CNSS : soupçons de détournement massif et dérives politico-financières

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Un audit interne aux révélations accablantes

L’affaire des détournements présumés au sein de la Caisse nationale de sécurité sociale a révélé une nouvelle facette des dérives structurelles des institutions publiques libanaises. L’alerte a été donnée à la suite d’un audit interne de la CNSS, déclenché après plusieurs incohérences constatées dans les états de paiement. Ce contrôle a permis de détecter des prestations médicales facturées mais jamais réalisées. Des paiements fictifs auraient été validés pour des montants significatifs, impliquant à la fois des agents de la caisse et des prestataires de services médicaux.

Le mécanisme présumé repose sur l’émission de factures liées à des actes médicaux non effectués, intégrées dans les flux de remboursement de la CNSS. Ces opérations auraient été rendues possibles par des complicités internes, notamment au sein des services de contrôle des prestations. Les premières conclusions du rapport interne ont été transmises au parquet financier pour instruction, mais à ce jour, aucune mise en examen formelle n’a été prononcée.

Un préjudice estimé à 19 milliards de livres libanaises

Le montant concerné est considérable. Les premières estimations font état d’un préjudice atteignant 19 milliards de livres libanaises. Ce chiffre recouvre les paiements non justifiés déjà identifiés et potentiellement d’autres transactions suspectes en cours d’analyse. Ce montant, dans un contexte de crise budgétaire aiguë, représente une perte grave pour une institution déjà fragilisée par des années de sous-financement et de mauvaise gestion.

Des sources internes à la CNSS décrivent un climat d’impunité, entretenu par une absence de contrôle systématique sur les prestations médicales déclarées. Plusieurs agents impliqués dans la validation des factures ont été réaffectés à d’autres postes, sans que des procédures disciplinaires ne soient engagées. Les prestataires médicaux mentionnés dans l’enquête seraient pour certains en lien direct avec des figures politiques locales influentes, rendant les poursuites délicates dans un environnement institutionnel polarisé.

Un système miné par les clientélismes

La structure de la CNSS serait largement pénétrée par des logiques clientélistes. Les réseaux d’influence, construits autour de quotas politiques et de répartition régionale des postes, rendraient toute réforme interne difficile. Un cadre administratif affirme que « la CNSS est une institution complètement infiltrée par des logiques de quotas politiques », ce qui empêche une gestion technique et rigoureuse.

La politisation des nominations dans les directions régionales et les services de gestion des prestations contribue à affaiblir la capacité de supervision de l’organisme. Cette situation encourage les pratiques frauduleuses, protégées par des alliances partisanes et des ententes informelles. Les régions du Metn et du Nord sont citées dans le dossier comme épicentres du réseau de prestataires visés.

Des procédures de contrôle obsolètes

Le dysfonctionnement de la CNSS tient également à l’obsolescence de ses procédures de validation. Le système informatique de traitement des demandes de remboursement ne permet pas de croiser automatiquement les déclarations avec les preuves de prestation. L’absence d’interface centralisée entre les hôpitaux, les cliniques et la caisse empêche la détection rapide des anomalies.

Cette faille technique a été exploitée par les fraudeurs, qui ont pu introduire dans le circuit des dossiers complets mais fictifs, comportant des diagnostics, des ordonnances et des feuilles de soins falsifiés. La vérification manuelle, très ponctuelle et dépendante de la bonne volonté des agents, n’a pas suffi à enrayer les abus. Le volume de dossiers traités chaque mois par les antennes régionales rend impossible un contrôle exhaustif sans outils numériques performants.

Demande d’assistance technique internationale

Face à l’ampleur du scandale, la présidence de la CNSS a sollicité une aide technique extérieure pour renforcer ses mécanismes de contrôle. Une demande officielle a été adressée à la Banque mondiale pour bénéficier d’un appui à la modernisation du système de validation des factures. L’objectif est d’instaurer un système de traitement automatisé, avec des modules d’alerte en cas d’irrégularité, et une capacité d’audit renforcée.

Cette démarche traduit une volonté affichée de reprendre la main sur la gestion interne, mais elle reste suspendue à l’approbation de financements externes. Les premières discussions avec les bailleurs sont en cours, mais les partenaires internationaux exigent des garanties sur l’indépendance du dispositif, et sur la transparence de la chaîne de commandement.

Le rôle du parquet financier

Le dossier a été confié au parquet financier, mais l’enquête reste pour l’instant à un stade préliminaire. Les auditions prévues des agents de la CNSS et des responsables des centres médicaux n’ont pas encore débuté. Plusieurs observateurs estiment que le traitement judiciaire du dossier pourrait être ralenti par des interférences politiques. Les zones d’influence des prestataires impliqués compliquent l’action des juges, qui redoutent des pressions sur les témoins ou des tentatives d’obstruction.

Les précédents en matière de détournement de fonds publics laissent craindre une enquête longue et peu concluante. Le manque de moyens du parquet, couplé à l’absence de mécanismes de protection des lanceurs d’alerte, limite la portée des investigations. L’issue judiciaire reste donc incertaine, malgré la gravité des faits constatés.

Un climat de défiance parmi les assurés

Cette affaire fragilise davantage la confiance des assurés sociaux dans la capacité de la CNSS à remplir sa mission. Les cotisants, déjà pénalisés par la dégradation des prestations, perçoivent ces détournements comme un détournement de leur contribution. Les bénéficiaires signalent des délais de remboursement rallongés, des refus de prise en charge, et une bureaucratie souvent inefficace.

Les syndicats d’usagers réclament une transparence totale sur le traitement du dossier. Ils demandent la publication du rapport d’audit, la suspension immédiate des prestataires mis en cause, et l’instauration d’un comité de surveillance indépendant. Cette demande reste pour l’instant lettre morte.

Une institution en crise systémique

Au-delà de cette affaire, la CNSS fait face à une crise systémique. Son modèle économique, basé sur des cotisations en baisse, des dépenses croissantes et une gouvernance instable, est aujourd’hui remis en cause. L’augmentation du travail informel, la baisse du nombre d’employeurs déclarés, et la multiplication des exemptions ont réduit sa base contributive.

La caisse dépend de transferts publics irréguliers pour boucler ses exercices, et peine à honorer ses engagements. Le paiement des pensions, le remboursement des soins, et le financement des hôpitaux partenaires sont devenus erratiques. Dans ce contexte, toute déperdition de fonds aggrave une situation déjà critique.

Vers une réforme de fond ?

L’affaire relance le débat sur la nécessité d’une réforme de fond de la sécurité sociale. Plusieurs propositions sont sur la table : regroupement des régimes, digitalisation des procédures, autonomisation de la gouvernance, et réforme des cotisations. Toutefois, l’absence de volonté politique réelle freine toute avancée.

Les experts plaident pour un pilotage technique, indépendant des équilibres politiques, capable de restaurer la crédibilité de l’institution. Ils soulignent l’importance d’un partenariat stratégique avec les institutions internationales pour sécuriser les financements et accompagner la transition.

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Newsdesk Libnanews
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