« La guerre apprend à tout perdre et à devenir ce qu’on n’était pas »

Albert Camus

« 2020 sera prometteuse » avait-on reçu en ce début d’année. On la notait 20/20 en plaisantant ! Pourtant, sombre constat qu’est la condition humaine en 2020. La planète respire mais les humains étouffent. Une phrase au début porteur d’espoir mais à la fin menaçante qui laisse un goût amer. Les chefs d’États rassurent mais convoquent, le corps médical agit mais s’inquiète, les médias affolent mais gagnent des pics d’audimat, les citoyens obtempèrent mais angoissent. Le verdict est sans appel. L’humanité est en guerre. Le mode survie est enclenché. Plus de 3 milliards d’individus sont désormais emprisonnés sous leurs toits, dans leur cage dorée ou dans leur cage à poules. Ils doivent se protéger d’un adversaire de taille – ne mesurant pas plus de 100 nanomètres – vêtu d’une couronne protéinée lui pourvoyant l’énergie invincible pour des conquêtes souveraines. Un ennemi qui fait des ravages, provoque des hécatombes humaines sur les territoires en guerre, met les économies mondiales au rouge, sépare les familles, déshumanise les relations et menace de famine et d’extinction le genre humain. Un va-t’en-guerre au nom tout droit sorti de romans de science-fiction est arrivé sur notre planete : le COVID-19.

Et là, il (ou plutôt ils) nous met(tent) la vie en pause et l’Homme doit revoir ses priorités. La course effrénée vers les dollars se transforme en confinement pour la santé ; la peur du temps qui passe cède la place aux ambitions Carpe Diem ; l’or et l’argent se convertissent en papier-toilette et boîtes de thon ; le contact humain, ou ce qui en restait, se robotise. Subitement, sous la pression des gouvernements et de la peur, le monde doit cogiter autrement, la vie doit prendre un nouveau rythme, moins effréné, plus lent, car à force de vitesse, on a cramé le moteur. Stopper ou ralentir le rythme permet une chose : réfléchir sur la valeur réelle des choses – impossible à faire lorsque nous vivons à 200 à l’heure, nez dans le guidon, pour aller plus vite que le temps qui file. Estimer une chose pour le bien-être qu’elle procure et non pour le prix marchand qu’elle vaut. Quelle tristesse de constater que, dans nos sociétés modernes, tout ce qui n’a pas un prix affiché sur une étiquette, de préférence avec plusieurs chiffres avant la virgule, est considéré dénué de valeur. 

Prenez le temps, vous en avez enfin, de faire ce petit exercice. Selon vous, combien vaudrait le plaisir de croquer une man’ouché faite maison à l’instant, savourée toute chaude dès votre réveil, accompagné d’un bon café dégusté à petites gorgées ? Quel prix pour se prélasser 1h ou pourquoi pas plus en lisant dans un fauteuil cosy près de la fenêtre, bien au chaud alors qu’il tempête dehors ? Combien pour une douche chaude après une bonne session de pilates sans précipitation car rien ne presse ? 

Cette épreuve que la vie nous envoie est, comme beaucoup l’ont évoqué, une sonnette d’alarme, un ultimatum duquel nous ne pouvons pas nous défiler. Ralentir c’est aussi prendre le temps de s’occuper de soi et des autres, de nos proches mais aussi de ceux que nous ne connaissons pas mais qui sont dans le besoin. 

L’éloignement, c’est la base de l’altruisme ! Alors, célébrons la temporisation, laissons la disponibilité s’amuser avec la rêverie, le créatif embrasser l’imaginaire, la faim reconnaître les moyens. Mettons à profit cette période d’isolement pour enfin accomplir ce qu’on n’avait pas eu le temps de faire avant, passer plus de temps avec son noyau familial, se recentrer sur soi, prendre le temps d’apprécier chaque moment, apprécier même le contact virtuel avec les gens que l’on aime. Arrêtons d’inonder les réseaux sociaux de mauvaises nouvelles, de prédictions dramatiques ou de dossiers secrets en passe d’être découverts. Peu sont dotés de ce 6e sens prétendu maitrisé par les médiums. Cessons de semer de la sorte une ambiance anxiogène pour pallier une détresse émotionnelle. Puisque nous sommes en guerre, et que la guerre apprend à tout perdre et à devenir ce que l’on n’était pas, à défaut de devenir la perfection incarnée, corrigeons le tir, redoublons d’efforts de solidarité. Le virus s’est propagé et continue de se transmettre entre les hommes sans distinction de couleur de peau, de confession, d’âge, de sexe ou encore de milieu social. Il se balade entre les humains, nous incitant à prendre conscience que si nous pouvons nous transmettre le pire, nous devons surtout nous transmettre le meilleur. 

Devenir meilleurs. À défaut d’y arriver, nous resterons confinés et devrons louer les prouesses de la nouvelle population androïdes, saluer les exploits des drones-policiers, interagir via des grenouilles-robots et rendre des comptes à des voiturettes-contractuelles. Et puis, quelques temps plus tard, on rêvera que l’on court. Des rêves de chiens. Début de la fin d’une vie d’humain.

Caroline Torbey
Auteure franco-libanaise, elle publie régulièrement dans la presse francophone au Liban. L'un de ses ouvrages destiné à la jeunesse intitulé "Dessine-moi un proverbe - les proverbes libanais racontés à nos enfants" a remporté le premier prix de l'AEFE en mars 2019. Passionnée de lecture, elle est bookstagrammeuse à ses heures perdues et publie ses chroniques littéraires sur son compte instagram :@carolinetorbey.

Un commentaire?

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.