerie pour redéfinir le pétrole algérien
L’un des piliers de ce partenariat est le projet de construction d’une méga-raffinerie pétrolière, un chantier colossal qui symbolise les ambitions énergétiques de l’Algérie et l’appui massif de la Chine. Annoncé en 2023 lors d’une visite officielle à Pékin du président Tebboune, cet accord implique un investissement de plusieurs milliards de dollars, dont une part significative provient de prêts chinois via la Banque d’import-export de Chine (EximBank). La raffinerie, prévue dans la région de Hassi Messaoud, vise une capacité de traitement de 5 millions de tonnes de pétrole brut par an, selon les estimations du ministère algérien de l’Énergie. Elle doit produire des carburants aux normes Euro V, comme le gasoil et l’essence sans plomb, pour répondre à la demande intérieure croissante et réduire les importations, qui ont coûté 2 milliards de dollars en 2022.
Ce projet s’inscrit dans un effort plus large de modernisation du secteur pétrolier. L’Algérie, qui dispose de la troisième plus grande réserve de pétrole d’Afrique avec 12,2 milliards de barils en 2023, exporte principalement du brut léger, mais ses capacités de raffinage restent limitées. Les raffineries existantes – Arzew, Skikda et Alger – traitent 25,5 millions de tonnes par an après leur réhabilitation achevée en 2018, mais elles peinent à couvrir les besoins locaux. En 2024, le pays a importé 30 % de son gasoil, un paradoxe pour un producteur pétrolier. La méga-raffinerie, cofinancée par Pékin, vise à inverser cette tendance, avec une mise en service prévue d’ici 2028.
La participation chinoise ne se limite pas au financement. La China National Petroleum Corporation (CNPC), via sa filiale Sinopec, apporte son expertise technique et prend une part active dans la gestion du projet. Cet accord renforce un partenariat énergétique amorcé en 2002, lorsque la CNPC a pénétré le marché algérien avec des contrats d’exploration. En 2025, un nouvel accord entre Sonatrach, la compagnie nationale algérienne, et Sinopec a été signé pour exploiter le champ de Zarzaitine, dans le sud-est, visant à extraire 95 millions de barils sur 25 ans. Cette collaboration illustre une complémentarité : la Chine sécurise son approvisionnement en pétrole, tandis que l’Algérie modernise ses infrastructures et réduit sa dépendance aux marchés européens.
Mais ce projet suscite des inquiétudes. Les coûts, initialement estimés à 6 milliards de dollars, pourraient grimper avec les imprévus logistiques dans le désert saharien. De plus, la dette contractée auprès de la Chine – dont les termes restent opaques – fait craindre un endettement excessif, un risque déjà pointé par le chancelier allemand Olaf Scholz en 2022 à propos des prêts chinois en Afrique. Malgré ces réserves, Alger voit dans cette raffinerie une étape cruciale pour se libérer de la rente brute et valoriser ses ressources sur place.
Un réseau ferroviaire pour désenclaver l’économie
Le renforcement des liens avec la Chine passe aussi par les rails. En 2023, lors d’un sommet bilatéral à Pékin, les deux pays ont signé un accord de 36 milliards de dollars incluant la modernisation et l’extension du réseau ferroviaire algérien. Un projet phare est la ligne de 575 kilomètres reliant Tindouf à Béchar, dans le sud-ouest saharien, financée par un prêt chinois de 1,2 milliard de dollars et construite par la China Railway Construction Corporation (CRCC). Lancée en 2024, cette voie doit connecter la mine de fer de Gara Djebilet – dont les réserves sont estimées à 3,5 milliards de tonnes – au réseau national, facilitant l’exportation vers les ports de la côte.
Ce n’est qu’un début. Le plan prévoit 6 000 kilomètres de nouvelles lignes d’ici 2035, reliant le nord industrialisé au sud riche en ressources. En 2025, une autre ligne de 300 kilomètres entre Alger et Constantine a été inaugurée, réduisant le temps de trajet de 6 à 3 heures grâce à des trains à grande vitesse fournis par la China National Machinery Industry Corporation. Ces infrastructures remplacent un réseau vétuste datant de l’époque coloniale, où seuls 4 200 kilomètres de voies étaient opérationnels en 2020, selon l’Agence nationale d’études et de suivi des projets ferroviaires (ANESRIF).
Pour la Chine, ce projet s’inscrit dans son initiative des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative), visant à sécuriser des corridors économiques en Afrique. Le fer de Gara Djebilet, dont l’extraction a démarré en 2022, est une aubaine pour Pékin, premier producteur mondial d’acier avec 1 milliard de tonnes en 2023. En échange, l’Algérie gagne un outil de désenclavement : les régions isolées comme Tindouf, où le chômage atteint 20 %, pourraient voir naître des pôles industriels. En 2024, 15 000 emplois ont été créés sur le chantier Tindouf-Béchar, un chiffre salué par le ministère du Travail.
Cependant, des défis subsistent. Le climat saharien, avec des tempêtes de sable et des températures dépassant 50 °C, complique les travaux, retardant la livraison initiale prévue pour 2026 à 2028. Les coûts d’entretien des lignes, estimés à 200 millions de dollars par an, pourraient aussi peser sur un budget national déjà fragilisé par la baisse des prix du pétrole, tombés à 75 dollars le baril en 2025. Malgré ces obstacles, ce réseau ferroviaire redonne à l’Algérie un levier pour exploiter ses richesses et attirer des investisseurs au-delà de la Chine.
Terres rares : une nouvelle frontière minière
L’exploitation des terres rares est un autre axe majeur de cette alliance sino-algérienne. Ces 17 métaux, essentiels aux technologies vertes comme les batteries de voitures électriques et les éoliennes, font l’objet d’un accord signé en 2023 entre Sonatrach et la China Rare Earth Group. L’Algérie possède des gisements prometteurs, notamment dans le Hoggar et à Tamanrasset, où des études géologiques de 2021 ont identifié des réserves potentielles de 2 millions de tonnes de terres rares, incluant le néodyme et le praséodyme. Pékin, qui contrôle 60 % de la production mondiale et 90 % du raffinage, voit dans ces ressources une opportunité de diversifier ses approvisionnements hors de ses frontières.
Le projet, encore au stade exploratoire en 2025, implique un investissement chinois de 500 millions de dollars pour des études et des infrastructures d’extraction. Une usine de traitement est prévue à Skikda d’ici 2029, avec une capacité de 10 000 tonnes par an. Cette initiative s’aligne sur la stratégie algérienne de valoriser ses minerais, un secteur négligé au profit des hydrocarbures. En 2022, les exportations hors pétrole ont atteint 7 milliards de dollars, dont 1,6 milliard pour les produits chimiques et terres rares, un record historique selon le ministère du Commerce.
Pour la Chine, cet accord renforce sa domination sur un marché stratégique, alors que les tensions avec les États-Unis, qui importent 80 % de leurs terres rares de Pékin, s’intensifient. Mais l’Algérie doit surmonter des hurdles environnementaux : l’extraction de ces métaux génère des déchets toxiques, un problème que la Chine a assumé au prix d’une pollution massive. En 2024, des ONG locales ont alerté sur les risques pour les nappes phréatiques du Hoggar, où l’eau est déjà rare. Le gouvernement promet des normes strictes, mais le passé – comme la pollution au mercure près des mines de phosphate de Tébessa – laisse planer des doutes.
Ce partenariat minier pourrait aussi redessiner les équilibres régionaux. Le Maroc, rival de l’Algérie, exploite déjà des terres rares à Oued Zem, exportant 5 000 tonnes en 2023. Une course aux minerais stratégiques s’engage, amplifiant les tensions autour du Sahara occidental, où Rabat revendique des ressources similaires. Pour Alger, les terres rares sont une carte économique et diplomatique, mais leur exploitation reste un pari risqué.
Les États-Unis et la France : des partenaires délaissés
Ce virage vers la Chine n’est pas sans conséquences géopolitiques. Les États-Unis et la France, piliers historiques de l’influence occidentale en Afrique du Nord, voient leur position s’éroder. En 2024, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la Chine ont atteint 12,5 milliards de dollars sur les onze premiers mois, faisant de Pékin le premier fournisseur du pays, devant Paris (8 milliards) et Washington (4 milliards). Cette bascule inquiète les deux puissances, qui perdent des parts de marché dans un pays clé pour le gaz et le pétrole.
La France, ex-puissance coloniale, conserve des liens économiques forts via TotalEnergies, qui exploite 15 % du gaz algérien, et Alstom, impliqué dans le métro d’Alger. Mais les tensions diplomatiques, notamment sur le Sahara occidental où Paris soutient Rabat, ont poussé Alger à diversifier ses partenaires. En 2025, TotalEnergies a vu son contrat d’exploration dans le bassin de Berkine réduit de 20 %, tandis que Sinopec gagnait du terrain. Les États-Unis, eux, s’inquiètent de l’accès de la Chine aux terres rares algériennes, essentielles à leur industrie de défense. En 2023, le Département d’État a sanctionné des entreprises chinoises liées à Sonatrach, sans freiner l’élan sino-algérien.
Cette alliance dérange aussi sur le plan stratégique. L’Algérie, membre de l’OPEP, fournit 11 % du gaz européen, un rôle crucial depuis la guerre en Ukraine. Une dépendance accrue envers Pékin pourrait réorienter ces flux vers l’Asie, où la Chine consomme 15 % du pétrole mondial en 2025. Face à cela, Washington et Paris tentent de contre-attaquer : en 2024, le FMI a proposé un prêt de 5 milliards de dollars à Alger, conditionné à des réformes, mais l’offre a été déclinée, signe d’une méfiance envers l’Occident.
Diversification ou nouvelle dépendance ?
L’Algérie mise sur la Chine pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures, qui ont généré 50 milliards de dollars en 2022 mais restent vulnérables aux fluctuations des prix. En 2025, le baril oscille à 75 dollars, loin des 100 dollars de 2022, amputant les recettes de 15 %. Les projets sino-algériens – raffinerie, ferroviaire, terres rares – promettent de diversifier les revenus : le fer de Gara Djebilet pourrait rapporter 2 milliards de dollars par an d’ici 2030, et les terres rares 1 milliard, selon les projections du ministère de l’Énergie.
Mais ce pivot soulève une question : l’Algérie troque-t-elle une dépendance pour une autre ? La Chine absorbe déjà 20 % des exportations pétrolières algériennes en 2024, contre 5 % en 2015. Les prêts chinois, souvent assortis de clauses opaques, rappellent les mises en garde de 2022 du FMI sur l’endettement africain. En 2025, la dette extérieure algérienne atteint 8 milliards de dollars, dont 40 % envers Pékin, un niveau modeste mais en hausse. Les critiques locaux, comme l’économiste Abderrahmane Mebtoul, estiment que sans industries locales pour transformer ces ressources, l’Algérie restera un fournisseur de matières premières, qu’elles soient pétrolières ou minérales.
Le contexte régional ajoute une couche de complexité. Les tensions avec le Maroc, exacerbées par le conflit du Sahara occidental, poussent Alger à chercher des alliés puissants. En 2024, Rabat a signé un accord avec les États-Unis pour des drones militaires, tandis que l’Algérie a acquis des systèmes russes S-400 et des équipements chinois, renforçant son axe anti-occidental. Cette rivalité pourrait transformer les projets économiques sino-algériens en leviers stratégiques, au risque d’attiser les conflits.
Un partenariat à double tranchant
Le renforcement des liens avec la Chine offre à l’Algérie une bouffée d’oxygène économique et une chance de s’émanciper des partenaires traditionnels. La méga-raffinerie promet une autonomie énergétique, le réseau ferroviaire un désenclavement, et les terres rares une entrée dans l’économie verte. En 2025, les échanges commerciaux sino-algériens atteignent des sommets, et Pékin devient un acteur incontournable dans le développement du pays. Mais ce partenariat n’est pas sans risques : endettement, impacts environnementaux, et perte d’influence face à un géant asiatique qui dicte souvent ses termes.
L’Algérie se trouve à un carrefour. Si elle parvient à transformer ces projets en industries locales et à équilibrer ses alliances, elle pourrait s’imposer comme un pivot régional. Sinon, elle risque de substituer une rente pétrolière à une rente chinoise, sous le regard inquiet de l’Occident et de ses voisins. Dans ce jeu d’équilibre, le succès dépendra autant de la vision d’Alger que de la bonne foi de Pékin.