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Les conséquences diplomatiques de la rencontre syro-libanaise à Jeddah : une médiation saoudienne aux ambitions régionales

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Le 27 mars 2025, Jeddah, en Arabie saoudite, a accueilli une rencontre historique entre le ministre de la Défense syrien, le général Murhaf Abu Qasra, et son homologue libanais, le général Michel Mnashe, sous l’égide du ministre saoudien de la Défense, le prince Khalid bin Salman. Cette réunion, qui a abouti à la signature d’un accord soulignant l’importance stratégique de la démarcation des frontières et le renforcement de la coopération sécuritaire, marque une étape significative dans les relations syro-libanaises, longtemps marquées par des tensions et une dépendance asymétrique. Orchestrée par Riyad, cette médiation s’inscrit dans une stratégie régionale plus large visant à stabiliser le Levant, mais ses effets concrets restent à évaluer dans un contexte de fragilité politique et de rivalités géopolitiques persistantes.

Les conséquences diplomatiques : un tournant potentiel pour les relations syro-libanaises

La rencontre de Jeddah intervient dans un contexte où la Syrie et le Liban cherchent à redéfinir leurs relations après la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024, qui a mis fin à des décennies d’influence syrienne directe sur le Liban. Sous Assad, la Syrie avait exercé une tutelle militaire et politique sur son voisin, notamment via Hezbollah, jusqu’au retrait de ses troupes en 2005 sous la pression internationale et populaire. La nouvelle direction syrienne, sous l’égide d’Ahmed al-Sharaa, affiche une volonté de rompre avec cette domination, comme en témoigne sa rencontre avec le Premier ministre libanais Najib Mikati en janvier 2025, où il avait promis une relation « positive » débarrassée des « interférences négatives » du passé.

L’accord signé à Jeddah, qui met l’accent sur la démarcation des frontières et la coordination sécuritaire, pourrait avoir plusieurs conséquences diplomatiques concrètes. Premièrement, il pose les bases d’une normalisation institutionnelle entre Damas et Beyrouth, passant d’une relation historiquement informelle et conflictuelle à un cadre bilatéral structuré. La démarcation des 330 kilomètres de frontière terrestre, jamais officiellement tracée, répond à une demande libanaise de longue date, exacerbée par des années de contrebande (armes, drogue Captagon) et d’incursions transfrontalières. Si cet engagement est suivi d’effet, il pourrait réduire les tensions récurrentes, comme les affrontements de février 2025 entre clans chiites libanais et forces de sécurité syriennes, qui avaient fait plusieurs morts.

Deuxièmement, cette médiation saoudienne offre à la Syrie une opportunité de réintégration dans le giron arabe, après des années d’isolement sous Assad. Depuis son retour à la Ligue arabe en 2023, Damas a multiplié les gestes de rapprochement, notamment avec les pays du Golfe. L’implication de Riyad dans cette rencontre renforce cette dynamique, signalant une acceptation progressive du nouveau régime syrien par les puissances sunnites, en contraste avec l’axe iranien qui dominait sous Assad. Pour le Liban, cette normalisation pourrait alléger la pression exercée par les réfugiés syriens – environ 1,5 million, selon les estimations libanaises – en facilitant leur retour volontaire, un point soulevé par Mnashe comme une priorité urgente.

Cependant, ces effets diplomatiques restent fragiles. La mise en œuvre de l’accord dépendra de la capacité des deux pays à surmonter leurs divisions internes : en Syrie, le gouvernement de transition d’al-Sharaa reste contesté par des poches de résistance alaouite et des rivalités entre factions rebelles ; au Liban, le système confessionnel et l’influence persistante de Hezbollah compliquent toute politique unifiée envers Damas. De plus, l’absence de garanties internationales au-delà de la médiation saoudienne laisse planer un doute sur la pérennité de cet engagement, dans une région où les promesses diplomatiques ont souvent été suivies d’échecs.

Quel rôle pour Riyad dans la stabilisation du Liban ?

L’Arabie saoudite, en accueillant cette rencontre à Jeddah, affirme un rôle renouvelé dans la stabilisation du Liban, combinant diplomatie et sécurité dans une stratégie régionale ambitieuse. Historiquement, Riyad a été un acteur majeur au Liban, soutenant financièrement et politiquement des figures sunnites comme la famille Hariri, notamment via l’accord de Taëf en 1989 qui mit fin à la guerre civile. Cependant, son influence s’est érodée depuis 2005 face à la montée de Hezbollah et de l’Iran, culminant avec la crise de 2017 lorsque Saad Hariri fut contraint de démissionner sous pression saoudienne à Riyad. Depuis, l’Arabie saoudite avait adopté une posture de retrait, limitant son aide au Liban à des gestes humanitaires sporadiques, comme après l’explosion du port de Beyrouth en 2020.

La médiation de Jeddah marque un retour stratégique de Riyad, motivé par plusieurs facteurs. D’abord, la chute d’Assad et l’affaiblissement de Hezbollah – décapité par la guerre de 2024 contre Israël – offrent une opportunité de rééquilibrer les forces au Liban en faveur des alliés sunnites de l’Arabie saoudite. En soutenant le gouvernement de Nawaf Salam et le président Joseph Aoun, Riyad cherche à contrer l’influence iranienne résiduelle, tout en renforçant la légitimité de l’État libanais face aux milices. La présence du prince Khalid bin Salman, un proche du prince héritier Mohammed bin Salman, souligne l’importance accordée à ce dossier par la direction saoudienne.

Ensuite, la sécurité est au cœur de cette stratégie. L’accord syro-libanais, signé sous les auspices saoudiens, vise à sécuriser la frontière pour lutter contre la contrebande, notamment le Captagon, un fléau que Riyad attribue en partie à des réseaux liés à l’ancien régime Assad et à Hezbollah. En stabilisant cette frontière, l’Arabie saoudite protège ses propres intérêts – les saisies de Captagon dans le royaume ont explosé ces dernières années – tout en offrant au Liban un soutien indirect pour rétablir son contrôle territorial, une priorité énoncée par Mnashe lors de la rencontre.

Enfin, cette initiative s’inscrit dans une vision régionale plus large. Depuis l’accord de réconciliation avec l’Iran en mars 2023, négocié par la Chine, Riyad a adopté une diplomatie pragmatique, cherchant à réduire les tensions tout en affermissant son leadership arabe. Stabiliser le Liban, un pays au carrefour des rivalités régionales, renforce la stature de l’Arabie saoudite face à des concurrents comme la Turquie, le Qatar et l’Iran, tout en répondant aux appels internationaux – notamment de la France et des États-Unis – pour une solution à la crise libanaise.

L’influence saoudienne dans les dynamiques sécuritaires levantines : une reconfiguration régionale ?

La médiation de Jeddah reflète une tentative saoudienne de reconfigurer les dynamiques sécuritaires du Levant, une région historiquement instable en raison des conflits syrien et libanais, des ambitions israéliennes, et de la rivalité Iran-Arabie saoudite. Avec la chute d’Assad, le Levant entre dans une phase de transition, où Riyad voit une opportunité de combler le vide laissé par Damas et Téhéran.

Premièrement, l’accord syro-libanais pourrait redéfinir les équilibres de pouvoir au Levant. En soutenant un axe Damas-Beyrouth sous son patronage, Riyad marginalise les acteurs pro-iraniens, notamment Hezbollah, dont les lignes d’approvisionnement via la Syrie ont été coupées depuis décembre 2024. Cette reconfiguration sécuritaire affaiblit également la Turquie, qui soutient des factions rebelles dans le nord syrien et pourrait voir son influence diminuer face à une Syrie stabilisée par les efforts saoudiens.

Deuxièmement, l’influence saoudienne s’étend au-delà des frontières syro-libanaises. En renforçant la coopération sécuritaire entre Damas et Beyrouth, Riyad pose les jalons d’une architecture régionale où la lutte contre le terrorisme (restes de l’État islamique, milices alaouites pro-Assad) et la contrebande devient une priorité collective. Cela pourrait rallier d’autres pays arabes, comme la Jordanie et l’Irak, qui partagent des préoccupations similaires, créant un bloc sécuritaire sous leadership saoudien.

Cependant, cette ambition fait face à des obstacles. L’Arabie saoudite n’a ni la capacité militaire ni la légitimité historique pour remplacer pleinement l’influence syrienne ou iranienne au Levant. Israël, qui surveille de près la frontière syro-libanaise, pourrait percevoir cette initiative comme une menace si elle renforce des acteurs hostiles à ses intérêts. De plus, la dépendance saoudienne à l’égard des États-Unis pour sa sécurité limite son autonomie stratégique, alors que Washington reste ambivalent sur le rôle de Riyad dans la région post-Assad.

Position du ministre de la Défense Michel Mnashe

Michel Mnashe, ministre de la Défense libanais, a joué un rôle central dans cette rencontre, reflétant les priorités sécuritaires et diplomatiques du Liban. Lors de son déplacement à Jeddah, accompagné d’une délégation sécuritaire, Mnashe a souligné trois objectifs majeurs : sécuriser la frontière pour empêcher les agressions transfrontalières, coordonner avec la Syrie pour lutter contre la contrebande, et accélérer le retour des réfugiés syriens. Dans une déclaration relayée par Arab News, il a affirmé que « la coopération avec la Syrie est essentielle pour stabiliser le Liban et protéger ses citoyens », tout en saluant la médiation saoudienne comme « un pas historique ».

Mnashe, un général respecté au sein de l’armée libanaise, incarne une volonté de renforcer l’État face aux milices, notamment Hezbollah, dont l’affaiblissement offre une opportunité rare. Sa position reflète une approche pragmatique : en collaborant avec Damas, il cherche à rétablir la souveraineté libanaise sur ses frontières, un défi depuis des décennies en raison de la porosité et de l’influence de groupes armés. Son insistance sur la démarcation des frontières répond à des incidents récents, comme les frappes syriennes de mars 2025 qui ont tué sept Libanais après l’assassinat de soldats syriens par des contrebandiers.

Sa rencontre avec Murhaf Abu Qasra a également mis en lumière une convergence d’intérêts : les deux pays partagent une menace commune – l’instabilité frontalière – et un besoin urgent de coopération. Mnashe a proposé la création de comités conjoints pour superviser la démarcation et les opérations anti-contrebande, une initiative soutenue par l’accord signé. Toutefois, il reste prudent, conscient que l’influence de Hezbollah et les divisions internes au Liban pourraient entraver ces efforts.

Une médiation aux effets incertains

La rencontre de Jeddah, sous l’égide saoudienne, ouvre des perspectives prometteuses mais incertaines. Diplomatiquement, elle pourrait normaliser les relations syro-libanaises et renforcer la position de Riyad comme médiateur régional. Sécuritairement, elle vise à stabiliser une frontière volatile, un objectif partagé par Mnashe et ses homologues. Cependant, la réussite dépendra de la mise en œuvre concrète de l’accord, dans un contexte de fragilité interne et de rivalités géopolitiques persistantes. L’Arabie saoudite, en s’imposant comme un acteur clé au Levant, joue une carte ambitieuse, mais son influence reste à consolider face aux défis structurels de la région.

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