En partenariat avec Al Madaniya – Par l’Institut scandinave des droits de l’homme

Une étude interne de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR) sur Le Mouvement islamique «Ahrar Al Sham» «Les hommes libres du Levant).

Adaptation en version française par René Naba, directeur du site www.madaniya.info

VI- Des liaisons entre Al Qaida et Ahrar Al Sham

A- Abou Khaled Al Soury (1963-2014)

Abou Khaled Al Soury, de son vrai nom Mohamad Bahaya, rejoint à 16 ans, alors qu’il était élève du secondaire, At Taliha Al Mouquatilla, (L’Avant Garde Combattante), la structure militaire clandestine des Frères Musulmans de Syrie. Bien que n’ayant participé à aucune opération militaire significative, il s’exilera en Turquie après le massacre de Hama, en février 1982, pour assumer les fonctions de responsable de la logistique et de la contrebande d’armes entre la Turquie et la Syrie.

Il échappera à un attentat par accident …en quelque sorte, se fracturant la jambe le jour où il devait regagner la Syrie en compagnie du chef militaire d’At Taliha Al Mouquatila, Adnane Okla, disparu depuis lors. Tous ceux qui avaient franchi la frontière ce jour-là ont péri dans une embuscade tendue par les forces de sécurité syriennes.

Fin 1987, Mohamad Bahaya se rendit en Afghanistan pour participer au djihad anti soviétique, en compagnie d’une figure mythique du djihad afghan, le Cheikh Abdallah Azzam. Plusieurs responsables d’At Taliha Al Mouquatlila attestent de l’appartenance d’Abdallah Azzam à la structure militaire clandestine des Frères Musulmans de Syrie et sa connexion avec son fondateur l’ingénieur Marwane Hadid.

Abdallah Azzam a fondé au Pakistan «Bayt Al Ansar» (La maison des partisans). A son arrivée, Mohamad Bahaya rejoigna la maison des partisans et pris le nom de guerre d’Abou Khaled. Bayt Al Ansar se transforma par la suite en «Bayt Qaida Al Jihad» (la maison de la base du djihad), dont Mohamad Bahaya, le nouveau Abou Khaled Al Soury, en prendra la responsabilité de la formation des cadres.

Dans ce centre, Abou Khaled retrouvera son ami d’enfance et son collègue d’At Taliha, Abou Mouss’ab Al Soury.

B- Abou Mouss’ab Al Soury: Le théoricien des «loups solitaires»

Théoricien des «loups solitaires», Moustapha Sit Mariam Al Rifai est né en 1958 à Alep (Nord de la Syrie). Il adhère très jeune à At Taliha Al Mouquatila. Il a narré cette tranche de sa vie dans ses ouvrages relatant sa formation militaire auprès des officiers syriens déserteurs, réfugiés en Jordanie, ainsi qu’auprès des officiers irakiens et égyptiens. Spécialisé dans le maniement des explosifs, la guérilla urbaine et les opérations spéciales, il sera un formateur dans les bases de l’appareil militaire des Frères Musulmans de Syrie, puis dans des bases en Jordanie et des camps d’entraînement en Irak.

Lors de la bataille de Hama, en 1982, il est nommé par le commandement des Frères Musulmans, membre du Haut conseil militaire, sous les ordres directs de Said Hawa, chef de la branche militaire de la confrérie en Syrie, adjoint au responsable du secteur Nord Ouest de la Syrie.

Le massacre de Hama a sapé les fondements de son programme visant à la confrontation directe et frontale avec le régime baasiste: Abou Mouss’ab annonce alose sa scission des FM en signe de protestation contre sa ratification du «Programme d’Alliance Nationale» avec les partis laïcs et communistes ainsi que la section irakienne du Parti Baas. Il se lancera alors dans une 2me phase de sa vie matérialisée par la «réactivation du combat djihadiste au Levant».

Son projet le mène au Pakistan où il fait la connaissance d’Abdallah Azzam, se rallie aux Moujahiddines arabes, entraînant bon nombre de ses cadres au maniement des explosifs et autres opérations militaires, en compagnie de son ami d’enfance Abou Khaled Al Soury.

La conjonction de l’expertise militaire d’Abou Mouss’ab, de son expérience militaire et organisationnelle et de la jurisprudence s’opère sous l’égide d’Abdel Kader Ben Abdel Aziz auteur de deux ouvrages «Al Omda» (Le Decennat) et «Al Jameh» (Le Fédérateur) qui lui ont donné la possibilité de faire part, dans un troisième ouvrage de son «expérience syrienne» et de proclamer dans la foulée son communiqué N° 1 «Appel à la Résistance Islamique Mondiale».

Durant sa période djihadiste, tant au Pakistan qu’en Afghanistan, Abou Mouss’ab a élargi sa connaissance dans le domaine de la jurisprudence en se pénétrant de la pensée d’Abou Taymima et d’Ibn Al Qyam Al Jouzziyeh, ceux de Sayyed Qotb et d’Abdallah Azzam.

Abou Mouss’ab explique les facteurs qui ont influence sa structuration idéologique en ces termes: «En 1990, lors de la première du Golfe, (consécutive à l’invasion du Koweït par l’irakien Saddam Hussein), tout le spectre djihadiste se trouvait à Peshwar, des membres des conseils des tribus aux djihadistes. L’attitude adoptée par les gouvernements arabes, les cheikhs et les peuples à l’égard de cette guerre a fait l’effet d’un séisme de la communauté djihadiste.

Avec l’avènement du Nouvel Ordre Mondial, les thèses des conseils tribaux ont révélé leur faillite, nous conduisant à la nécessité de dégager une nouvelle voie en vue d’affronter le Nouvel Ordre Mondial.

…..«A ce moment là, j’ai rédigé un communiqué qui constituait un «Appel au lancement d’une résistance islamique mondiale», plaçant ce document sous le symbole des trois lieux saints: La Qaaba (la pierre noire de La Mecque), la Mosquée Al Aqsa et la Mosquée de Médine, ployant à des lances ornées de croix et des toiles à six branches, par référence à l’occupation de ces trois lieux saints par les Croisés et les Juifs depuis 50 à 60 ans. Le communiqué faisait ouvertement appel au terrorisme sur les divers points de la planète pour combattre ce Nouvel Ordre Mondial.

Abou Mouss’ab Al Soury a laissé une œuvre fondamentale sur l’expérience djihadiste, dont la partie la plus importante est contenue dans un livre intitulé «Observations sur l’expérience djihadiste en Syrie et les gens du Levant pour faire face aux Noussayrites, aux Croisés et aux Juifs», ainsi que «Appel à la Résistance Islamique» dont l’idée générale s’articule autour de ce point: «Il incombe à toute nouvelle génération de développer sa propre conception pratique du djihad, tirée de sa propre expérience et de la faire évoluer en fonction des expériences précédentes».

….«Les échecs sont coûteux. Mais dans certains cas l’échec peut être profitable pour une victoire prochaine car il fédère l’expérience à expérimentateur, et, pour peu qu’il soit animé de persévérance et de détermination à se maintenir dans la voie, les conditions de la victoire décisive sont alors réunies. Avec la permission de Dieu»…..«Il nous incombe d’abandonner la démocratie qui relève de l’apostasie et de rallier le djihad pour édifier un califat islamique».

La chute du gouvernement pro-soviétique de Najibullah à Kaboul, la tournure prise par la guerre en Afghanistan en règlement de compte entre les seigneurs de la guerre décident Abou Mouss’ab à s’installer à Londres pour collaborer avec «la cellule algérienne de Londres». Ce groupement éditait le bulletin «Al Ansar», une publication de soutien au groupement armé islamique en Algérie.

Abou Mouss’ab faisait la navette entre Londres et Istanbul et avait de cette sorte une claire vision du déroulement de la guerre en Algérie, échangeant ses vues avec Abou Khaled qui partageait pleinement son opinion. Jusqu’au divorce avec ses collègues algériens sur le cours de la guerre.

Abou Khaled, de son côté, avait décidé de retourner en Turquie, en 1992, pour plusieurs mois, avant de s’installer en Espagne où il demeurera deux ans, maintenant le contact avec son ami, partageant pleinement ses vues sur l’Algérie.

Les deux hommes retournent en Afghanistan fin 1997 avec l’arrivée au pouvoir des Talibans. Très proches d’Oussama Ben Laden, l’un d’eux, Abou Khaled, fera office un moment de compagnon et confident du fondateur d’Al Qaida.

Durant son séjour à Londres, Abou Mouss’ab avait noué des contacts avec les médias occidentaux, qu’il mettra à profit pour organiser une interview de Ben Laden avec CNN, fin 1997. Les deux hommes offriront ainsi la possibilité à un condisciple syrien, le journaliste Tayssir Allouni de travailler à Kaboul en tant que journaliste, puis d’obtenir pour CNN et Al Jazira, l’autorisation de travailler en Afghanistan.

En Afghanistan, précisément les deux amis d’enfance Abou Khaled et Abou Mouss’ab reprennent du service procédant à la formation militaire et religieuse des combattants jusqu’à la déclaration de guerre des Etats Unis au régime taliban en octobre 2001, date à laquelle ils se replient au Pakistan. Abou Mouss’ab a été arrêté le 5 Mai 2005 et son ami Abou Khaled cinq mois plus tard, le 3 Octobre 2005, également au Pakistan.

Au Pakistan, l’interrogatoire d’Abou Mouss’ab a surtout porté sur Al Qaida. Début 2006, il est transféré à l’île de Diego Garcia (Océan indien), qui abrite une importante base aéronavale britannique, avant d’être remis aux autorités syriennes. En Syrie, il sera enfermé dans une section des services de renseignements syriens à Damas, d’abord, puis à Alep. Depuis lors, toute trace d’Abou Mouss’ab a disparu.

Abou Khaled, lui, a été directement livré aux autorités syriennes en vertu d’un accord américano-syrien sur la coopération sécuritaire entre les deux pays, connu par le terme de rendition, la sous traitance des prisonniers des Américains par des tiers. Il sera détenu pendant sept ans à la prison militaire de Saydnaya (périphérie de Damas).

En novembre 211, il comparaîtra devant la justice pour répondre du chef d’accusation «appartenance au mouvement Al Qaida». Abou Khaled niera cette charge mais admettra en revanche sa relation avec les Talibans, avec lesquels il avait d’ailleurs combattu les Arabes afghans.

Condamné à 7 ans de prison, une peine qu’il avait déjà purgé en pré-détention, il sera libéré. Une décision coïncidant avec l’amnistie générale décrétée par la présidence syrienne de libérer les salafistes djihadistes prise en Mai 2011. Si sa libération a été annoncée, elle n’a été nullement confirmée.

C – D’ Abou Khaled Al Soury à Abou Omeir Al Chami

Libéré en fait le 17 décembre 2011, Abou Khaled Al Soury prendra immédiatement contact avec le «Groupe de Saydnaya», le groupe le plus apte, selon lui, à mener de pair le combat djihadiste et l’action sociale et législative. Il mettra son expérience au service d’«Ahrar Al Sham», occupant une position charnière à l’intersection d’Al Qaida et d’Ahrar Al Sham.

Via son réseau djihadiste salafiste du Golfe, qu’il avait tissé du temps de la guerre anti-soviétique d’Afghanistan, dans la décennie 1980, il veillera à assurer un soutien financier et médiatique à Ahrar A Sham, en sus de l’attrait qu’il exerçait sur les combattants étrangers.

Parallèlement, il veillera à éviter les heurts entre Da’ech et Jabhat An Nosra. Ayman Al Zawahiri, le chef d’Al Qaida, le chargera même d’une mission de bons offices auprès de Da’ech.

N’ayant pas adhéré à Jabhat An Nosra, la branche syrienne d’Al Qaida, ayant pris ses distances avec Da’ech, il s’appliquera à renforcer Ahrar Al Sham, qu’il rejoindra officiellement fin 2012, en entraînant ses troupes à la périphérie nord d’Alep, où son nouveau nom de guerre a commencé à circuler: Abou Omeir Al Chami, un nom choisi par fidélité à un cheikh salafiste du Qatar, son fidèle soutien durant sa période de détention.

Début 2013, il est nommé «Émir du mouvement islamique Ahrar al Sham pour le secteur d’Alep (Nord de la Syrie), région frontalière de la Turquie.

D – Abou Hassan Al Tabouki ou la filière tchétchène et la connexion turque.

De son vrai nom Iyad Al Shaar, Abou Hassan Al Tabouki est le chef d’Ahrar Al Cham pour le littoral syrien et le secteur de Jisr Al Choughour; un poste stratégique s’il en est du fait que le littoral syrien abrite les bases russes de Banias et Tartous. Et ceci pourrait expliquer cela. L’assaut contre la périphérie nord de Lattaquieh ne s’explique d’ailleurs que par une mise en perspective des opérations qui l’ont procédé à Idlib et Jisr Al Choughour.

Le journal libanais «Al Safir» a été le premier média au Monde à révéler l’implication de combattants tchétchènes à cette opération, révélant même l’identité du chef du commando, Abou Moussa Al Shishani, commandant en chef de la brigade d’Ansar Al Sham (Les partisans du Levant), confirmant du même coup le fait que l’engagement tchétchène dans cette opération a constitué la colonne vertébrale de cette bataille.

D’autres chefs militaires tchétchènes se sont engagés dans la bataille du littoral syrien, notamment Mouslem Al Sishani (Abou Walid), chef du groupement «Jounoud Al Sham» (Soldats du Levant), ainsi que son adjoint Abou Fouras Al Shishani, les trois superviseurs de l’assaut contre le poste d’observation 45.

Le trait commun à ces opérations est le fait que le commandement militaire était tchétchène, des combattants hostiles à la Russie. L’autre point commun est la connexion avec les services de renseignements turcs du commandement militaire tchétchène, liés les uns et les autres de longue date par des intérêts communs.

Mouslem et Abou Moussa Al Shishani ont participé à de nombreuses opérations contre les forces russes dans la décennie 1990, dont la plus célèbre est l’opération «Khairallah» (le bienfait de Dieu).

Le chef militaire d’Ahrar Al Sham pour le secteur de Lattaquieh, Abou Hassan Al Tabouki (qui est syrien et non saoudien comme son nom de guerre pourrait le suggérer), vétéran du djihadisme afghan, a été l’un des commandants de l’assaut contre Kassab, en 2014, et contre Jisr Al Choughour, en 2015.

Ayant émigré en 1978, à l’âge de 11 ans, de Jisr Al Choughour vers l’Arabie saoudite, en compagnie de sa famille, où son père était en poste à Tabouk, Iyad al Chaar, alias Abou Hassan Al Tabouki, s’est très tôt imprégné de l’idéologie salafiste wahhabite. C’est l’un des arabes afghans ayant combattu dans les rangs d’Al Qaida, en compagnie de son frère Yasser. Il reviendra à Jisr Al Choughour après 37 ans d’absence sous la bannière de «Jaych Al Fateh» (l’armée de la conquête), un détachement d’Ahrar Al Sham.

Animé d’un fort sentiment anti-russe, Abou Hassan Al Tabouki est le frère de Yasser Al Soury, de son vrai nom Yasser Al Chaar, le seul arabe à avoir participé à un poste de commandement à l’opération terroriste contre le théâtre Dubrivka, à Moscou, le 23 octobre 2002. Des informations font état du fait qu’il était un des maîtres d’œuvre de cette opération et non un simple exécutant. A la tête du commando se trouvait Mosvar Baraiev, neveu d’un chef de guerre tchétchène tué par les forces russes.

Au début du soulèvement en Syrie, Abou Hassan est retourné en Syrie et adhéré à Ahrar Al Sham, à la demande de son groupement en raison de la forte similitude entre Al Qaida et Ahrar al Sham, tant par leur idéologie, que par leur comportement voire même que de la qualité de leur commandement respectif.

Parmi les chefs militaires d’Ahrar Al Sham figurent en effet des chefs réputés pour leur expérience à l’instar d’Abou Khaled Al Soury, Abou Mariam Al Falastini et Abou Mohammad Al Faransi, tous précédemment en rapport avec Al Qaida et le djihad afghan.

Des relations étroites existent entre Ahrar Al Sham et les services de renseignements turcs, qui trouvent leur prolongement dans la présence au sein d’Ahrar Al Sham d’Abou Hassan Al Tabouki et de son frère Yasser Al Soury, de même qu’Ayman Abou Toute. De son vrai nom Abou Abbas Al Chami, Aymane Abou Toute exerçait les fonctions de «Mufti général» du groupement jusqu’à sa mort, l’an dernier.

E – Abou Abbas Al Chami alias Ayman Abou Toute : Le résident de Turquie

Ayman Abou Toute a résidé plusieurs années en Turquie, au su su et au vu des services de renseignements turcs qui ont fermé l’œil sur ses contacts avec des organisations terroristes avant son arrestation par les autorités syriennes et son incarcération à la prison de Saydnaya, puis sa libération en Mai 2011 à la faveur de l’amnistie présidentielle. L’assaut contre le théâtre Dubrivka, le 23 octobre 2002, a été mené par un commando de 50 membres tchétchènes parmi lesquels Yasser Al Shaar, alias Yasser Al Soury, le propre frère d’Abou Hassan Al Tabouki.

Au terme de dix jours de siège, l’assaut donné par les Russes a provoqué la mort de 39 assaillants tchétchènes, parmi lesquels Yasser Al Soury et 129 otages.

ReneNaba
René Naba | Journaliste, Ecrivain, En partenariat avec https;//www.Madaniya.info Français d’origine libanaise, jouissant d’une double culture franco arabe, natif d’Afrique, juriste de formation et journaliste de profession ayant opéré pendant 40 ans au Moyen Orient, en Afrique du Nord et en Europe, l’auteur dont l’expérience internationale s’articule sur trois continents (Afrique Europe Asie) a été la première personne d’origine arabe à exercer, bien avant la diversité, des responsabilités journalistiques sur le Monde arabo-musulman au sein d’une grande entreprise de presse française de dimension mondiale.

Un commentaire?