Le 27 mars 2025, la nomination de Karim Souaid au poste de gouverneur de la Banque du Liban (BDL) par un vote de 17 voix sur 24 au Conseil des ministres a cristallisé un affrontement entre le président Joseph Aoun et le Premier ministre Nawaf Salam, portant un coup sévère aux réformes promises dans un Liban en crise économique profonde. Ce conflit exécutif compromet les efforts pour restructurer le système financier, négocier avec le FMI et restaurer la confiance dans un pays où les institutions vacillent depuis des années. La proposition de Souaid d’utiliser les réserves d’or pour compenser les déposants, tout en évitant aux actionnaires des banques de couvrir les pertes – ce qui nécessiterait un audit juricomptable révélant les malversations –, illustre cette paralysie. Sa défense du secret bancaire et sa proximité avec les hommes politiques renforcent cette impasse, bloquant les réformes essentielles. Voici une analyse détaillée de l’impact sur les réformes, entre blocages immédiats et conséquences à long terme.
Une fracture exécutive contre les ambitions réformatrices
La nomination de Souaid, soutenue par une coalition incluant les Forces libanaises (FL), Hezbollah et Amal, a été imposée par Joseph Aoun malgré l’opposition ferme de Nawaf Salam et de sept ministres, parmi lesquels Tarek Mitri, vice-Premier ministre, et Amer Bsat, ministre de l’Économie. Salam, investi le 13 janvier 2025 avec un large soutien parlementaire de 84 voix, avait pris ses fonctions avec un mandat clair : réformer un système économique et financier en ruines après des années de mauvaise gestion, de corruption et une crise bancaire amorcée en 2019. Son programme, officialisé le 8 février avec la formation de son gouvernement, reposait sur une restructuration bancaire transparente, une levée complète du secret bancaire, et une répartition équitable des pertes pour récupérer les dépôts gelés, estimés à plus de 100 milliards de dollars.
Le vote au Conseil des ministres, bien que majoritaire avec 17 voix sur 24 (environ 70 %), ne reflète pas une unité, mais une fracture profonde. Les sept voix dissidentes représentent une opposition significative au sein d’un cabinet censé incarner un renouveau après deux ans de vide institutionnel. L’entente entre Aoun et Nabih Berri, président du Parlement et leader d’Amal, a été déterminante pour imposer Souaid, révélant une alliance qui privilégie des compromis politiques sur les ambitions réformatrices de Salam. Cette dynamique rappelle les tensions historiques entre président et Premier ministre, comme entre Émile Lahoud et Rafic Hariri dans les années 2000, où les désaccords avaient paralysé les initiatives de changement.
Salam a publiquement exprimé ses réserves sur Souaid, déclarant après le vote qu’il s’opposait à cette nomination pour « une multitude de raisons », notamment sa « volonté de protéger les droits des déposants et de préserver les actifs de l’État ». Cette mise en minorité fragilise sa capacité à imposer son agenda réformateur, essentiel dans un pays où 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale (2024). La fracture exécutive, amplifiée par la proximité de Souaid avec les hommes politiques – notamment Berri et des figures influentes des FL et de Hezbollah –, compromet l’unité nécessaire pour des réformes d’envergure, laissant présager un gouvernement incapable de répondre aux attentes populaires et internationales.
Karim Souaid : un gouverneur aux propositions controversées
L’impact le plus direct sur les réformes réside dans le profil et les propositions de Karim Souaid. Selon des informations relayées par le Financial Times et Libnanews, Souaid envisage d’utiliser les réserves d’or de la BDL, estimées à 24 milliards de dollars, pour compenser les déposants, une mesure qui vise à éviter que les actionnaires des banques ne soient contraints de couvrir les pertes abyssales du secteur, évaluées à 72 milliards de dollars. Cette proposition protège implicitement les malversations potentielles des banques, car elle contourne la nécessité d’un audit juricomptable approfondi – un outil indispensable pour identifier les fraudes, les détournements et les opérations douteuses qui ont conduit à cette crise. En évitant cet audit, Souaid préserve les intérêts des actionnaires et des banquiers, souvent liés à des hommes politiques influents, dont il est proche.
Cette approche est en contradiction totale avec la vision de Salam et des institutions internationales. Le FMI et la Banque mondiale s’opposent fermement à la vente de l’or pour couvrir les pertes bancaires, arguant que cet actif stratégique devrait être préservé pour stabiliser la livre libanaise – qui a perdu plus de 95 % de sa valeur depuis 2019 – ou financer des réformes structurelles, et non pour renflouer un secteur bancaire insolvable sans un plan global. Salam partage cette position, plaidant pour une utilisation stratégique de l’or dans le cadre d’un accord avec le FMI, plutôt qu’une liquidation précipitée qui bénéficierait aux élites bancaires au détriment des citoyens.
Souaid est également connu pour son opposition à tout programme du FMI, rejetant les conditions d’un audit indépendant, d’une levée totale du secret bancaire, et d’une répartition équitable des pertes. Sa défense du secret bancaire, qu’il cherche à sauvegarder selon le Financial Times, bloque toute transparence sur les flux financiers, protégeant ainsi les malversations des banquiers et leurs complices politiques. Cette proximité avec les hommes politiques – notamment Berri, dont le mouvement Amal a soutenu sa nomination, et des figures des FL liées aux milieux bancaires – renforce l’idée qu’il agit comme un rempart pour les intérêts établis. Son soutien présumé à un haircut massif de 80 à 90 % des dépôts, dénoncé par Salam et le député Michel Doueihi, aggraverait la situation des déposants, déjà privés de leurs fonds depuis cinq ans, en réduisant leurs économies à une fraction de leur valeur initiale.
Le projet de loi sur le secret bancaire, adopté le 27 mars 2025, illustre cette divergence. Salam l’a présenté comme un pas vers la transparence, répondant aux exigences du FMI, mais son application dépend du gouverneur de la BDL, qui contrôle l’accès aux données bancaires. Avec Souaid, hostile à une levée complète du secret, ce texte risque d’être vidé de sa substance, bloquant une réforme clé pour regagner la confiance internationale. Au lieu d’un gouverneur neutre capable de fédérer autour d’un plan de redressement, le Liban hérite d’un acteur dont les propositions – comme l’utilisation de l’or – et l’opposition aux réformes internationales paralysent toute avancée.
Blocage des négociations avec le FMI
Les réformes économiques du Liban sont indissociables d’un accord avec le FMI, en suspens depuis 2022, qui représente une bouée de sauvetage face à un effondrement désordonné. Cet accord pourrait débloquer entre 3 et 4 milliards de dollars, voire jusqu’à 10 milliards avec des soutiens bilatéraux, mais exige une restructuration bancaire rigoureuse, une transparence totale, et une stratégie pour gérer les pertes sans épuiser les actifs stratégiques comme l’or. Souaid, par son opposition à ces conditions et sa proposition d’utiliser les réserves d’or pour compenser les déposants – évitant ainsi un audit juricomptable qui exposerait les malversations –, compromet ces négociations.
Le FMI a clairement indiqué, dans ses rapports précédents sur le Liban, que la vente des réserves d’or pour couvrir les pertes bancaires n’est pas une solution viable. Cet actif, valorisé à 24 milliards de dollars, ne suffirait pas à combler le trou de 72 milliards dans le système bancaire, et son épuisement affaiblirait davantage la capacité de l’État à stabiliser l’économie ou à financer des réformes. En protégeant le secret bancaire et en évitant un audit, Souaid bloque la possibilité de responsabiliser les actionnaires des banques, souvent des figures politiques ou leurs proches, et préserve un système opaque qui a permis des décennies de corruption. Salam, dans sa déclaration post-vote, a insisté pour que « tout gouverneur respecte la politique réformatrice du gouvernement en matière de programme FMI », mais la nomination de Souaid contredit cette exigence, envoyant un signal désastreux aux bailleurs de fonds.
Sans cet accord, le Liban reste incapable de relancer une économie où l’inflation a dépassé 200 % en 2024, où Électricité du Liban (EDL) ne fournit que 35 % des besoins énergétiques, et où les réserves de change, autrefois supérieures à 30 milliards de dollars, sont presque épuisées. Le précédent de 2020, où le Parlement et la commission du budget avaient torpillé un plan de sauvetage pour protéger les élites, se répète, mais avec des enjeux encore plus élevés dans un contexte de post-guerre et de crise sociale aiguë.
Réformes structurelles en sursis
L’impact de ce bras de fer s’étend aux réformes structurelles indispensables à la survie de l’État. La reconstruction des zones dévastées par la guerre Hezbollah-Israël de 2024 (sud, Beyrouth, Békaa) nécessite des fonds internationaux, conditionnés à des avancées réformatrices que Souaid compromet. Le secteur énergétique, en crise chronique depuis des décennies, dépend d’un plan de modernisation bloqué par des audits inachevés et des luttes de pouvoir. Avec un gouvernement divisé entre 17 soutiens d’Aoun et 7 alliés de Salam, l’adoption de mesures comme un budget 2025 ou une réforme fiscale devient improbable.
La gestion des réserves d’or illustre cette paralysie. Souaid propose de les utiliser pour compenser pour une partie très réduite les déposants, évitant ainsi aux actionnaires des banques de couvrir les pertes – une démarche qui nécessiterait un audit juricomptable pour révéler les malversations des banquiers et leurs complices politiques. Salam et les institutions internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, s’y opposent, plaidant pour que cet actif de 24 milliards de dollars soit préservé comme ultime garantie. Cette divergence bloque toute stratégie cohérente : Souaid protège les intérêts des banques et des hommes politiques proches de lui, tandis que Salam défend une approche réformatrice alignée sur les standards internationaux. Cette impasse renforce un statu quo clientéliste, où les ressources nationales sont détournées des priorités réformatrices.
Conséquences à court et moyen terme
À court terme, l’impact sur les réformes est un gel quasi total. Le projet de loi sur le secret bancaire, bien qu’adopté, risque de rester symbolique avec un gouverneur qui cherche à le sauvegarder, bloquant toute transparence. Les négociations avec le FMI stagnent, privant le Liban d’une aide vitale, tandis que les déposants – dont les fonds gelés représentent des décennies d’épargne – voient leurs espoirs s’effondrer face à la proposition de Souaid d’utiliser l’or sans responsabiliser les banquiers. Les réserves de change, déjà exsangues, pourraient être dilapidées pour soutenir un système bancaire insolvable, malgré l’opposition internationale à la vente de l’or pour cet usage. Cette situation aggrave une crise sociale où 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale, et où les pénuries alimentaires et énergétiques s’intensifient.
À moyen terme, l’absence de réformes rendra toute restructuration plus coûteuse. Sans accord FMI, la dette publique, en défaut depuis 2020, continuera de croître, et la dépendance à des financements informels (remises de la diaspora, circuits illicites) s’accentuera. Le refus de Souaid de s’aligner sur les standards internationaux, en protégeant le secret bancaire et en évitant un audit juricomptable, compromet la reconstruction post-guerre, qui nécessite des investissements étrangers conditionnés à des réformes crédibles. Les conséquences sociales pourraient inclure une montée des troubles, comme en 2019, amplifiée par des scandales récents comme celui d’Ali Nassar, arrêté le même jour pour harcèlement.
Une dynamique réformatrice brisée
La nomination de Souaid et le bras de fer Aoun-Salam brisent la dynamique réformatrice portée par Salam. Alors que son gouvernement avait suscité un espoir de changement après des années de paralysie, cette crise révèle une incapacité à surmonter les divisions internes et les intérêts établis. L’entente Aoun-Berri, liant la sauvegarde des banques à la survie militaire du Hezbollah – Aoun ayant exclu à France 24 une confrontation pour son désarmement – privilégie un compromis politique sur les réformes structurelles. Cette coalition, bien que majoritaire, repose sur des bases fragiles : les FL, Hezbollah et Amal poursuivent des agendas divergents, rendant improbable une unité durable autour d’un programme réformateur.
Un gouverneur neutre aurait pu jouer un rôle de catalyseur, facilitant un consensus autour des réformes et des négociations FMI. Avec Souaid, dont la proposition d’utiliser l’or protège les malversations et dont la proximité avec les hommes politiques – Berri, des figures des FL, et potentiellement des proches de Hezbollah – renforce les élites, cette possibilité s’évanouit. Le Liban reste prisonnier d’un système qui sacrifie les réformes au profit des banquiers et des milices, au détriment d’une population exsangue.
Perspectives à plus long terme
À plus long terme, l’impact sur les réformes pourrait sceller le sort du Liban comme un État failli. Sans restructuration bancaire, les dépôts resteront gelés, érodant davantage la confiance dans le système financier et décourageant tout investissement. L’isolement international, accentué par le refus de Souaid de coopérer avec le FMI, privera le pays des ressources nécessaires à sa reconstruction et à sa relance économique. Les réserves d’or, bien que précieuses à 24 milliards de dollars, risquent d’être dilapidées pour compenser les déposants sans responsabiliser les actionnaires, contre l’avis des institutions internationales, devenant un symbole d’impuissance.
La fracture exécutive actuelle pourrait également ouvrir la voie à une crise institutionnelle plus large. Si Salam, poussé dans ses retranchements, choisit de démissionner – une hypothèse envisagée après sa mise en minorité – le Liban replongerait dans un vide gouvernemental, retardant davantage les réformes. Même sans départ, sa capacité à imposer un agenda réformateur est gravement affaiblie, laissant le champ libre à des acteurs comme Aoun et Berri, dont les priorités divergent des besoins nationaux.
Un échec aux ramifications multiples
L’impact de ce bras de fer sur les réformes reflète une crise systémique où les intérêts particuliers priment sur le bien commun. Les réformes financières, qui auraient pu poser les bases d’une économie viable, sont entravées par un gouverneur dont les propositions – comme l’utilisation de l’or pour éviter un audit juricomptable – et la défense du secret bancaire protègent les malversations des banquiers et leurs alliés politiques. Les réformes structurelles, nécessaires pour relancer les services publics et l’économie réelle, s’enlisent dans un gouvernement divisé. Les espoirs portés par Salam s’effacent devant une réalité où les banques et le Hezbollah, soutenus par Aoun et Berri, dictent les termes, au détriment d’une population exsangue.
Le Liban, déjà fragilisé par des années de crise économique, la guerre de 2024 et des scandales comme celui d’Ali Nassar, ne peut se permettre cet échec réformateur. Pourtant, la nomination de Souaid et la fracture Aoun-Salam annoncent une impasse où les réformes deviennent un mirage, laissant le pays à la merci d’un chaos économique et social croissant.