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Beyrouth face à la menace de la disparition de son patrimoine

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Beyrouth, jadis surnommée « la perle de l’Orient », voit son patrimoine architectural s’effriter sous le poids d’une crise économique sans précédent et d’un manque criant d’entretien. En 2025, des bâtiments historiques, témoins d’un passé riche mêlant influences ottomanes, françaises et libanaises, risquent de disparaître, remplacés par des tours modernes ou laissés à l’abandon. Le théâtre Piccadilly, icône culturelle fermée depuis des décennies, symbolise ce déclin : sa façade Art déco se dégrade, tandis que les fonds pour sa restauration demeurent introuvables. Partout dans la ville, des immeubles traditionnels aux balcons en fer forgé et aux pierres ocre sont vendus à des promoteurs immobiliers avides de profits, menaçant l’identité architecturale de la capitale. Face à cette hémorragie patrimoniale, des initiatives citoyennes émergent, portées par des habitants déterminés à sauver ce qui reste d’une Beyrouth autrefois florissante. Mais dans un pays où l’hyperinflation atteint 250 % et où les ressources publiques se raréfient, la bataille pour préserver ce legs historique semble désespérée. Beyrouth peut-elle encore protéger son âme face à ces menaces multiples ?

Une ville au bord de l’effacement : le patrimoine en péril

Beyrouth a longtemps été un carrefour culturel et architectural, un mélange unique d’héritages ottomans, mandataires français et modernistes du XXe siècle. En 2025, ce patrimoine est en danger critique. La crise économique, amorcée en 2019, a vidé les caisses de l’État et des municipalités, rendant l’entretien des bâtiments historiques quasi inexistant. La livre libanaise, dévaluée de 95 % depuis six ans, a chuté à 150 000 pour un dollar sur le marché noir en mars 2025, réduisant le budget du ministère de la Culture à une somme dérisoire : 2 milliards de livres, soit environ 13 000 dollars au taux réel. Cette misère financière laisse des joyaux architecturaux à l’abandon, exposés aux intempéries, aux pillages et à l’usure du temps.

L’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 a aggravé cette détérioration. Avec 218 morts et plus de 7 000 blessés, elle a endommagé 60 000 bâtiments dans un rayon de 10 kilomètres, dont 640 immeubles historiques, selon une évaluation de 2021. Les quartiers de Gemmayzé et Mar Mikhaël, connus pour leurs maisons traditionnelles à triple arcade, ont vu des façades s’effondrer et des toits céder sous la force de la déflagration. En 2025, seuls 20 % de ces structures ont été réparés, faute de fonds publics et privés. Les dégâts, estimés à 15 milliards de dollars, dépassent largement les capacités d’un pays dont le PIB a plongé à 18 milliards de dollars en 2024, contre 55 milliards en 2018.

Le manque d’entretien chronique préexiste à cette catastrophe. En 2025, plus de 1 200 bâtiments classés au patrimoine – sur un total de 1 600 identifiés en 1997 – sont en état de délabrement avancé. Des villas ottomanes du quartier de Zokak el-Blat, construites au XIXe siècle avec leurs cours intérieures et leurs mosaïques, s’effritent sous l’effet de l’humidité et des infiltrations. Les immeubles modernistes des années 1950 et 1960, comme l’édifice Tayyan à Achrafieh, perdent leurs vitres et leurs structures en béton, rongées par la pollution et le sel marin. Cette négligence, combinée à la crise, transforme Beyrouth en un musée à ciel ouvert où les trésors architecturaux s’évanouissent un à un.

Le théâtre Piccadilly : une icône au bord du gouffre

Le théâtre Piccadilly, situé dans le quartier animé de Hamra, incarne à lui seul cette lutte pour la survie du patrimoine. Ouvert en 1965, ce bâtiment emblématique, conçu par l’architecte libanais Jacques Tabet, était un haut lieu de la vie culturelle beyrouthine. Avec sa façade Art déco aux lignes épurées et son auditorium de 700 places, il a accueilli des pièces de théâtre, des concerts et des projections de films jusqu’à la guerre civile de 1975-1990. Fermé depuis les années 1980, il est devenu un fantôme de son passé glorieux : ses sièges rouges sont couverts de poussière, ses lustres pendent en ruine, et ses murs portent les stigmates de décennies d’abandon.

En 2025, le Piccadilly reste un symbole poignant de l’inaction. En 2012, un projet de restauration avait été annoncé, porté par le ministère de la Culture et des investisseurs privés, avec un budget initial de 5 millions de dollars. L’idée était de le transformer en un centre culturel polyvalent, avec une salle de spectacle, un cinéma et un espace pour les artistes locaux. Mais la crise économique a stoppé net ces ambitions : en 2019, les fonds promis ont été gelés, et l’inflation galopante a rendu les coûts prohibitifs. En 2025, rénover le théâtre nécessiterait 750 milliards de livres, soit 5 millions de dollars au taux du marché noir, une somme hors de portée dans un pays où le salaire moyen mensuel est tombé à 4,5 dollars.

Les tentatives de sauvetage se heurtent à des obstacles logistiques et politiques. En 2024, une tempête hivernale a endommagé le toit du Piccadilly, laissant l’intérieur exposé aux pluies torrentielles qui ont inondé Hamra pendant trois jours. Les autorités municipales, débordées par des pannes d’électricité limitées à deux heures par jour, n’ont pu intervenir. En parallèle, des rumeurs circulent sur une possible vente du terrain à un promoteur saoudien pour 10 millions de dollars, une offre alléchante pour les propriétaires privés qui luttent pour survivre. En mars 2025, une pétition signée par 15 000 habitants a exigé son classement comme monument national, mais le Parlement, paralysé par des querelles confessionnelles, n’a pas agi. Le Piccadilly, comme tant d’autres, reste suspendu entre nostalgie et destruction.

Promoteurs immobiliers : la ruée vers le béton

La pression des promoteurs immobiliers constitue une menace encore plus immédiate. En 2025, Beyrouth voit son paysage urbain se transformer à un rythme accéléré : les immeubles historiques, souvent vendus à des prix dérisoires en raison de la crise, cèdent la place à des tours modernes destinées à une élite fortunée ou à des investisseurs étrangers. Dans le quartier de Saifi, connu pour ses maisons à toits rouges et ses ruelles pavées, 12 bâtiments patrimoniaux ont été rasés entre 2023 et 2025 pour construire des résidences de luxe, vendues entre 500 000 et 1 million de dollars par unité. Ces transactions, souvent conclues en devises étrangères, échappent aux familles beyrouthines ruinées par la dévaluation.

La législation, censée protéger ce patrimoine, est inefficace. En 1997, une liste de 1 600 bâtiments à préserver a été établie, mais elle n’a pas de force contraignante. En 2025, seuls 400 de ces édifices bénéficient d’un classement officiel, et même ceux-ci sont vulnérables : des dérogations sont accordées aux promoteurs sous prétexte de « développement économique ». À Achrafieh, la villa Rose, une maison ottomane de 1890 célèbre pour ses vitraux, a été démolie en 2024 après une autorisation municipale controversée, malgré des protestations. Le terrain, vendu pour 2 millions de dollars à une société qatarie, abrite désormais une tour de 15 étages achevée en février 2025.

Ce phénomène reflète une logique de survie. En 2025, 85 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, et les propriétaires, incapables de financer des rénovations, cèdent leurs biens pour des sommes qui leur permettent de fuir à l’étranger ou de subsister. En 2024, 350 000 personnes ont quitté le pays, portant le total des émigrés à 1,5 million depuis 2019, soit un quart de la population. Les promoteurs, souvent liés à des capitaux du Golfe ou à des hommes d’affaires locaux proches des factions politiques, exploitent cette détresse. En mars 2025, un rapport a révélé que 60 % des ventes immobilières à Beyrouth concernent des bâtiments historiques, contre 20 % en 2018, une accélération qui menace de réduire la ville à une coquille vide de son passé.

Initiatives citoyennes : la résistance des amoureux de Beyrouth

Face à cette disparition programmée, des initiatives citoyennes émergent comme un rempart fragile mais déterminé. En 2025, des collectifs comme Beiruti Watch, créé en 2020 après l’explosion du port, mobilisent des architectes, des historiens et des habitants pour sauver le patrimoine. Ce groupe, fort de 5 000 membres, a restauré 15 maisons à Gemmayzé entre 2021 et 2024 avec un budget de 1,2 million de dollars, collecté via des dons locaux et de la diaspora. En mars 2025, ils ont lancé une campagne pour le Piccadilly, levant 50 000 dollars en une semaine grâce à une plateforme de crowdfunding, une somme modeste mais symbolique dans un pays en crise.

D’autres efforts se distinguent. L’association Save Beirut Heritage, active depuis 2010, recense les bâtiments menacés et fait pression sur les autorités. En 2024, elle a empêché la démolition de la maison Sursock à Achrafieh, une villa de 1910, en obtenant un sursis judiciaire après une bataille de deux ans contre un promoteur émirati. En 2025, elle documente 300 immeubles en péril, publiant une carte interactive utilisée par 20 000 visiteurs mensuels pour sensibiliser à leur sort. Ces initiatives s’appuient sur des bénévoles et des fonds privés : en 2025, la diaspora libanaise, principalement en France et au Canada, a envoyé 300 000 dollars pour ces projets, contre 100 000 en 2022.

Les jeunes architectes jouent aussi un rôle clé. En 2025, l’Université américaine de Beyrouth (AUB) a lancé un programme, Beirut Built Heritage, où 150 étudiants travaillent sur des plans de restauration gratuits pour des propriétaires démunis. En février, ils ont remis un projet pour la maison Barakat, un bâtiment de 1924 transformé en musée en 2019 mais endommagé par l’explosion. Ces efforts, bien que limités, maintiennent une lueur d’espoir : en 2025, 50 bâtiments ont été sauvés par ces groupes, contre 20 en 2023, un chiffre encourageant malgré l’ampleur de la tâche.

Mais les obstacles sont colossaux. Les fonds citoyens, cumulés à 2 millions de dollars en 2025, ne représentent que 0,1 % des 15 milliards nécessaires pour restaurer Beyrouth post-explosion. Les tensions avec les promoteurs dégénèrent parfois : en 2024, une manifestation devant une villa à Mar Mikhaël a été dispersée par des milices privées, blessant cinq militants. L’État, paralysé par une crise politique où le gouvernement de Nawaf Salam ne parvient pas à nommer un gouverneur à la Banque du Liban, offre peu de soutien. En mars 2025, une subvention de 500 millions de livres – soit 3 300 dollars – a été annoncée pour le patrimoine, une goutte d’eau face à l’urgence.

Un patrimoine sacrifié : les racines d’une identité en jeu

La disparition du patrimoine beyrouthin n’est pas qu’une question de pierres : elle touche à l’identité même d’une ville qui a survécu à des siècles de bouleversements. En 2025, les immeubles historiques – avec leurs arches triples, leurs balcons en fer forgé et leurs tuiles rouges – incarnent un passé cosmopolite où chrétiens, musulmans et druzes cohabitaient dans une harmonie fragile. Leur remplacement par des tours anonymes efface cette mémoire collective, au moment où le Liban, frappé par la guerre de 2024 contre Israël qui a tué 4 000 personnes et détruit 30 000 bâtiments, a plus que jamais besoin de symboles d’unité.

Les pertes sont déjà visibles. En 2025, le quartier de Basta, autrefois riche en maisons ottomanes, ne compte plus que 15 % de ses bâtiments d’origine, contre 60 % en 2010. À Saifi, les ruelles où flânaient des artistes dans les années 1960 sont méconnaissables, dominées par des gratte-ciel de verre. Cette transformation, accélérée par la crise, reflète une logique économique impitoyable : un terrain historique vendu à 1 million de dollars rapporte 10 fois plus qu’une restauration, qui coûte en moyenne 100 000 dollars par immeuble en 2025. Les promoteurs, souvent liés à des élites politiques ou à des capitaux étrangers, prospèrent dans ce vide institutionnel, où la corruption a détourné 70 milliards de dollars des banques depuis 2019.

La guerre de 2024 a amplifié cette menace. Les bombardements israéliens sur Beyrouth-Sud ont rasé des quartiers entiers, mais les dégâts collatéraux ont aussi touché des zones historiques : à Mar Mikhaël, 20 immeubles patrimoniaux ont été endommagés par des frappes à 2 kilomètres du port. En 2025, les priorités de reconstruction se concentrent sur les infrastructures vitales – écoles, hôpitaux – laissant le patrimoine au second plan. Cette négligence risque de faire de Beyrouth une ville sans visage, où les générations futures n’auront plus de lien tangible avec leur histoire.

Sauver Beyrouth : une course contre la montre

La restauration du patrimoine beyrouthin est une urgence vitale, mais les moyens manquent cruellement. En 2025, des initiatives internationales tentent de combler ce vide. La France, ancienne puissance mandataire, a promis 100 millions d’euros en 2024 pour reconstruire les quartiers touchés par l’explosion, dont 10 millions pour le patrimoine, mais seuls 2 millions ont été débloqués en raison des lenteurs administratives libanaises. L’UNESCO, qui a classé Beyrouth sur sa liste indicative du patrimoine mondial en 1984, a lancé un fonds de 5 millions de dollars en 2025 pour des projets pilotes, comme la maison Younes à Gemmayzé, restaurée en février pour 500 000 dollars.

Ces efforts internationaux restent limités. En 2025, le gouvernement libanais, paralysé par un blocage politique sur les nominations stratégiques, ne peut mobiliser que 0,01 % de son budget – soit 200 000 dollars – pour la culture. Les citoyens, eux, continuent leur combat : en mars 2025, une marche de 5 000 personnes à Hamra a exigé la protection du Piccadilly et d’autres sites, tandis que des artistes projettent des images d’archives sur les façades en ruine pour rappeler leur valeur. Ces gestes, empreints de nostalgie, contrastent avec la réalité : sur 1 200 bâtiments en péril, 300 ont été démolis ou irréparablement endommagés depuis 2020.

Beyrouth est à un tournant. En 2025, sa crise économique, avec une inflation de 250 % et un PIB réduit à 18 milliards de dollars, menace de rayer de la carte un patrimoine qui a survécu à des guerres et des tremblements de terre. Les initiatives citoyennes, bien que courageuses, ne peuvent remplacer un État absent. Si rien ne change, la ville risque de perdre son âme, remplacée par un skyline de béton dénué d’histoire. La question persiste : Beyrouth peut-elle encore se relever, ou son passé glorieux est-il condamné à n’être qu’un souvenir ?

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Newsdesk Libnanews
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