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Réforme du secret bancaire : un texte voté, mais quelle mise en œuvre ?

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Le 24 avril 2025, le Parlement libanais a adopté à la majorité la réforme tant attendue sur la levée du secret bancaire. Présentée comme une étape majeure vers la transparence financière et la restauration de la confiance des bailleurs internationaux, cette mesure a suscité des commentaires largement relayés dans les journaux du 25 avril. Derrière l’apparente unanimité parlementaire, se pose désormais une question cruciale : le Liban est-il en mesure de mettre en œuvre cette réforme dans un cadre institutionnel marqué par l’inefficacité chronique ?

Un texte voté dans un moment stratégique

La réforme a été votée alors que la délégation officielle libanaise se trouvait à Washington pour participer aux réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Selon Al Joumhouriyat (25 avril 2025), ce timing a été perçu comme une manœuvre diplomatique destinée à fournir une « carte positive » aux représentants du Liban dans les discussions avec les institutions financières. Le journal souligne que cette réforme constitue « la première étape sérieuse » du programme de réformes exigé par les partenaires internationaux depuis le début de la crise financière en 2019.

Pour les observateurs, l’adoption de ce texte pourrait contribuer à combler ce que la presse appelle « les brèches dans la crédibilité de l’État », érodée par des années de gestion clientéliste et d’inaction structurelle. C’est en ce sens que plusieurs éditorialistes considèrent cette réforme comme un jalon plus politique que technique : une tentative de restaurer l’image d’un État réformateur, au moment où il en a le plus besoin.

Une loi au contenu renforcé mais aux contours flous

Le texte voté par le Parlement comprend, selon Al Bina’ (25 avril 2025), des dispositions permettant désormais l’accès aux comptes bancaires de toute personne soupçonnée d’enrichissement illégal ou de blanchiment d’argent. Les institutions de contrôle, judiciaires comme administratives, seront théoriquement habilitées à exiger la levée du secret bancaire sur des personnes physiques ou morales. Parmi les cibles possibles : les responsables ayant bénéficié de la politique des « ingénieries financières », les bénéficiaires opaques de subventions, ou encore les auteurs présumés de fuite de capitaux massives postérieures à l’effondrement monétaire de 2019.

Cependant, la presse souligne que plusieurs articles du texte ont été adoptés avec réserves ou renvoyés à des mécanismes réglementaires ultérieurs. Le diable étant dans les détails, des points cruciaux comme la définition du « soupçon raisonnable », l’identification de l’autorité compétente ou encore les délais de réponse des banques restent peu encadrés. Cela ouvre la voie à des interprétations contradictoires qui pourraient, à terme, bloquer ou diluer l’effet de la réforme.

Al Sharq (25 avril 2025) rapporte que le président de la République, Joseph Aoun, a signé la loi dans la soirée et l’a transmise pour publication immédiate. Cette réactivité présidentielle tranche avec la lenteur habituelle des procédures, mais elle pourrait aussi être purement symbolique si les mécanismes d’application ne suivent pas.

L’expérience des lois inappliquées

Au Liban, la publication d’une loi n’est que la première étape. Dans les colonnes d’Al Akhbar (25 avril 2025), plusieurs commentateurs mettent en garde contre un écueil bien connu : celui des lois adoptées, promulguées, mais jamais appliquées. Le pays regorge de textes de loi dont l’exécution est suspendue à l’absence de décrets d’application, de volonté politique ou d’organe de contrôle effectif.

Dans le cas du secret bancaire, les risques sont encore plus élevés. La réforme touche directement les intérêts d’une élite politico-financière solidement implantée, et son application pourrait susciter des blocages institutionnels ou des recours devant le Conseil constitutionnel. La même source rappelle que plusieurs lois anticorruption votées depuis 2017 n’ont jamais été suivies d’effets tangibles, faute de structures indépendantes ou de coopération interinstitutionnelle.

D’autant que, comme le souligne Al Joumhouriyat, les institutions bancaires libanaises ont jusqu’ici montré une réticence prononcée à collaborer avec les autorités judiciaires, même dans les cas les plus flagrants de malversation. Il est donc à craindre que la réforme reste théorique en l’absence de pressions continues, internes comme externes.

Les conditions d’une mise en œuvre réelle

Pour que la réforme du secret bancaire produise un impact réel, plusieurs conditions doivent être réunies. Tout d’abord, il faut une autorité administrative ou judiciaire suffisamment indépendante pour lancer des procédures d’accès aux comptes bancaires sans subir de pressions politiques. Ensuite, les institutions bancaires elles-mêmes doivent être tenues de coopérer sous peine de sanctions significatives. Enfin, les informations obtenues doivent pouvoir être exploitées dans un cadre judiciaire crédible.

Selon Ad Diyar (25 avril 2025), certains députés plaident déjà pour un renforcement des mécanismes de suivi. Des propositions circulent en faveur de la création d’une commission spéciale indépendante, chargée de contrôler l’exécution de la loi. Mais là encore, le précédent d’autres commissions parlementaires illustre les limites d’un tel modèle dans un système où l’indépendance est souvent compromise.

À cela s’ajoute la nécessité d’un appui international. La communauté internationale, notamment le FMI, pourrait exiger que l’application de cette loi soit un préalable à toute aide financière directe. Mais cette condition, si elle n’est pas accompagnée d’un suivi technique et de garanties, pourrait être contournée comme cela a été le cas pour d’autres engagements pris par le Liban dans le passé.

Vers un changement de culture financière ?

Malgré les incertitudes, la réforme adoptée pourrait marquer un tournant si elle est suivie d’actes concrets. Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de la culture financière libanaise, attractif pour certains investisseurs mais aussi opaque et propice aux abus. En brisant ce tabou, même partiellement, le Parlement ouvre une brèche dans un système largement imperméable à la reddition des comptes.

Reste à savoir si cette brèche sera exploitée pour instaurer une culture de transparence, ou refermée sous la pression de ceux qui ont intérêt à maintenir l’opacité. La réponse dépendra en grande partie de la société civile, des juges, des médias, mais aussi de la persistance des bailleurs de fonds à conditionner leur soutien à des réformes effectives.

Ce vote est une victoire en surface, mais la bataille réelle commence maintenant : celle de la traduction législative en action publique.

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Newsdesk Libnanews
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