« Ceci n’est pas une pipe » écrit Magritte sur sa toile. Car il nous faut distinguer entre l’image et l’objet, la pipe que l’on peut bourrer et sa représentation.

A travers le hublot, des villes comme des chapelets esquissent dans le noir des êtres fantasmagoriques. Mystérieuses, telles des cités perdues mais devenues praticables depuis qu’elles sont desservies par le Net. Quelque part sur la Toile, une araignée attend.

Ceci n’est pas une pipe mais un grand canular qui voudrait nous faire prendre des vessies pour des lanternes et museler les petits enfants. Avant, les radios diffusaient leur musique, les infos donnaient des nouvelles du temps. Aujourd’hui, elles dictent la pensée. Si la prudence est mère de sûreté, la peur est un mauvais maître qui achève ce qui nous reste d’humanité. Emmurés dans nos corps, confinés dans nos têtes, pendant que la terre continue à tourner.

Certaines routes servent à relier, à s’évader, à fuir, quand d’autres s’obstinent à massacrer la montagne.
Les routes sont des filets. Celles de la propagande sont pour la pêche au gros.

Au matin, le silence. Quand le monde est encore minéral et la terre figée.
Sur les cimes, comme du strass, des lumières frémissantes chatoient à l’appel du soleil levant.

Kfarchima. La maison de l’émir. Recouvrant la tonnelle, un jasmin et une vigne mêlés. Embaumant le jardin, des frangipaniers et des bigarades, et sur la terrasse au soleil, tendue comme une main, des graines de melon qu’on a mises à sécher.

Depuis quelques temps, l’histoire s’accélère. Le passé s’estompe et, en même temps, le progrès que nous avons initié se fait à nos dépens.

Wadi Shahrour. Ils ont longé le fleuve bordé par une roselière qui balaie de ses hampes un ciel éclatant. En file indienne, ils ont emprunté un sentier parsemé de glands qui court le long des terrasses plantées d’oliviers. De temps en temps, un vieux caroubier, étendait sur leurs têtes sa ramure comme une arche. S’agrippant à ses flancs, ils ont gravi la colline vers un repaire niché entre les yeuses et les pins et cueillant à pleines mains des olives d’hiver, noires comme des prunelles, se sont attablés devant un café fumant et le spectacle inouï d’une vallée encore vierge. A deux pas de la ville, au-dessus du fleuve, dans un décor jailli de la nuit des temps, avec une poignée d’hommes qui cultivent ici, secrètement, un coin de paradis.

L’un d’eux a expliqué :
Une route devait passer par là et nous l’avons coupée.

Nada Bejjani Raad
Née au Liban, Nada Bejjani Raad est architecte et pratique son métier en France depuis 1989. Contributrice régulière dans la presse francophone, bloggeuse à l’Agenda Culturel, elle est l’auteur du roman Le jour où l’agave crie.

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