Une décision attendue après trois ans de rupture diplomatique
Les Émirats arabes unis ont annoncé, jeudi 1er mai 2025, la levée officielle de leur interdiction de voyager au Liban, imposée depuis 2021. Cette décision est intervenue à l’issue d’une rencontre bilatérale tenue à Abou Dhabi entre le président libanais Joseph Aoun et son homologue émirati Mohamed ben Zayed al-Nahyane. Elle marque un tournant majeur dans les relations entre les deux pays, distendues depuis plus de trois ans en raison d’un différend diplomatique lié à la guerre au Yémen.
Le communiqué conjoint publié à l’issue de cette visite officielle précise que « les deux parties ont convenu de permettre à leurs citoyens de voyager librement après avoir mis en place les mécanismes appropriés pour faciliter les déplacements entre les deux pays ». Cette annonce a été immédiatement saluée à Beyrouth, où le retour des touristes et investisseurs émiratis est perçu comme un signe de normalisation politique et une opportunité économique.
Un embargo instauré dans un contexte régional tendu
En octobre 2021, les Émirats arabes unis, à l’instar de l’Arabie saoudite et de Bahreïn, avaient rappelé leurs ambassadeurs et interdit à leurs ressortissants de se rendre au Liban. Cette décision avait été prise en solidarité avec Riyad, après les propos d’un ministre libanais critiquant l’intervention militaire saoudienne au Yémen.
Le Liban s’était alors retrouvé partiellement isolé sur la scène arabe, alors que ses partenaires du Golfe représentaient traditionnellement un soutien financier et diplomatique crucial. Si l’interdiction ne s’appliquait qu’aux ressortissants émiratis, les citoyens libanais avaient, quant à eux, rencontré des difficultés croissantes pour obtenir des visas d’entrée dans les Émirats. Les relations bilatérales s’étaient alors fortement dégradées, au point que les investissements émiratis au Liban avaient été suspendus.
Une normalisation symbolique portée par Joseph Aoun
Élu en janvier 2025, Joseph Aoun a fait du rétablissement des liens avec les États du Golfe une priorité diplomatique. Son premier déplacement international, en mars, avait été consacré à une visite officielle en Arabie saoudite. Il avait alors rencontré le prince héritier Mohammed ben Salmane pour évoquer la reprise des importations libanaises et la levée des restrictions touristiques.
Moins de deux mois plus tard, la visite du président à Abou Dhabi s’inscrit dans cette dynamique de réengagement régional. Selon des sources proches du palais présidentiel, l’objectif était double : « rétablir une relation de confiance avec les dirigeants émiratis » et « ouvrir la voie à une coopération économique renouvelée, notamment dans les secteurs du tourisme et de l’infrastructure ».
La mission économique émiratie annoncée à Beyrouth
Le communiqué commun de la présidence libanaise et du gouvernement émirati précise également qu’une délégation du Fonds d’Abou Dhabi pour le développement sera prochainement envoyée à Beyrouth pour évaluer des projets conjoints. Ce fonds souverain, spécialisé dans les infrastructures des pays en développement, pourrait investir dans la réhabilitation du réseau électrique libanais, la modernisation des aéroports ou encore la reconstruction des infrastructures portuaires endommagées.
Pour le Liban, plongé dans une crise économique depuis 2019, ce retour d’intérêt est capital. La reprise de la coopération avec les Émirats pourrait également inciter d’autres pays du Conseil de coopération du Golfe à reconsidérer leur position vis-à-vis de Beyrouth. D’autant plus que les tensions internes libanaises ont évolué.
L’affaiblissement du Hezbollah, facteur de rapprochement
Depuis la fin de la guerre de 2023 avec Israël, le Hezbollah a subi un revers stratégique et militaire majeur. Son influence politique s’est érodée, affaiblissant de fait l’axe pro-iranien au sein des institutions libanaises. Cette situation a modifié l’équilibre des forces internes et favorisé l’émergence d’un consensus autour de Joseph Aoun, perçu comme une figure neutre, soutenue à la fois par Riyad et Washington.
Dans ce contexte, les Émirats ont estimé que les conditions étaient réunies pour un réengagement mesuré. Si Abou Dhabi reste méfiant vis-à-vis des structures affiliées au Hezbollah, il considère que le risque d’ingérence directe dans les affaires diplomatiques est désormais moindre, permettant une reprise progressive des relations bilatérales.
Les implications économiques de la levée de l’interdiction
La levée de l’interdiction de voyager pourrait relancer plusieurs secteurs économiques clés du Liban.
- Le tourisme de luxe : avant la crise, les ressortissants du Golfe représentaient une part importante des visiteurs à Beyrouth, notamment durant l’été. Leur retour pourrait offrir un ballon d’oxygène aux hôtels, restaurants et commerces de la capitale.
- L’immobilier : les investissements émiratis dans le secteur résidentiel haut de gamme, notamment à Achrafieh et Ramlet el-Baïda, pourraient reprendre à court terme.
- Les transferts financiers : bien que les transferts d’expatriés libanais vers le Liban aient diminué, une reprise des relations bilatérales pourrait faciliter l’ouverture de nouvelles lignes de crédit et d’investissement.
Tableau : impact économique prévisible de la reprise Émirats-Liban
Secteur concerné | Avant embargo (2019) | Pendant embargo (2021–2024) | Perspectives 2025 |
---|---|---|---|
Tourisme émirati | 150 000 visiteurs par an | 10 000 visiteurs avec visas restreints | Reprise partielle dès l’été 2025 |
IDE émiratis | 1,3 milliard $ | 0,2 milliard $ (gelés) | Discussions sur 3 projets majeurs |
Exportations libanaises | 350 millions $ | 90 millions $ | Redynamisation progressive attendue |
La diplomatie du président Aoun : un retour à l’équilibre régional
Joseph Aoun a su profiter de son statut de militaire respecté et de son positionnement indépendant pour restaurer la place du Liban dans les cercles diplomatiques arabes. Sa politique de non-alignement affichée, conjuguée à une fermeté vis-à-vis des milices et groupes armés opérant en dehors du cadre légal, a rassuré les partenaires du Golfe.
Sa capacité à convaincre les Émirats d’ouvrir la porte à une normalisation complète marque une victoire diplomatique symbolique, qui pourrait s’amplifier si d’autres pays arabes suivent le mouvement. Après la Syrie, la Jordanie et l’Égypte, le Liban espère également convaincre Bahreïn et le Koweït de rétablir des relations diplomatiques pleines.
Un déplacement hautement stratégique
La visite de deux jours de Joseph Aoun aux Émirats a inclus, selon le programme officiel :
- Une rencontre en tête-à-tête avec le président Mohamed ben Zayed
- Un entretien bilatéral avec le ministre des Affaires étrangères
- Une réunion avec les représentants du Fonds d’Abou Dhabi pour le développement
- Une déclaration conjointe à l’issue des discussions diplomatiques
Accompagné du ministre libanais des Affaires étrangères Youssef Rajji, Joseph Aoun a plaidé pour un partenariat durable fondé sur la transparence, le respect mutuel et les intérêts communs. La relance des échanges a été perçue comme un signe d’ouverture de la part d’Abou Dhabi, dans un climat géopolitique régional en recomposition.
Vers une recomposition diplomatique dans le Golfe ?
La levée des restrictions émiraties intervient alors que d’autres pays du Golfe envisagent également un assouplissement de leurs positions. L’Arabie saoudite a ainsi annoncé en mars 2025 qu’elle « réévaluerait les obstacles à la reprise des importations libanaises » après la visite du président Aoun à Riyad.
Cette dynamique s’inscrit dans une stratégie régionale plus large de désescalade et de reconstruction post-conflits. L’affaiblissement des tensions entre puissances régionales, la fin progressive de la guerre au Yémen et la normalisation de certains régimes arabes avec Israël redessinent les équilibres diplomatiques au Moyen-Orient.
Une normalisation à surveiller
La reprise des relations entre les Émirats et le Liban ne signifie pas un blanc-seing. Elle reste conditionnée à la stabilité politique interne, à la neutralité du Liban dans les conflits régionaux et à la capacité du gouvernement à faire appliquer ses décisions.
Mais ce geste ouvre une brèche prometteuse, dans laquelle la diplomatie libanaise espère s’engouffrer pour restaurer sa crédibilité. Pour Joseph Aoun, cette victoire diplomatique pourrait aussi renforcer sa position en interne, dans un contexte de réformes attendues et de gouvernance fragile.