Le 20 mars 2025, un communiqué conjoint du Syndicat Alternatif de la Presse, de plusieurs médias, d’associations de défense des droits humains et de députés de l’opposition a mis en lumière une campagne de diffamation orchestrée par certains banquiers libanais et leurs alliés influents. Selon les signataires, cette offensive vise à protéger les responsables de l’effondrement financier du Liban en ciblant les journalistes, les médias indépendants et les organisations réformistes. Dans un contexte où la liberté de la presse est menacée, cette déclaration intervient alors que le pays s’enlise dans une crise économique sans précédent et que les nominations à la Banque du Liban (BDL) cristallisent les tensions politiques et internationales.
Une campagne pour étouffer la vérité
Le communiqué condamne fermement ce qu’il décrit comme une tentative délibérée de discréditer ceux qui dénoncent les responsables de la débâcle financière libanaise, amorcée en 2019. « Le Syndicat Alternatif de la Presse, aux côtés de médias, d’associations de droits humains et de députés de l’opposition, dénonce la campagne de diffamation menée par certains banquiers et leurs puissants alliés contre les journalistes, les médias indépendants et les organisations réformistes », indique le texte. Les signataires pointent du doigt une stratégie visant à préserver les intérêts de ceux impliqués dans la perte de plus de 70 milliards de dollars, soit trois fois le PIB actuel du pays, estimé à 18 milliards en 2024.
Cette campagne, selon les signataires, s’appuie sur « l’argent politique » qui transforme certains médias en « outils de propagande diffusant des mensonges et des récits fabriqués pour tromper l’opinion publique ». Ils accusent ces acteurs de chercher à détourner l’attention des véritables coupables – les banquiers et leurs complices politiques – en ciblant ceux qui appellent à la transparence et à la justice. Le Conseil National de l’Audiovisuel (CNA), censé réguler le secteur médiatique, est particulièrement critiqué pour son inaction face à cette dérive, laissant le champ libre à ces pratiques.
Des répercussions sur la liberté de la presse
Les signataires alertent sur les graves conséquences de ces campagnes pour la liberté de la presse au Liban, un pays autrefois considéré comme un bastion du journalisme dans le monde arabe. « Ces campagnes ont des répercussions profondes sur la liberté des médias », notent-ils, soulignant que les rapports et plaintes déposés contre les voix dissidentes sont devenus des armes d’incitation. Les « mafias bancaires », comme ils les appellent, auraient abandonné une posture défensive pour adopter une stratégie offensive, visant à transformer la justice en « un outil répressif pour imposer leur narratif et écraser toute opposition ».
Cette évolution inquiète particulièrement dans un contexte où les médias indépendants, tels que Megaphone News ou Daraj, jouent un rôle crucial pour exposer la corruption et les échecs systémiques. Les attaques incluent des poursuites judiciaires, des convocations sécuritaires et des diffusions de fausses informations visant à discréditer les réformistes. Le communiqué met en garde : « L’attaque contre les institutions réformistes est une tentative de priver la société des moyens de changement et de réforme », un enjeu vital alors que le Liban tente de se relever d’une crise qui a plongé 80 % de sa population sous le seuil de pauvreté.
Un appel à l’action politique et judiciaire
Face à cette menace, les signataires appellent les autorités politiques à intervenir pour contrer ces campagnes et à mettre en œuvre des réformes institutionnelles dans les domaines de la régulation des médias et de la justice. Ils exhortent la Cour de cassation, ainsi que les procureurs et autres instances judiciaires, à rejeter les convocations sécuritaires et judiciaires politisées, tout en prenant des mesures sérieuses pour poursuivre les responsables des crimes financiers. « Nous demandons une justice qui rende des comptes, pas une justice qui réprime », insistent-ils, plaidant pour une rupture avec les pratiques qui ont permis aux élites de s’enrichir au détriment du peuple.
Cet appel intervient alors que la communauté internationale, notamment les États-Unis et la France, presse le Liban d’adopter des réformes pour débloquer une aide du FMI de 3 milliards de dollars. La restructuration du secteur bancaire, la nomination d’un gouverneur permanent à la BDL et la lutte contre la corruption sont au cœur de ces exigences, rendant la campagne de diffamation d’autant plus préoccupante : elle risque de détourner l’attention des priorités nationales.
Rappel du contexte actuel des nominations à la Banque du Liban (BDL)
La question des nominations à la BDL reste un point de friction majeur en ce 20 mars 2025, illustrant les luttes de pouvoir qui sous-tendent la crise actuelle. Depuis le départ de Riad Salamé en juillet 2023, accusé de détournement de fonds et visé par des enquêtes internationales, le poste de gouverneur est occupé par intérim par Wassim Mansouri. Cette vacance prolongée paralyse les réformes nécessaires, notamment la recapitalisation des banques et l’unification du taux de change, bloquant ainsi l’aide internationale.
Le président Joseph Aoun, élu en janvier 2025, soutient Karim Souaid, un technocrate proche des États-Unis, pour ce poste, une candidature appuyée par Washington dans le cadre de sa stratégie pour contrer l’influence du Hezbollah et assainir le système financier. Cependant, Nawaf Salam, Premier ministre désigné depuis janvier, défend un candidat indépendant comme Jihad Azour, économiste au FMI, pour préserver une neutralité face aux pressions étrangères et internes. Ce bras de fer reflète des divergences profondes : Aoun, allié de l’Arabie saoudite et des États-Unis, privilégie une ligne pro-occidentale, tandis que Salam, fort de son expérience à la Cour internationale de justice, cherche à maintenir une souveraineté libanaise fragile.
Les banquiers, via l’Association des Banques du Liban (ABL), résistent à ces nominations, craignant qu’un gouverneur réformiste ne les force à assumer les pertes colossales – estimées à 72 milliards de dollars – au lieu de les transférer aux contribuables. Cette opposition alimente la campagne de diffamation dénoncée par le Syndicat Alternatif de la Presse, visant à discréditer les voix qui soutiennent des changements radicaux, comme ceux proposés par Salam dans sa mécanique de nominations annoncée le même jour.
Une société en quête de justice
En ce 20 mars 2025, le communiqué du Syndicat Alternatif de la Presse et de ses alliés résonne comme un cri d’alarme dans un Liban exsangue. Alors que l’inflation galope, que les coupures d’électricité s’étendent sur 22 heures par jour et que les jeunes fuient par milliers (500 000 départs depuis 2020), la campagne de diffamation des banquiers apparaît comme une tentative désespérée de préserver un statu quo mortifère. Face à un Conseil National de l’Audiovisuel impuissant et une justice sous pression, les signataires appellent à une mobilisation pour protéger la liberté d’expression et garantir une accountability qui reste, pour l’heure, un mirage dans un pays au bord du précipice.