Les générations, les conventions et les lieux se bousculent toujours. Le street art a gagné en notoriété et en exposition médiatique. Il a même rejoint les cimaises des galeries d’art et des musées. C’est dans la rue, sur les murs et les rames de métro que les artistes phares d’aujourd’hui se sont hier fait la main. Pourtant, ces graffeurs expérimentent et explorent encore et encore… New York, Berlin, Londres, Paris, le Caire, Beyrouth… Des musées à ciel ouverts… Des bandes de jeunes  graffeurs se sont imposées sur la scène urbaine dans le monde entier.

Le graffiti est le nom générique donné aux dessins ou inscriptions calligraphiées, peintes ou tracées de diverses manières sur un support qui n’est pas prévu pour cela. Historiquement, Les graffitis existent depuis des époques reculées, dont certains exemples remontent à la Grèce antique ainsi qu’à l’Empire romain et peut aller de simples marques de griffures à des peintures de murs élaborées. Il  était souvent associé à la politique et constituait un moyen populaire de s’adresser à l’autorité. Ces caractéristiques formelles et cet aspect séditieux ont inspiré les artistes modernes de l’époque : George Grosz, Pablo Picasso, Joan Miró, Jean Dubuffet, etc.

Les graffitis modernes sont nés à la fin des années 1960 aux États-Unis et le phénomène est arrivé en France au milieu des années 1980. Depuis sa naissance dans le Bronx dans les années 1970 aux Etats-Unis, plus précisément à New York dans le ghetto du Bronx ; un territoire stigmatisé par la précarité des populations majoritairement habité par les minorités ethniques Afro et Latino-Américaines, un mouvement est émergé. Pour comprendre cette émergence, il faut remonter dans l’histoire des noirs américains aux USA, notamment durant la période de la ségrégation raciale légale fondée sur la couleur de la peau, et la séparation des populations blanches des noires. Il faut attendre 1964, d’innombrables mouvements de protestation et d’autres plus offensifs, pour mettre fin à ces lois ségrégationnistes, avec la proclamation du Civil Right en 1965. Or, même proclamée, la législation de déségrégation tarde à se mettre en place. Le changement des mentalités contre le racisme n’aboutit pas et le quotidien des Noirs et des minorités ethniques ne s’améliore pas, d’où la naissance du communautarisme et les ghettos des populations happées par le chômage et la précarité.

C’est dans ce contexte sociopolitique qu’est né le mouvement hip-hop, avec une réelle effervescence artistique : musique, danse, graphisme. Des fêtes des rues, des blocks party gagnent en popularité. Des artistes sont de plus en plus nombreux à s’immiscer au cœur des villes pour engendrer des œuvres qui adhèrent au tissu urbain ; la nouvelle génération du quartier s’accroche à ce nouveau genre musical et s’initie aux techniques du djing. Des danses s’improvisent sur ces rythmes à fur et à mesure dans les rues : les B.Boys ou les Breakers-Boys sont les premiers danseurs dont les chorégraphies au style acrobatique, se mélangent subtilement avec les danses traditionnelles africaines et sud-américaines. En parallèle, sur les murs de New York apparaissent les premiers tags qui prennent une ampleur considérable, notamment suite à la publication d’un article dans le New York Times en 1971[1], évoquant ce phénomène émergeant à travers le portrait d’un jeune homme (Démétrios) d’origine grecque dénommé Taki inscrivant son tag partout. Avec le succès du Scratch dans les blocks party. Contrairement à d’autres Djs qui animent les fêtes musicalement par des onomatopées, le DjGrandmaster Flash va initier les jeunes à écrire des paroles sur son Scratch[2]. Ces onomatopées disparaissent progressivement pour donner naissance à un discours poétique et rythmé, « mi-parlé mi-chanté, des textes élaborés, rimés et rythmés ».

A partir des années 1970, le graffiti prend des formes diverses. De nombreux caractères et styles existent mais il s’agit d’un phénomène qui dans son ensemble a rapidement évolué vers une forme reconnue comme artistique. Nous distinguerons donc plusieurs sens selon qu’il s’agisse de « graffiti writing » ou de « street art », en nous concentrant sur les activités de l’art urbain français qui présentent un esprit rebelle et novateur, lié à l’art des avant-gardes ou à la tradition critique de la pensée française. Le graffiti writing est l’expression d’une esthétique urbaine de masse aux États-Unis. Ce mot est un terme générique désignant deux activités complémentaires, le tag (qui est un mode de signature) et le graff (appelée aussi le Throw up et « la pièce »).

En France, le rap a été relayé par la jeunesse issue des immigrations maghrébines dans les banlieues populaires happées par le chômage et la pauvreté, et assimilées à des zones de non-droit de banditisme. Dans ce climat d’insécurité, certains jeunes choisissent de créer des bandes contre le racisme et la xénophobie. D’autres choisissent de s’engager dans des associations luttant contre le racisme. C’est dans ce contexte qu’est apparue la culture hip-hop en France.

En premier temps, l’émergence de cette culture correspond au milieu des années quatre–vingt dans le cadre de l’urbanité et les mass media aussi. La deuxième période correspond à l’essoufflement de cette culture dans les mass media, mais on assiste parallèlement à sa survivance ou revival dans l’underground jusque dans les années quatre-vingt-dix. La dernière période se caractérise surtout par sa gestion politique et par son retour dans les mass media et son revival dans l’underground. Le hip-hop est donc un mouvement à la fois culturel et artistique, mais ses motivations universalistes en font aussi un mouvement politique au sens strict : « il existe une forme de revendication de l’auto-construction, de résistance au système ».[3] Le message politique se situe à travers la revendication d’une visibilité dans l’espace public.

Figure 2 : El Seed
Figure 2 : El Seed

Ces writers se font connaître en apposant leur signature et sont communément organisés en collectifs. Ils pratiquent sur les murs, dans le métro ou encore sur les camions. Certains galeristes considèrent le graffiti writing comme une forme d’art qui mérite d’être exposée dans des galeries tandis que d’autres ne le perçoivent pas ainsi. Et le graffiti writing est devenu une nouvelle forme d’expression sur les murs et les trains. Il s’agit d’un mouvement artistique lancé et alimenté avant tout par les jeunes qui montrent un vocabulaire visuel spécifique, une signature, qui s’est développée et qui continue de fleurir illégalement.

De nombreuses œuvres plastiques sont nées d’une réflexion théorique et pratique influencée par les questions politiques et sociales. Hormis des différences dans les procédés utilisés, elles sont fédérées par un esprit de rébellion et de contestation. A travers l’examen des rapports entre l’art et la culture populaire, le street art et les phénomènes sociocritiques dans la société de consommation, Notre intention montrent que les artistes modernes ont découvert la valeur artistique des graffitis et de certaines expressions anonymes inscrites sur les murs avec un caractère intellectuel.

Figure 3 : El Seed
Figure 3 : El Seed

Outre le fait que le street art questionne de la sorte les frontières et les fonctions muséales, ces manifestations ou artefacts peuvent servir à une réflexion sur les stratégies élaborées par les artistes pour s’approprier le territoire urbain (en le marquant, en le signant ou en le « marchant ») et permet, plus largement, de s’interroger sur ce que signifie « habiter » la ville. Se livrant à un corps à corps avec la cité, prêtant l’oreille à ses maux et ses non-dits, les plasticiens urbains s’attachent finalement à dévoiler différents aspects de cet organisme complexe et fascinant. Une ville peut, en effet, se définir par ses habitants, son architecture, sa lumière, ses brouhahas et les histoires qui s’y trament.

Figure 4 : Yazan
Figure 4 : Yazan

Tags et graffitis sont portés par les plus courageux dans des contrées peu enclines à tolérer ce genre d’expression dans leur espace public. Dans les pays du Moyen-Orient, comme nous sommes face à une réalité complexe, les médias nous dépeignent souvent une société majoritairement renfermée. Cette image, qui pourrait relever d’une représentation tardive du Moyen-Orient par l’Occident est empreinte de problématiques d’ordre économique et sociétal.

Une réflexion s’impose dans le monde arabe en jumelant la culture arabe avec l’influence occidentale. Comment mélanger un fond culturel traditionnel avec une influence plus occidentale qu’est la culture hip-hop ? La calligraphie arabe est certes un art qui inspire les jeunes artistes autant que le graffiti contemporain. Le défi pour ces jeunes créateurs est donc de fusionner leurs diverses influences qui vont de la science-fiction aux cartoons, en passant par l’écriture arabe ou tout simplement les observations du quotidien. Nous pouvons citer El-Seed, Yazan,  Exist, Moe, Barok, Eps et Uncle Fish. Bien que la pratique de taguer à Beyrouth soit un acte illégal et qu’elle soit bien visible régulièrement dans la ville, des artistes comme Meuh, artiste français installé au Liban,  ne s’est jamais inquiété de finir en prison.

Nous pouvons aussi mentionner la chanteuse Tania Saleh qui utilise le graffiti comme moyen d’expression pour dénoncer le communautarisme, le confessionnalisme et la violence à travers ses tags, bien visibles dans son dernier album Intersection.

Pour conclure cette partie, le street art est devenu une culture universelle. Aux quatre coins de la planète, l’histoire des jeunesses et de leurs contestations se construit autour de ce mouvement. Du Bronx à Paris et sa banlieue, jusqu’aux rues arabes des printemps révolutionnaires, cette frange de la culture autrefois minoritaire a accompagné et accompagne encore la jeunesse aujourd’hui à travers le monde entier. Le graffiti demeure une esthétique, un mode de vie en perpétuelle évolution ; une transformation continue appuyée à une forme d’art qui a choisi de s’exprimer à travers le corps humain, sur les murs des villes du monde par un son novateur.


[1] The New York Times, 21/07/1971, Taki 183 Spawns Pen pals

[2] Le « scratch » ou le « scratching » consiste à faire bouger un disque vinyle à la main sur une platine. Le mouvement se fait d’avant en arrière. C’est ce mouvement qui produit le son scratch.

[3] BOUCHER Manuel, Rap, expression des lascars, L’Harmattan, 1999. P 53-54

Haytham DAEZLY
Haytham Daezly, originaire de Tripoli-Liban, vit et travaille à Paris. Il est Docteur en Sciences de l'information et de la communication, directeur artistique en publicité, artiste visuel et actuellement médiateur culturel à Paris. Il est l'auteur de : « L’essor de la culture virtuelle au Liban, entre effervescence numérique et instabilité politique : réseaux sociaux, musique en ligne et sites institutionnels ». Mots-clés : #art #culture #médiation #numérique #TIC #Liban Pour avoir une ample idée sur son parcours professionnel et artistique, vous pouvez consulter ses pages en ligne : Lien thèse : http://theses.fr/2016LIMO0062 Lien blog : http://haythamdaezly.tumblr.com/

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