L’Etat Islamique et la déchirure bédouine (1)

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À l’heure ou Bachar Al Assad a reconnu qu’il manquait d’hommes pour lutter contre le nouvel occupant, du côté des bédouins, le choc de l’Etat Islamique est frontal, profond et douloureux.

Seul le temps pourra nous dire s’il est irréversible, par contre, tant la culture bédouine sait montrer, parfois, ses qualités d’adaptation.

Pour l’avoir beaucoup répété dans ce blog, nous pouvons que constater une fois encore comme les bédouins sont les premiers touchés par le fléau intégriste qui, telle la gangrène, s’accapare des espaces immenses en Irak et en Syrie. Rien ne semble vouloir arrêter ce désastre, cette révolution régressive. L’Occident gesticule beaucoup, mais force est de constater que ses résultats sont limités, voire contre-productifs. L’armée irakienne, malmenée, divisée, a du mal à faire face. L’armée syrienne, considérée comme maudite par les occidentaux si versatiles, lutte comme elle peut et où elle veut, sur un territoire gigantesque avec des moyens irréguliers et désormais officiellement insuffisants.

En France, nous focalisons surtout sur « l’antique Palmyre » en retenant surtout le site archéologique blasphémé est en danger, ainsi que la destruction de la prison politique qui fit les sombres heures du parti Baas. Nous refusons de voir que, depuis 3 ans, le lieu était surtout devenu un camp d’entrainement pour volontaires bédouins (irakiens et syriens) anti Etat Islamique. De même, nous refusons de voir que ceux qui ont été les premiers à dire « non », à appeler au rassemblement des forces, et à combattre sur le terrain, étaient des bédouins des grandes tribus mésopotamiennes.

Je l’écris avec d’autant plus de douleur que ce n’est pas faute de l’avoir illustré au fil des ans…

Les faits sont pourtant là : depuis la France a choisi, avec De Gaulle, de pactiser avec le wahhabisme saoudien, elle a ignoré avec une folie quasi suspecte que cette dérive politico/financière/machiste, issue de la péninsule arabique est loin de représenter le sunnisme dans son ensemble  d’une part et incarne même maintenant d’autre part, la tentation infâme mais justifiée par l’épée de Damoclès que peut représenter la mondialisation aux yeux de certains.

Nous en sommes là avec les tribus bédouines. Nous sommes dans ce moment charnière où chacun doit choisir son camp.

Ecrire « chacun doit choisir son camp » est une formule qui a le même sens pour vous et moi, et c’est pour cela que je l’utilise mais pour un bédouin, l’idée derrière la formule est en soi, un drame. Car pour cette culture « je » ne choisis pas mon camp politique. « je » choisis mes actes face à Dieu, mais pas face aux hommes. Face aux hommes, les chefs, en concertation, décident.  La tribu me dicte donc  “mon camp“. La tribu intime à ses membres l’ordre de suivre tel ou tel homme, en plus, bien entendu du chef.(c’est à dire du sheichk)

En Irak, en Syrie et en Jordanie, jusqu’à maintenant les tribus avaient choisies les leaders des pays concernés pour avoir la paix.

En Irak, car Saddam était de souche bédouine, ce qui donnait une légitimité à ce choix fragile (car la popularité de Saddam a toujours été très fluctuantes chez les bédouins irakiens) ; en Syrie car les Assad ont apportés l’eau pour l’irrigation, des biens fonciers nominatifs, l’école et le téléphone et en Jordanie car les bédouins, bien qu’instrumentalisés, ont toujours été traités avec respect et complicité (incluant l’aide financière) par le descendant du prophète que représente le souverain hachémite. Les camps étaient donc discutables, mais choisis.

Avec l’arrivée de l’Etat Islamique, tout ceci s’effondre à des rythmes différents selon le pays.

Petit retour en arrière.

Ce qui a fait l’une des grandes forces du parti Baas, je parle donc ici principalement de la Syrie et de l’Irak, c’est d’avoir transformé des lieux aux divisions claniques énormes, en pays arabes structurés. Pour ce faire, d’une part il a usé de méthodes autoritaires (voire terrorisantes dans le cas de Saddam qui ordonnait régulièrement quelques égorgements publics) , intelligentes comme par exemple en nommant toujours les chefs bédouins responsables administratifs de haut niveau et enfin sournoises, en laissant aux tribus le loisirs d’organiser leur justice comme bon leur semblait, tout en sachant pertinemment que la fierté bédouine et sa fidélité traditionnelle aux chefs seraient bien plus convaincantes, et donc efficaces, aux yeux du « citoyen bédouin lambda » que quoique ce soit venant de l’Etat.

Toutes ces méthodes , qu’on les aime ou non, ont portés leurs fruits : le gros de l’armée de ses deux pays est constitué de gens du peuple d’une discipline absolue, les ruraux (bédouins ou non) ont pu devenir propriétaires et faire fructifier cette Mésopotamie « grenier à blé » régionale, les bédouins pour leur part, étant plus spécialisés dans l’élevage du mouton , que ce soit en Irak ou en Syrie et les nombreux conflits intercommunautaires ont été réduits à néant, ou quasi.

En Jordanie, c’est le tourisme et la protection internationale dûe à l’acceptation officielle de la création d’Israël, qui a principalement servi de carotte « calmante » aux divisions internes. En excluant  « Septembre Noir », bien entendu, qui fut  le « coup de bâton structurant » de la population palestinienne, pour maintenant être la fierté du roi, en la personne de sa si belle épouse. Les bédouins participent beaucoup à l’effort touristique et n’importe quel voyageur s’esbaudit toujours de voir des bédouins charmants leur  offrir le thé dans le Wadi Rum ou  le Wadi Musa (Petra). Il ignore neanmoins que si, à Petra, on parle , en gros , d’une seule tribu, , dans le Wadi Rum, il s’agit d’une reconstitution parfaitement aléatoire, regroupant des bédouins jordaniens d’un peu partout à qui on a donné quelques terres et un gros espoir (réel) de réussite touristique, en échange d’une interdiction absolue de mésentente et d’une cacophonie tribale qui a rendue un peu compliquée les dialogues et la gestion du cœur même du village phare (et totalement artificiel),  maintenant si prisé par les voyageurs. Pour le Royaume hachémite, les mauvaises langues bédouines diront que les tribus ont été achetées par le tourisme, que cela marche indubitablement mais que le système à les limites intrinsèques de l’appât du gain. La royale volonté a donc assez bien fonctionnée, mais qui connait les prisons d’Amman, sait que la douceur n’est pas plus présentes là que chez le voisin du nord. La grande différence est que le maudit voisin du nord, lui,  n’a jamais voulu reconnaitre Israël.

Dans ce contexte, on comprend que le sens du mot « révolution » pour un bédouin, voire son chef de tribu, sonne différemment que pour un occidental. Les bases culturelles et même la structuration de l’esprit de chacun n’étant pas comparables.

En Irak, les bédouins ont gardé un pouvoir et des richesses énormes car « c’est le fond qui manque le moins » et la fertilité de la terre mésopotamienne, n’est plus à chanter… Les tribus ont proliférées en paix, se sont structurées et ont pris l’habitude de devenir un état dans l’état, le tout avec la bénédiction d’un Saddam qui voulait surtout garder le pouvoir sur tout le monde et vivre ses délires mégalomaniaques en passant pour un héros. Les bédouins ont toujours été très fins avec ce types de délires, depuis qu’ils ont vu, d’antan, leurs pauvres cousins affamés de la péninsule arabique se métamorphoser, en moins de deux, en rois du pétrole et s’arranger , bien à leur façon , avec ce qui fait l’austérité du Coran. Voilà des gens, qui n’avaient rien, si ce n’est quelques chèvres, un grand courage et « une excellente mémoire visuelle » comme l’écrivait Sir Wilfred Patrick Thesiger, mais qui sont devenus milliardaires, plutôt pleutres et surtout totalement myopes sur ce que le reste du monde pensent d’eux.

Dans « le reste du monde » j’inclus bien évidemment le grand reste de la communauté bédouine qui , pour le coup, oscille entre la honte totale de voir la terre de la Mecque transformée en Bordel Land , l’amusement perplexe de comprendre que le mot « bédouin » devient le signe des dollars et de la facilité de vie pour leurs voisins (surtout au Liban ou en Turquie, Portes de l’Occident, ou dans les feuilletons télés arabes) et enfin la volonté encore plus marquée de rester « à l’écart de ceux-là, aussi », c’est-à-dire de ce monde qui perd la tête, de ces gens qui s’entassent dans des immeubles, de ces femmes qui gigotent pendant des heures du derrière sous une pluie de billets, de ces voitures qui ne résistent à rien, bref… de cette vie sans sens de l’honneur qui a perdu la saveur de la nature et la richesse de Dieu.

-Fin partie 1-

Adeline Chenon Ramlat 

Cet article est le premier d’une série qui en contiendra deux ou trois (cf actualités)

J’écris sur la Syrie depuis 5 ans et mon premier papier est en cliquant là (après suivez les liens). Si vous désirez un lien vers un papier précis, dîtes le moi en commentaire.

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