Les débats houleux du 25 avril 2025 autour de la réforme du système électoral municipal à Beyrouth ont mis en lumière les profondes tensions communautaires qui traversent les institutions libanaises. En arrière-plan de ces discussions, se dessinent des enjeux cruciaux liés à la gouvernance locale, à la cohabitation confessionnelle, et à l’avenir du modèle politique libanais.
Une réforme explosive au Parlement
Le Parlement libanais s’est réuni pour examiner plusieurs projets de lois dont celui concernant la réforme du système électoral à Beyrouth. Cette proposition, qui visait à instaurer une parité confessionnelle stricte dans la composition des listes électorales, a ravivé de vieilles tensions. Selon Ad Diyar (25 avril 2025), les députés chrétiens ont proposé un système verrouillant les listes selon des quotas religieux, en échange d’un abandon de certaines prérogatives du gouverneur. En face, les députés sunnites ont rejeté ce troc, estimant que cela renforcerait l’ancrage communautaire au détriment de l’unité administrative de la capitale.
Le président du Parlement, Nabih Berri, a interrompu les débats, dénonçant une tentative de passage en force sur une question à forte charge identitaire. Selon Al Joumhouriyat (25 avril 2025), il a décidé de renvoyer la proposition à la commission parlementaire compétente, tout en affirmant que les élections auront lieu à la date prévue. Cette décision, bien que saluée comme un apaisement, révèle une réalité inquiétante : même les structures locales sont désormais instrumentalisées par des logiques confessionnelles.
Beyrouth, miroir d’un Liban fragmenté
Le cas de Beyrouth est emblématique de la crise identitaire libanaise. Capitale politique et économique, elle incarne aussi un espace symbolique où se projette le modèle du vivre-ensemble. Pourtant, les luttes actuelles pour redéfinir son mode de gouvernance révèlent une fragmentation avancée. Le principe de « mounasafa », ou parité confessionnelle, est présenté par certains députés comme une garantie d’équilibre, mais dénoncé par d’autres comme une camisole renforçant les appartenances communautaires.
Dans Nahar (25 avril 2025), plusieurs observateurs politiques notent que les députés beyrouthins ont mobilisé les réseaux sociaux pour rallier leur base communautaire. Des campagnes ciblées ont été organisées pour soutenir des positions confessionnelles spécifiques, ce qui démontre que même les outils modernes de communication sont mis au service de stratégies identitaires. La capitale se transforme alors en terrain de guerre symbolique où chaque communauté cherche à s’assurer une représentation perçue comme exclusive.
Gouvernance locale : entre blocage et paralysie
L’impasse autour de la réforme électorale n’est pas qu’une question de représentativité. Elle soulève aussi le problème plus large de la gouvernance locale au Liban. Dans un pays centralisé, les municipalités disposent de pouvoirs limités, mais elles sont devenues des relais essentiels pour la prestation des services publics dans un État en crise.
Dans ce contexte, la réforme de la loi électorale municipale aurait pu être l’occasion d’un débat sur l’amélioration de l’efficacité locale. Au lieu de cela, elle a viré à l’affrontement confessionnel. Les propositions de modifier la répartition des prérogatives du gouverneur, ou de réorganiser les instances locales, ont été immédiatement interprétées à travers le prisme de l’équilibre religieux. Ainsi, tout changement est vécu comme une perte ou un gain confessionnel, ce qui paralyse toute dynamique réformatrice.
Plusieurs journaux, dont Al Akhbar (25 avril 2025), soulignent que le véritable enjeu n’est pas la réforme technique, mais l’incapacité du système à se détacher de son ossature confessionnelle. Chaque tentative de modernisation ou de rationalisation de l’administration est bloquée par les réflexes communautaires, faisant de la gestion municipale un théâtre secondaire des affrontements politiques nationaux.
La confessionnalisation : héritage ou verrou ?
Le débat actuel à Beyrouth s’inscrit dans une histoire longue. Depuis l’indépendance, le Liban a fonctionné selon un système de quotas confessionnels censé garantir la coexistence des différentes composantes de la société. Mais ce système, qui a pu jouer un rôle stabilisateur à certains moments, est aujourd’hui dénoncé comme un obstacle majeur à la citoyenneté.
Dans le cadre des élections municipales, cette logique produit des effets pervers. Au lieu de favoriser la compétition autour de projets urbains, de politiques locales ou de programmes de développement, elle réduit les campagnes électorales à une comptabilité confessionnelle. La conséquence en est un affaiblissement de l’intérêt général, une méfiance mutuelle entre groupes, et une politisation exacerbée des services de base.
Le débat sur Beyrouth est aussi révélateur de la difficulté du Liban à réformer ses institutions dans un sens véritablement républicain. Les revendications communautaires, en apparence contradictoires, expriment en réalité une même crainte : celle d’être exclu d’un système où l’identité prime sur la compétence ou l’appartenance citoyenne.
Une crise du modèle institutionnel
Au-delà de la seule élection municipale, la séquence politique de ce mois d’avril 2025 confirme l’épuisement d’un modèle. Dans les faits, la cohabitation confessionnelle n’est plus perçue comme un projet collectif mais comme une série de rapports de force successifs, où chacun cherche à préserver son pré carré. Ce diagnostic est partagé par plusieurs éditorialistes qui, dans les colonnes d’Al Joumhouriyat, pointent la logique de “représentation exclusive” comme le principal frein à toute réforme.
Cette crise du modèle ne se limite pas au cadre municipal. Elle traverse l’ensemble des institutions : Parlement, gouvernement, magistrature, et même les services publics. Chaque réforme, même minime, est soumise à un examen identitaire. Cela conduit à des blocages chroniques, à l’inefficacité administrative, et à une désaffection croissante de la population vis-à-vis des institutions.
La remise en cause de cette architecture confessionnelle est pourtant difficile. Aucun groupe politique majeur ne propose aujourd’hui une refondation du système. Les appels à une citoyenneté inclusive, à une démocratie représentative détachée des appartenances religieuses, restent marginaux dans le débat public.
Perspectives : vers quel scénario ?
La situation actuelle ouvre plusieurs perspectives. La première, pessimiste, est celle d’un enfoncement dans la logique de paralysie confessionnelle, avec des élections transformées en batailles communautaires sans programme ni projet de ville. Ce scénario est le plus probable à court terme, au vu des postures adoptées par les différents blocs parlementaires.
La deuxième, plus optimiste mais moins vraisemblable, serait une sortie du blocage à travers un compromis sur des mécanismes de représentation équilibrée mais non figés, permettant l’émergence de projets transversaux à l’échelle municipale. Cela supposerait un minimum de volonté politique, ainsi qu’une pression citoyenne suffisante pour remettre l’intérêt général au centre du jeu.
Enfin, un troisième scénario, intermédiaire, serait celui d’une réforme technique adoptée sans réelle remise en cause du cadre confessionnel, avec un retour à la routine politique libanaise, faite de compromis flous et de gestions temporaires.
Ce qui est certain, c’est que le débat sur Beyrouth dépasse largement la question municipale. Il illustre une fois de plus l’incapacité du système libanais à dépasser ses réflexes identitaires, et à penser une gouvernance fondée sur la compétence, l’universalité et l’inclusion.