Une coopération franco-libanaise réactivée dans un contexte de crise
Alors que le Liban traverse la plus grave crise financière de son histoire moderne, un axe inattendu s’est consolidé à Paris : celui du partenariat technique entre la Banque de France et la Banque du Liban. Dans le cadre des réunions de printemps du Fonds monétaire international, le gouverneur de la Banque du Liban, Karim Saïd, a présenté aux autorités françaises une feuille de route détaillée visant à restructurer et moderniser le système bancaire libanais. Ce document, articulé autour de quatre volets techniques, pose les bases d’une architecture bancaire conforme aux standards internationaux.
L’échange, qualifié de “constructif” par les participants, s’est tenu à la Maison du Financement International à Paris. La Banque de France y a affirmé sa disponibilité pour un appui technique soutenu, en particulier dans les domaines de la régulation, de la surveillance bancaire et de la formation des cadres supérieurs du secteur.
Une feuille de route tournée vers la transparence et la stabilité
La réforme bancaire libanaise s’appuie sur des principes de bonne gouvernance financière. Le premier axe concerne la restructuration de la dette publique, qui dépasse désormais les 180 % du PIB. La Banque du Liban s’engage à coordonner avec le ministère des Finances une stratégie de restructuration ordonnée, compatible avec les projections macroéconomiques du FMI.
Le deuxième volet porte sur la transparence budgétaire. Il prévoit la publication régulière des comptes consolidés des banques commerciales, l’audit des bilans de la Banque centrale, et la création d’un observatoire indépendant du crédit. L’objectif est de restaurer la confiance des épargnants et d’assurer une meilleure prévisibilité des politiques monétaires.
Le troisième volet est consacré à la lutte contre l’évasion fiscale, un fléau structurel qui prive l’État de recettes essentielles. Des dispositifs de coopération automatique d’informations bancaires seront déployés en lien avec l’OCDE, et des procédures de gel des avoirs illicites seront mises à jour.
Enfin, un quatrième axe, plus technique, est dédié à la modernisation des normes bancaires, notamment par l’introduction d’un cadre légal pour les produits dérivés et la réforme des règles de prêt. Ce dernier point est jugé essentiel pour prévenir une nouvelle bulle spéculative.
Le rôle décisif de la Banque de France
Dans cette dynamique, la Banque de France apparaît comme un acteur pivot. Elle a proposé un programme d’accompagnement sur cinq ans, incluant la formation de 200 cadres bancaires libanais, la fourniture d’outils numériques de supervision, et l’harmonisation des normes prudentielles.
Les experts français doivent intervenir à plusieurs niveaux : accompagnement du département de la surveillance bancaire, aide à la mise à jour du logiciel de suivi des réserves en devises, et soutien à la création d’une cellule de veille macroprudentielle. Ce dernier outil permettra de détecter les risques systémiques avant leur concrétisation.
La coopération prévoit également un volet législatif, avec l’envoi de juristes français spécialisés dans les marchés financiers. Ils auront pour mission de participer à la rédaction des nouveaux textes encadrant les produits dérivés et les instruments de titrisation. L’introduction de ces outils modernes vise à élargir la palette d’investissement des banques sans compromettre leur solvabilité.
La coordination avec le FMI : condition d’un appui financier
Ce partenariat franco-libanais s’inscrit dans le cadre plus large des négociations en cours avec le Fonds monétaire international. Pour débloquer une aide d’environ 3 milliards de dollars, le FMI exige une série de réformes structurelles dans le secteur bancaire, la fiscalité et la gouvernance publique.
La France, membre influent du conseil d’administration du FMI, a fait savoir qu’elle conditionnerait son soutien politique à l’obtention de garanties sur l’indépendance des régulateurs, la transparence des flux financiers, et l’interdiction de toute ingérence politique dans les nominations à la Banque centrale.
La Banque de France, en tant qu’opérateur technique, a ainsi pour rôle de s’assurer que les engagements pris dans les documents officiels se traduisent par des mesures concrètes. Ce pilotage technique, distinct des considérations diplomatiques, offre un levier de pression indirect mais efficace.
Une opportunité pour restaurer la confiance des marchés
Le retour d’une assistance internationale structurée dans le domaine bancaire pourrait constituer un signal fort pour les marchés. Plusieurs investisseurs étrangers ont déjà exprimé leur intérêt pour une réintégration progressive du Liban dans les circuits financiers internationaux, à condition que des garanties réglementaires claires soient mises en place.
Des banques françaises, mais aussi allemandes et belges, pourraient à terme réactiver leurs lignes de crédit suspendues depuis 2019. Pour cela, il faut d’abord que les risques de défaut bancaire soient maîtrisés, que les réserves soient reconsolidées, et que les ratios de liquidité des banques redeviennent conformes aux normes de Bâle III.
Le rôle de la Banque de France est ici crucial : en tant que référence en matière de supervision bancaire en Europe, elle offre une caution technique et morale au processus de réformes. Cette collaboration pourrait même s’élargir à d’autres domaines, comme la gestion des systèmes de paiement ou la sécurité des transactions électroniques.
Les défis institutionnels et politiques à surmonter
Cependant, ce chantier ambitieux ne va pas sans obstacles. La politisation des institutions financières, la fragmentation du pouvoir exécutif, et les résistances internes à la transparence constituent des freins majeurs. La mise en œuvre des réformes nécessite non seulement une volonté technique, mais aussi une volonté politique affirmée.
Le gouverneur Karim Saïd doit composer avec une opinion publique méfiante, des partis sceptiques, et un tissu bancaire privé encore dominé par des intérêts familiaux et communautaires. Toute réforme perçue comme une menace directe à ces intérêts pourrait susciter des blocages, voire des tentatives de contournement.
La Banque de France, consciente de ces risques, insiste sur la nécessité d’un encadrement normatif rigoureux, assorti de sanctions dissuasives en cas de manquement. Cette approche de type “compliance” est désormais la norme dans toutes les banques centrales modernes.
Le calendrier de la réforme : entre urgence et réalisme
Les échéances sont serrées. D’ici la fin de l’année, le Liban doit avoir adopté une nouvelle loi sur la gouvernance bancaire, validé la création de l’observatoire du crédit, et publié les résultats des audits des vingt plus grandes banques du pays.
La Banque de France prévoit un premier rapport d’évaluation à six mois, puis un second à douze mois. Ce suivi périodique permettra d’ajuster les priorités, de réévaluer les capacités locales et de réaffecter les ressources si nécessaire.
À moyen terme, un comité de pilotage mixte franco-libanais sera mis en place, incluant des représentants du secteur bancaire privé, des experts indépendants, et des membres du ministère des Finances. Ce comité aura pour mission de garantir la cohérence du processus et de trancher en cas de divergences d’interprétation.