samedi, novembre 15, 2025

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Le vote des émigrés : entre revendication de représentation et calculs électoraux

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Un dossier récurrent qui refait surface

Le débat sur le vote des émigrés libanais refait surface à l’approche des élections législatives. Ce dossier, longtemps repoussé au nom des contraintes techniques et administratives, est redevenu un enjeu politique majeur. Les discussions dans les milieux parlementaires témoignent d’un clivage ancien : faut-il maintenir le système actuel, où les Libanais de l’étranger votent dans leurs circonscriptions d’origine, ou créer une circonscription propre à la diaspora, comme le prévoit la loi mais jamais appliquée ?

Le président du Parlement, Nabih Berri, a coupé court à toute spéculation sur une révision immédiate. « Les élections se tiendront selon la loi en vigueur », a-t-il martelé, rappelant que la priorité est de respecter le calendrier constitutionnel. Derrière cette position ferme, se lit la volonté d’éviter une ouverture de chantier à haut risque politique. Le président de la République, Joseph Aoun, partage cette prudence : « Nous devons garantir la participation des émigrés, mais sans compromettre la stabilité du processus électoral. »

Cette convergence entre Baabda et Ain el-Tineh traduit une stratégie de temporisation. Les deux présidences savent que rouvrir le dossier à quelques mois du scrutin risquerait d’alimenter les tensions confessionnelles et partisanes. Pourtant, le sujet s’impose de lui-même, porté par les revendications des communautés libanaises installées à l’étranger.

Les dispositions de la loi électorale

La loi électorale actuelle, adoptée en 2017, prévoit dans son article 112 la création d’une circonscription spécifique pour les Libanais de la diaspora, composée de six sièges réservés : deux maronites, deux sunnites, un chiite et un druze. En pratique, cette disposition n’a jamais été mise en œuvre. Faute de consensus sur les modalités, les expatriés ont continué à voter dans leurs circonscriptions d’origine via les ambassades et consulats.

Le Premier ministre, Nawaf Salam, a reconnu que « les conditions techniques et financières ne permettent pas, à ce stade, de créer une circonscription distincte ». Il a ajouté : « Le gouvernement appliquera la loi dans sa forme actuelle. » Cette phrase, prononcée à la Saraya, a eu valeur de ligne officielle : pas de réforme d’ici aux prochaines élections.

Pour les partisans du statu quo, cette prudence est dictée par le réalisme. Les contraintes logistiques sont lourdes : mise à jour des listes électorales, formation du personnel consulaire, acheminement du matériel et garantie de la transparence du dépouillement. « Le Liban ne peut pas gérer une innovation électorale majeure dans un contexte de crise financière et administrative », a confié un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.

La position des blocs politiques

Les Forces libanaises et le Parti Kataëb sont favorables au maintien du vote des émigrés dans leurs circonscriptions d’origine. Samir Geagea l’a exprimé clairement : « Nos compatriotes de l’étranger doivent avoir le même poids électoral que ceux de l’intérieur. Les isoler dans une circonscription symbolique serait un recul. » Pour lui, toute tentative de modifier la répartition des sièges serait perçue comme une manœuvre politique.

À l’opposé, le Courant patriotique libre défend depuis des années l’idée d’une représentation spécifique de la diaspora. Gebran Bassil a rappelé que « les Libanais à l’étranger font partie intégrante du pays » et qu’ils « méritent d’avoir une voix propre, indépendante des équilibres locaux ». Il accuse certains blocs de « craindre le vote de la diaspora parce qu’il échappe à leurs calculs communautaires ».

Le Hezbollah adopte une position plus prudente. Naim Kassem a déclaré que « la participation des émigrés est un droit », mais que « le moment n’est pas propice à rouvrir la loi ». Il souligne que la priorité reste « la stabilité du calendrier électoral » et que tout changement majeur « doit faire l’objet d’un consensus national, pas d’une décision précipitée ».

Les enjeux confessionnels et géographiques

Derrière le débat juridique se cache un enjeu confessionnel majeur. Les émigrés inscrits sur les listes consulaires sont majoritairement issus des régions chrétiennes et des zones urbaines à forte proportion sunnite. Leur participation dans les circonscriptions d’origine peut donc modifier l’équilibre électoral local. Dans certaines régions de la Montagne ou du Nord, le poids de la diaspora est suffisant pour influer sur le résultat final.

Les députés des blocs chrétiens y voient une opportunité de renforcer leur représentation face à des adversaires enracinés localement. À l’inverse, plusieurs élus chiites et druzes considèrent que cette participation pourrait déséquilibrer des circonscriptions déjà fragiles. Un député du mouvement Amal a déclaré que « le vote de l’extérieur ne doit pas effacer les réalités du terrain ».

Ce calcul confessionnel explique la prudence générale. En conservant la loi actuelle, chaque camp préserve son avantage relatif. Le bloc du président du Parlement n’a aucun intérêt à rouvrir une équation susceptible de réduire son influence. Le Courant patriotique libre, minoritaire au Parlement, espère au contraire que la diaspora lui offrira un levier pour regagner du poids politique.

Le poids politique de la diaspora

La diaspora libanaise est estimée à plus de huit millions de personnes, dont près d’un million inscrites sur les listes électorales. Lors du dernier scrutin, environ 225 000 d’entre elles avaient effectivement voté. Les chiffres montrent une mobilisation importante mais inégale selon les continents. L’Europe et l’Amérique du Nord enregistrent les plus forts taux de participation, tandis que l’Afrique et le Golfe restent en retrait.

Les électeurs expatriés ont souvent une lecture plus critique de la classe politique. Leur vote, marqué par une forte exigence de réforme, inquiète certains partis traditionnels. C’est pourquoi les discussions sur leur poids politique prennent une dimension stratégique. Un député de la majorité a reconnu que « les voix de l’étranger sont devenues un facteur décisif dans plusieurs circonscriptions sensibles ».

Le Premier ministre a insisté sur la nécessité de garantir un processus équitable : « Chaque citoyen a le droit de voter, qu’il soit à Beyrouth ou à Montréal. Mais il faut que la logistique suive. » Les consulats ont été instruits de préparer les dispositifs techniques dès le début de l’année, avec des budgets limités mais jugés suffisants pour reproduire le modèle des précédentes élections.

Un dossier sensible dans les relations entre les présidences

Les échanges entre Baabda, Ain el-Tineh et la Saraya sur la question du vote des émigrés ont révélé des approches différentes mais complémentaires. Joseph Aoun privilégie la stabilité institutionnelle et le respect des délais. Nabih Berri défend une lecture strictement procédurale : « Le Parlement applique la loi, il ne la réécrit pas avant chaque scrutin. » Nawaf Salam, quant à lui, adopte une posture pragmatique : « Le gouvernement est prêt à appliquer la loi telle qu’elle est, et à fournir les moyens nécessaires à la participation de tous les Libanais. »

Cette triangulation a permis d’éviter un affrontement politique direct. Les observateurs notent toutefois une tension latente. Le Courant patriotique libre considère que l’absence de mise en œuvre de la circonscription des émigrés constitue une violation de la loi. Ses députés évoquent même la possibilité d’une saisine du Conseil constitutionnel si la disposition reste lettre morte.

Les arguments des partisans d’une réforme

Les défenseurs d’une révision du dispositif avancent plusieurs arguments. Ils estiment que la création d’une circonscription pour la diaspora permettrait de garantir une représentation symbolique et de réduire les soupçons de manipulation. En votant pour des candidats de la diaspora, les expatriés s’exprimeraient sur des enjeux qui les concernent directement, comme la citoyenneté, la double nationalité ou la politique consulaire.

« Le Liban ne peut continuer à ignorer huit millions de citoyens », affirme un député du bloc réformateur. « Leur contribution économique, par les transferts et les investissements, justifie qu’ils aient une voix politique distincte. »

Les opposants, en revanche, rappellent que la création d’une telle circonscription modifierait la composition de la Chambre et nécessiterait une révision des équilibres confessionnels, un processus lourd et risqué à la veille des élections. « Il faut garder la stabilité du système », a répondu un député du mouvement Amal. « Toute modification de la répartition des sièges ouvrirait une crise sans fin. »

L’approche du gouvernement

Le gouvernement s’efforce de concilier droit de vote et faisabilité technique. Le ministre de l’Intérieur a indiqué que les missions diplomatiques avaient reçu des instructions pour préparer les listes électorales et vérifier les inscriptions avant la fin de l’année. Un plan logistique prévoit le transfert sécurisé des urnes et la centralisation des résultats au ministère.

Nawaf Salam a tenu à rassurer : « L’État garantit la transparence et la sécurité du scrutin, partout où vivent des Libanais. » Il a aussi reconnu la nécessité d’un cadre législatif plus clair pour les prochaines échéances : « Après ces élections, il faudra rouvrir le débat sur la représentation de la diaspora, mais dans un climat apaisé. »

L’enjeu politique sous-jacent

Le vote des émigrés cristallise des enjeux qui dépassent la simple organisation électorale. Il symbolise la relation complexe entre l’État et sa diaspora, entre le pays d’origine et ses prolongements mondiaux. Dans le discours officiel, l’invocation de la diaspora sert à la fois de levier identitaire et de variable électorale.

Pour le président Joseph Aoun, il s’agit avant tout d’un enjeu de légitimité : « Chaque voix compte, où qu’elle soit exprimée. » Nabih Berri y voit un test de cohésion : « Le vote des émigrés doit unir les Libanais, pas les diviser. » Quant à Nawaf Salam, il en fait une question d’organisation : « La participation doit être possible sans fragiliser le processus. »

Vers un compromis de circonstance

En pratique, la solution retenue pour les prochaines élections sera celle du statu quo : les Libanais de l’étranger voteront dans leurs circonscriptions d’origine. Les discussions sur la création d’une circonscription spécifique sont reportées à une date ultérieure. Les formations politiques s’accordent à reconnaître que le pays ne peut absorber une réforme électorale d’ampleur dans sa situation actuelle.

Un député de la majorité résume la position générale : « Ce n’est pas le moment d’ouvrir un front supplémentaire. Les émigrés voteront, et c’est déjà un progrès. »

Ce compromis fragile traduit la logique du moment : assurer la tenue du scrutin, préserver les équilibres existants, et reporter les réformes à des temps meilleurs. Mais il confirme aussi la persistance d’un clivage politique fondamental entre ceux qui voient dans la diaspora une chance de renouvellement et ceux qui redoutent qu’elle bouleverse l’ordre établi.

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