Le récent remplacement du général américain Jasper Jeffers à la tête du comité chargé du suivi du cessez-le-feu entre Israël et le Liban a soulevé une série de réactions diplomatiques et politiques. Officiellement, aucune raison n’a été avancée par les autorités militaires américaines pour justifier ce changement. Pourtant, des sources libanaises rapportées par le quotidien Al-Akhbar suggèrent que cette décision n’est pas dénuée de motivations profondes.
Selon ces mêmes sources, le général Jeffers faisait l’objet de critiques grandissantes, tant de la part de la France que des composantes de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Son style de commandement, jugé parfois contre-productif, aurait nui au bon fonctionnement du comité de cessation des hostilités, bloquant à plusieurs reprises ses travaux. Ce climat de tension a conduit à l’arrivée d’un nouvel officier américain, le général Michael Leeney, avec pour mission de rétablir la confiance et d’améliorer la coordination.
Un contexte diplomatique sous haute pression
La période choisie pour cette transition ne semble pas anodine. Le Liban vit sous la menace persistante d’une escalade militaire avec Israël. Les violations répétées de la ligne bleue par l’armée israélienne alimentent un climat de méfiance dans la région, et le rôle du comité de cessez-le-feu apparaît plus crucial que jamais.
D’après les informations rapportées par Al-Akhbar, le gouvernement libanais a récemment refusé que ce comité militaire soit remplacé par un mécanisme diplomatique, préférant maintenir un cadre de négociation technique, jugé plus à même de faire face aux urgences opérationnelles sur le terrain. Ce refus libanais s’inscrit dans une volonté affichée de préserver les mécanismes multilatéraux issus de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée en 2006 à la fin de la guerre israélo-libanaise.
Le rôle controversé de Jasper Jeffers
Le général Jasper Jeffers, en poste depuis plusieurs mois, était chargé de superviser le fonctionnement du comité conjoint réunissant des représentants de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), de l’armée libanaise (LAF) et de l’armée israélienne. Sa mission : veiller au respect de la cessation des hostilités et coordonner les réponses aux incidents frontaliers.
Cependant, des voix s’étaient élevées, au sein même de la FINUL et du commandement français impliqué dans la zone sud du Liban, pour dénoncer une mauvaise gestion du dialogue trilatéral. Plusieurs réunions auraient été suspendues ou reportées à cause de différends sur l’ordre du jour, et certains officiers pointaient un manque de neutralité dans les arbitrages de Jeffers.
L’obstruction récurrente des débats, dans un contexte de montée des tensions sur le terrain, a affaibli la capacité du comité à jouer son rôle de médiateur. C’est cette perte de légitimité qui aurait précipité son remplacement.
L’arrivée stratégique du général Michael Leeney
Le général Michael Leeney a pris ses fonctions à Beyrouth fin avril 2025. Selon un communiqué de l’ambassade des États-Unis, il est désormais le représentant militaire américain à temps plein dans la capitale libanaise, un changement de posture révélateur de l’importance stratégique de cette mission.
Leeney, fort d’un parcours opérationnel riche dans des zones sensibles comme l’Afghanistan ou le Golfe, est perçu comme un profil plus diplomatique. Lors de sa prise de fonctions, il a déclaré vouloir « renforcer la coopération entre les Forces armées libanaises, la FINUL, la France et les partenaires internationaux pour assurer la sécurité et la souveraineté du Liban ».
Cette déclaration vise à rassurer un partenaire libanais de plus en plus critique vis-à-vis de l’impartialité des mécanismes internationaux. Elle intervient aussi au moment où le président libanais Joseph Aoun prépare son tout premier Conseil supérieur de défense, prévu pour ce vendredi, avec à l’ordre du jour les tensions militaires et les violations israéliennes dans le sud.
Une attente forte du côté libanais
Lors de sa rencontre avec Michael Leeney, le président du Parlement Nabih Berri a exprimé sa colère face aux violations israéliennes persistantes. Il a rappelé que « le Liban a respecté toutes ses obligations, tandis qu’Israël n’a toujours pas retiré ses forces des territoires occupés au sud du pays ».
Berri a insisté sur la nécessité pour Washington d’user de son influence pour contraindre Israël à appliquer les termes du cessez-le-feu. Il a aussi mis en garde contre les conséquences à long terme de ces violations sur la stabilité, les réformes et la souveraineté de l’État libanais.
Le général Leeney, en réponse, s’est engagé à convoquer des réunions régulières du comité et à maintenir un dialogue ouvert avec toutes les parties. Mais sa marge de manœuvre reste limitée par les équilibres géopolitiques de la région.
Les enjeux de la résolution 1701 à l’épreuve du terrain
La résolution 1701, adoptée à l’issue de la guerre de l’été 2006, a instauré un mécanisme de suivi du cessez-le-feu sous la supervision de la FINUL. Ce mécanisme repose sur des réunions techniques tenues à Naqoura, siège de la mission onusienne, et sur un échange d’informations permanent entre les parties.
Mais depuis plusieurs mois, la crédibilité de ce cadre est remise en cause. Le Liban accuse Israël de multiplier les incursions terrestres et aériennes, en violation flagrante du texte. Dans ce contexte, le remplacement d’un officier jugé inopérant apparaît comme une mesure conservatoire.
Cependant, cette décision ne suffit pas à régler les blocages structurels. L’ONU, tout comme la France, pousse pour une relance active du dialogue militaire, tandis que le Liban souhaite obtenir des garanties écrites de non-agression.
La réaction prudente de la communauté internationale
La nomination du général Leeney a été saluée avec prudence par les partenaires internationaux. La France, qui dispose d’un contingent important au sein de la FINUL, a laissé entendre qu’elle espérait une amélioration tangible du fonctionnement du comité.
De leur côté, les États-Unis ont réaffirmé leur soutien aux forces armées libanaises, qualifiées de « force crédible et professionnelle » dans le communiqué officiel. Washington entend préserver ses canaux de dialogue militaire dans la région, tout en s’efforçant de contenir toute escalade.
Un Conseil de défense sous tension
La réunion du Conseil supérieur de défense libanais, prévue ce vendredi sous la présidence de Joseph Aoun, s’annonce décisive. Il s’agira de la première réunion de cette instance depuis l’élection du nouveau chef de l’État. Des décisions « très importantes » y seraient attendues, selon des sources sécuritaires.
Ce conseil pourrait :
- Renforcer le mandat de la délégation libanaise au comité
- Définir de nouvelles lignes rouges face aux incursions israéliennes
- Demander une mobilisation diplomatique accrue auprès des membres du Conseil de sécurité
La tenue de cette réunion marque une volonté de reprendre le contrôle politique du dossier sécuritaire, dans un contexte régional de plus en plus volatil.
Tableau synthétique : éléments clés du changement de commandement
Élément | Général Jasper Jeffers | Général Michael Leeney |
---|---|---|
Fonction | Chef sortant du comité de cessez-le-feu | Nouveau chef du comité |
Critiques reçues | Mauvaise gestion, blocages, partialité | Aucune à ce jour |
Soutien international | Ébranlé (France, FINUL critiques) | Soutien affiché des États-Unis |
Contexte du départ | Tensions internes au comité | Arrivée saluée dans un contexte tendu |
Objectif annoncé | Application résolution 1701 (mal exécutée) | Réactivation du dialogue militaire |
Le comité de cessez-le-feu : pierre angulaire fragile de la stabilité sud-libanaise
Alors que les tensions frontalières s’intensifient, le comité de cessation des hostilités représente l’un des derniers outils diplomatiques encore actifs entre Israël et le Liban. Son affaiblissement pourrait précipiter une spirale d’hostilité. Le remplacement du général Jeffers est donc perçu comme une tentative de sauvegarder un mécanisme déjà fragilisé, dans l’attente d’un soutien international plus clair.