Mon inlassable souci de vous convaincre !

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Lettre ouverte à tous nos responsables hommes politiques libanais.
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président de la Chambre des députés,
Monsieur le Ministre des Droits de la femme,
Messieurs les députés,
Messieurs les Présidents des partis politiques,
Messieurs les Juges,

Vous, qui en vos noms et signatures nos lois sont écrites, je m’adresse, à vous publiquement.
Où que vous soyez dans vos bureaux ou dans vos tours d’argent, par vos fonctions, vous détenez les droits qui font de la femme au pays du Cèdre est ce qu’elle est aujourd’hui !

Mon inlassable souci de vous convaincre est mon vœux précieux pour 2017, un rappel à vos devoirs de citoyens sur les principes d’égalité, de parité et de mixité entre toutes les personnes qui détiennent ce droit de citoyenneté. Mon souci de femme c’est bien vous Messieurs. Vous êtes au cœur de mes préoccupations quotidiennes car vous détenez en vos mains et plumes les décisions qui changeront votre façon de nous penser « femme ».
Sans vous connaître ou vous citer un par un, vous faites partie de cette élite qui prend en main les décisions et qui confisquent, par l’autre main, les droits fondamentaux qui nous reviennent de fait en tant que femmes citoyennes à part égale au même titre que vous. Machisme ou amateurisme, possession ou peur de libération, vous avez fait du sexe opposé, une catégorie inférieure à la vôtre…

Votre quotidien, votre vie personnelle, familiale et affective, votre stabilité et votre bien-être, votre procréation, votre succession…, tout repose sur cette gente féminine, ce sexe opposé dont les droits sont réduits, amputés, voire oubliés : vos épouses, sur qui repose le foyer, vos mères de qui vous détenez l’éducation et la reconnaissance d’être au monde. De votre succès, une grande part revient à ces femmes qui vous ont entourées, élevées, soutenues et qui assument en votre absence le plus gros des efforts et des responsabilités. Vous poussant toujours en avant, elles sont le socle de votre vie. Ces femmes qui font partie intégrante de votre stabilité, de votre bien être et paraître et de votre avenir… Qu’elles soient mères, épouses, sœurs, amantes ou confidentes, vous puisez d’elles une stabilité psychique et physique qui vous rend fiers et glorieux.

Je m’adresse à vous hommes politiques et à ceux qui ont connu l’amour et le partage avec des femmes, que ce soit un partage de vie commune ou un partage de vie affective, émotionnelle ou autres, et je suppose que vous êtes nombreux ayant connu l’expérience de l’amour et de la complémentarité affective et sensuelle quand on est « deux ». Ainsi sont nés vos couples et vos satisfactions de désir, d’affection et de défoulement ; que vous soyez enfants, amants, époux ou pères, vous avez fondé vos familles, bâti vos vies sur un équilibre indispensable pour votre avancée de carrière, notamment en politique, lui laissant toute la responsabilité d’assumer, durant vos longues heures d’absence, la gestion du foyer, l’éducation de vos enfants dont vous êtes tous confiants aujourd’hui…

Qu’ont-elles eu en échange ? Certes, vous me diriez qu’elles sont bien chez elles, entourées, entretenues, servies,respectées et choyées ou sur un piédestal, avec les moyens financiers qui vont avec cette vie d’homme politique. Mais au delà des apparences matérielles, la femme citoyenne égale à l’homme existe-t-elle réellement dans votre vie ? Quid des autres femmes de la société civile, la femme libanaise lambda, la simple citoyenne, la discrète, l’inconnue, l’active, la mère au foyer… ?

Qu’avez-vous accompli pour toutes ces femmes, au niveau de leurs droits civiques, en dehors du cercle fermé de la vie commune ou partagée ? Ces femmes qui constituent votre moitié au niveau national, tout comme au niveau familiale et personnel ? Ces femmes libanaises dont d’autres hommes vous jalousent pour leur beauté, au physique méditerranéen à cheval entre Orient et Occident. Qualifiées de charmantes par la gente masculine, ces femmes libanaises ne cessent d’émerveiller, de provoquer ou d’émouvoir. Ces femmes sophistiquées, instruites à la tête bien pensante… J’insiste et je distingue entre liberté personnelle et droit commun pour lequel elles se battent au quotidien. Quand est-ce qu’elles auront enfin leurs droits ? Quand seraient-elles protégées ? Quelles mesures efficaces devriez-vous prendre afin de lui garantir ses droits fondamentaux en tant que citoyenne égale à part entière ?

Si l’on faisait un zoom ensemble sur le quotidien de ces femmes qui partagent vos vies et celles qui font parties de la société civile qui représentent plus de 56% de la population libanaise, vous serez peut-être surpris de les voir partout sur le terrain si actives et polyvalentes, expérimentées et douées par le geste et le réflexe, vous reflétant le miroir face à vos carences, abstinences ou votre courage de changer réellement les choses, reconnaissant sa part équivalente dans le partage du pouvoir tout comme elle partage avec vous son savoir au quotidien. Qui sait ? Peut-être parmi vous quelques-uns sentiraient l’urgence dans les solutions à apporter à notre société où le mâle est en mal-être.

En dehors du « Tais-toi et sois belle », un aperçu rapide sur quelques détails serait nécessaire pour une prise de conscience effective loin de tout cliché médiatique. Plutôt que parler des droits de la femme, on parle d’elle de plus en plus en matière de discrimination.

Pourquoi le pourcentage de la femme active en politique est-il aussi faible, voire dérisoire ? Est-ce à cause de la mentalité de nos hommes libanais qui pensent que le rôle unique de la femme est de se marier, d’élever les enfants et donc de rester au foyer ? Pourtant plusieurs sont actives et ont déjà prouvé leurs compétences. Serait-il parce qu’elles sont moins qualifiées que les hommes, un préjugé ? Pourtant elles ont accès à l’éducation tout comme vous, les hommes, à part égal ; c’est la spécificité de notre culture et notre éducation au pays du Vivre-ensemble.

Messieurs,
Si les femmes salariées de nos jours se dirigent vers des carrières moins payantes et des postes subalternes, ou elles acceptent parfois de travailler pour des salaires plus faibles pour concilier entre ses responsabilités familiales et ses responsabilités envers son travail, si le chef d’entreprise, préfère parfois ne pas accorder des postes importants aux femmes surtout si elles sont mères de famille craignant leurs engagements et leur disponibilité à cause de leurs responsabilités familiales et si dans la société libanaise, la mentalité joue un rôle prédominant car une fois la femme mariée, son époux, dans certains cas, lui demande d’arrêter son travail et de se consacrer à sa famille… Cela ne devrait pas faire d’elle ni un bouc-émissaire d’une société où la virilité et le machisme sont synonymes d’égoïsme, ni une citoyenne amputée de ses droits et c’est sur vous qu’incombe cette conscience et cette vigilance.

Alors que c’est en 1953 que le droit de vote lui a été accordée, ce n’est qu’en 2004 qu’une femme a été nommée pour la première fois ministre. Depuis, sept femmes ont pris en charge des portefeuilles ministériels. Aujourd’hui, malgré la promesse de quota de 30%, l’égalité entre les sexes est passée à nouveau de travers ; le nouveau cabinet ministériel ne compte qu’une seule femme sur 30 ministres (3,3%) ; un nouveau ministère d’Etat aux droits de la femme vient de voir le jour, à sa tête un homme ministre dont j’espère qu’il lira mon billet, et au Parlement, seulement quatre députées sur 128 (4,7%), la plupart sont les veuves ou les sœurs d’hommes politiques assassinées.

Ne pensez-vous pas que la femme libanaise serait capable de briller en politique voire même être plus performante que l’homme ?

D’autre part, dans la majorité des pays, la femme tout comme l’homme possède les mêmes droits. Plusieurs pays arabes ont revu largement leur façon de revoir la question de ses droits et notamment celle de sa transmission de la nationalité au mari étranger et enfants nés de ce mariage mixte, et nous libanaises ? Un exemple parmi tant d’autres, qui me tient à cœur.

Le Liban est loin de briller dans cette question. Où se pose donc le problème chez vous hommes politiques du Liban ? Je cherche toujours à trouver une explication logique et légale à cette privation d’un droit qui lui revient de fait. Mais pourquoi cette question devrait encore être posée de nos jours ? Pourquoi cette discrimination dans les lois et les pratiques ?

La Déclaration des droits de l’homme, dans son article n°15, affirme que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». La Constitution libanaise stipule que « tous les citoyens libanais sont égaux devant la loi et jouissent des mêmes droits civils et politiques ». Un droit qui devrait aussi revenir aux femmes mariées à des hommes étrangers. L’égalité des sexes entre citoyens libanais serait-elle imaginaire ? Est-ce un crime d’épouser un étranger ? Existe-t-il une loi qui l’affiche franchement ? Non, par contre, il s’agit plus d’une condamnation, une privation à vie, une exclusion, un châtiment, croirait-on…
« Une personne est considérée comme libanaise si elle est née de père libanais …». La mère libanaise, quant à elle, ne transmet pas sa nationalité à ses enfants qu’en cas de naissance illégitime, selon la loi n°15 de 1925 : « une mère libanaise peut transmettre sa nationalité à son enfant si celui-ci est né d’une relation hors mariage et de père inconnu ». Par contre, le libanais, non seulement il donne sa nationalité à son épouse étrangère mais aussi aux enfants de cette épouse nés d’un précédent mariage : « une femme étrangère mère d’enfants mineurs nés d’un premier mariage avec un père étranger, si elle acquiert la nationalité libanaise en épousant un Libanais, peut alors transmettre sa nationalité à ses enfants mineurs non libanais, à la mort de son époux»

La blague, un Gag ! Une absurdité qui fait de nous libanaises, des citoyennes de second degré, voire amputées. Sans dire que cette loi prive le pays d’une source non négligeable d’enfants nés aussi bien en dehors de vos frontières. Une loi datant de 1925, qui nous pénalise nous femmes ayant été amoureuses et ayant fait le choix de fonder notre famille avec des « hommes étrangers » ; mais qui pénaliserait l’homme libanais de son choix de faire sa vie avec une étrangère ? Etes-vous en train de nous encourager, nous mères libanaises, à travers cette loi de 1925, à vivre des relations hors mariage ou vous mentir sur l’identité du père ?

Vivant à l’étranger, plusieurs femmes comme moi, se sont accourues à enregistrer leurs mariages auprès des ambassades du Liban et vous savez mieux que quiconque que cet enregistrement ne nous apporte rien sur le niveau civil, hormis changer notre statut de célibataire en mariée dans les registres au Liban. Peut-être aurions dû contourner la loi et venir au pays déclarer la naissance de nos enfants hors mariage … Est-ce bien ce message que vous vous voulez affirmer et transmettre à la nouvelle génération de femmes libanaises amoureuses des étrangers, détourner la loi ? Préférez-vous les chemins ambigus, la corruption, le mensonge à la réalité et le geste citoyen ? Êtes-vous partisans d’une bonne citoyenneté ou préférez-vous le détournement de la loi ? Etes-vous conscients que cette incapacité des femmes à transmettre leur nationalité à leurs époux ou à leurs enfants a des répercussions qui s’étendent à toute la famille ? Permis de résidence pour les enfants sur le propre sol de la libanaise dans son pays ? Et ces enfants une fois adulte, qui devraient avoir des permis de travail alors qu’ils ont reçus leur éducation au Liban ?  Des enfants considérés comme résidents et non pas des citoyens ? Ou avoir des visas pour rentrer chez eux ? Des enfants considérés comme étrangers et non pas des libanais ? Qui ne jouissent pas des mêmes droits que le citoyen libanais ? Et nos enfants qui nous posent inlassablement cette question : « Pourquoi nous n’avons pas de passeports libanais alors que tu es notre mère » ? Qu’en est-il des enfants de père libanais vivant à l’étranger et marié à une étrangère ? Sa femme recevant la nationalité libanaise au bout d’un an de mariage, en quoi ses enfants seraient plus libanais que la libanaise, elle, mariée à un étranger et vivant sur le sol libanais ou hors frontières ?

La réponse qu’on a entendue justifiant notre privation de ce droit légitime serait à cause des réfugies palestiniens. Des balivernes, un faux prétexte, franchement obsolète. En réalité, nulle loi interdit l’homme libanais d’épouser une palestinienne ou une étrangère et de transmettre sa nationalité à sa femme arabe ou occidentale ou à ses enfants. Connaissez-vous le nombre exact de ces hommes qui ont épousé des étrangères ? L’avez-vous comparé à celui du nombre des mariages des femmes libanaises avec des étrangers ? Récemment l’Etat a fait campagne pour transmettre la nationalité à des étrangers, allant jusqu’à la 4e génération nées de pères libanais … En quoi sont-ils plus que nos enfants, libanais ? Accorderiez-vous la nationalité à des générations suivantes à titre posthume? Devrions-nous toutes mourir, comme nos mères et grands-mères, avec cette douleur de voir priver nos enfants porter officiellement notre identité ? Nous sommes encore vivantes et nous sommes ce lien entre notre pays et nos enfants élevés avec notre culture, qu’ils soient métisses ou bi-nationaux, le sang qui coule dans leurs veines est aussi un sang libanais… Ce lien avec le Pays reste un lien de sang avant toute affaire de papier …

Ces dispositions que vous entreprenez s’opposent aux obligations incombant au Liban au titre du droit international, notamment le principe de non-discrimination et le principe d’égalité entre hommes et femmes et d’égalité devant la loi. Avez-vous mesuré l’absurdité de ces lois qui font de vos citoyennes des femmes réduites dans leurs droits fondamentaux privant aussi le pays d’une source non négligeable d’enfants nés aussi bien en dehors de vos frontières ? Je vais aller encore plus loin et oser vous poser cette question, puisqu’on y est : est-ce que la femme libanaise mariée à un homme libanais transmet-elle réellement sa nationalité à ses enfants ? Surtout quand on sait que par le biais de son mariage, portant le nom de son mari, c’est le nom du mari qui sera transmis d’office aux enfants puisque la femme ne peut pas non plus transmettre son nom de jeune fille et de fait c’est le mari qui transmet la nationalité aux enfants et non pas la femme…

Le Liban n’a-t-il pas adhéré à la charte des Nations-Unis qui stipule que tous les hommes, sont libres et égaux, ont les mêmes droits sans discriminations entre les hommes et les femmes ?
Le Liban, n’est-il pas signataire de nombreux traités visant à l’amélioration de la situation de la femme par exemple, la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination a l’égard des femmes, considérée comme la Déclaration Universelle des Droits de la femme et le CEDAW (Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women) en 1996 qui prévoyait d’imposer des principes juridiques pour développer la situation juridique des femmes et la rendre conforme aux conventions internationales et à la Constitution Libanaise ?
Le Liban n’avait-il pas émis des réserves qui influent directement sur l’égalité des citoyens en se basant sur l’identité masculine ? Ces réserves ne portaient-elles pas sur la possibilité de choisir ou de donner à un enfant le nom de famille appartenant à sa mère aussi que pour la possibilité pour nous femmes libanaises mariée à des étrangers, de transmettre à nos enfants notre nationalité ? Des réserves qui privent la femme libanaise d’exercer pleinement ses droits citoyens, une négation de ses droits qui fait placer le Liban dans les derniers rangs parmi les pays arabes (16e place sur 22 selon la fondation Thomson Reuters).
Et ce droit de vote qu’on a acquis en 1953, est-il réellement un droit en soi ou s’agit-il uniquement d’usage des voix féminines épouses et filles pour agrandir les rangs des votants au sein des partis ? Parmi toutes ces voix de femmes matures, n’y aurait-il pas de femmes compétentes qui mériteraient votre confiance et qui seraient dignes d’une avancée ferme, ensemble, vers la parité et la mixité ?

J’espère que l’année 2017 vous sera porteuse de courage et de prise de décisions positives, car un changement de mentalité et de procédé deviennent une priorité nationale. Une prise de conscience de votre quotidien et celui de celle qu’on dit « votre moitié » serait de mise, une urgence !
Meilleurs vœux

Jinane Chaker-Sultani Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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